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Enjeux

« Les compétences émotionnelles permettent d’évoluer dans un contexte incertain »

Enjeux | publié le : 22.01.2013 | ÉRIC DELON

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« Les compétences émotionnelles permettent d’évoluer dans un contexte incertain »

Crédit photo ÉRIC DELON

Largement reconnu dans l’univers anglo-saxon, le concept d’intelligence émotionnelle semble particulièrement adapté pour développer les compétences des collaborateurs des entreprises innovantes. Ces compétences émotionnelles sont également très mobilisées dans un environnement de travail international et muticulturel.

E & C : Selon vos recherches, l’intelligence émotionnelle serait tout autant stratégique pour réussir dans l’entreprise que l’intelligence classique ?

Cécile Dejoux : Le concept d’intelligence émotionnelle (IE) est apparu dans le domaine des neurosciences grâce aux progrès techniques de l’imagerie fonctionnelle qui permet, par exemple, de mesurer l’activité des flux sanguins dans le cerveau. L’IE désigne la capacité d’un individu à identifier, exprimer et gérer ses émotions et celles des autres. Ce concept, vulgarisé notamment par le psychologue américain Daniel Goleman au milieu des années 1990, a très vite intéressé les entreprises nord-américaines, car il propose des pistes d’explication de la réussite. Les recherches sur le sujet ont (dé)montré qu’il n’était pas nécessaire de posséder un QI particulièrement élevé pour réussir dans une organisation. En revanche, un QE – quotient émotionnel – développé, défini comme la somme de compétences émotionnelles, représente un atout non négligeable.

E & C : Ces compétences émotionnelles sont-elles nécessaires pour évoluer dans tout type de contexte ?

C. D. : Aujourd’hui, l’évaluation et la formation aux compétences émotionnelles sont devenues indispensables pour les entreprises qui possèdent des métiers où les collaborateurs doivent prendre la bonne décision, de façon rapide, dans un environnement incertain et complexe – l’international, par exemple – et dans lequel ils devront travailler en équipe. Ce sont des entreprises du secteur des services – rapport étroit avec la clientèle –, possédant une dimension importante d’innovation et évoluant dans des environnements internationaux, multiculturels et compétitifs. Dans son livre Search inside Yourself*, Chade-Meng Tan explique comment Google a renouvelé son management en prenant singulièrement en compte la problématique des compétences émotionnelles. Les entreprises qui sont confrontées à des problématiques de recrutement sont également très intéressées par ce concept qui pourrait leur permettre d’optimiser leur investissement.

E & C : En quoi l’intelligence émotionnelle permet-elle de mieux s’adapter à l’international, par exemple ?

C. D. : Avec ma collègue Heidi Wechtler, nous venons de mener une recherche sur l’évaluation de l’intelligence émotionnelle et des motivations de carrière dans un contexte d’expatriation, en partenariat avec les directeurs de l’Alliance française dans le monde. Nous avons pu observer que certaines dimensions de l’IE, comme la régulation de ses émotions et l’utilisation de ses émotions pour résoudre des problèmes, influençaient positivement la capacité d’adaptation à l’international. Nous avons également montré que plus les femmes étaient capables d’exprimer leurs émotions, moins elles étaient capables de s’adapter à un contexte international. Il s’agit d’un résultat contre-intuitif qui contredit les recherches précédentes montrant que les femmes, en moyenne, possédaient des compétences émotionnelles supérieures à celles des hommes et qu’elles s’adaptaient mieux à un contexte international que les hommes. Une des explications possibles est que le fort niveau d’appréciation et d’expression des émotions des femmes, comparativement aux hommes, n’était pas bien accepté dans les cultures à fortes valeurs masculines, qui tendent à sous-estimer les émotions.

E & C : Vos recherches montrent, par ailleurs, que les compétences émotionnelles peuvent être associées à des profils types ?

C. D. : Absolument. Les noms donnés aux catégories de cette typologie, dans le cadre d’un échantillon de notre recherche, sont à considérer comme des “idéaux-types” que nous avons délibérément nommés. Selon notre étude, les “spécialistes” expriment peu leurs émotions et ne les utilisent pas pour résoudre les problèmes qui leur sont posés. Les “progressistes”, quant à eux, s’ils portent une attention toute particulière à évaluer leurs émotions, ne les régulent pas. De même, si les “encadrants” expriment leurs émotions, les “reconvertis” régulent celles des autres, alors que les “mobiles” affichent un faible score en termes d’évaluation des émotions des autres. Les “indépendants”, eux, possèdent un faible degré d’expression de leurs émotions. Actuellement, nous sommes en train de mener une recherche sur l’impact des compétences émotionnelles mobilisées lors d’une recherche d’emploi en fonction des âges et des types de formation.

E & C : Comment, lorsqu’on est manager ou DRH, optimise-t-on concrètement les compétences émotionnelles de ses collaborateurs ?

C. D. : Cela passe par trois stades. Tout d’abord, la prise de conscience que l’intéressé possède bien ce type de compétence et qu’en les mettant en œuvre, il pourra améliorer sa propre gestion de soi et ses relations avec les autres. Cette prise de conscience est un préambule indispensable pour engager un processus d’apprentissage et d’optimisation. Le deuxième stade consiste à diagnostiquer les points forts et les points faibles des compétences émotionnelles du collaborateur. Des questionnaires, des entretiens des méthodologies de coaching ou de bilan de compétences peuvent aider à dresser cet état des lieux. Le troisième stade consiste à améliorer certaines compétences émotionnelles afin d’optimiser, par exemple, des entretiens de recrutement, d’apprendre à gérer son stress, d’améliorer sa prise de décision, etc. Des formations spécifiques sur cette problématique sont efficaces, à condition d’être utilisées dans un environnement de travail. Il faut, par ailleurs, vérifier la qualité des outils d’évaluation utilisés, en privilégiant ceux qui reposent sur des recherches scientifiques. Un nombre croissant d’entreprise s’intéresse à ce concept très développé dans les pays anglo-saxons. Je fais le pari, qu’en France, dans dix ans, il fera partie des tests classiques de recrutement et sera inscrit dans la plupart des catalogues de formation des entreprises. Fondamentalement, l’apport de l’IE est fécond : il permet à chacun de mieux se connaître pour mieux interagir avec les autres.

* HarperCollins, 2012.

SON PARCOURS

• Cécile Dejoux est coresponsable du master ressources humaines du Cnam. Elle mène des recherches académiques sur la gestion des talents, la gestion des compétences, les compétences émotionnelles et les carrières à l’international au sein du laboratoire de recherche en sciences de l’action Lirsa.

• Elle a publié, avec Maurice Thévenet, Talent Management (Dunod, 2012) et Fonctions RH (en collectif, Pearson, 3e éd. 2012).

SES LECTURES

• La Décision, Alain Berthoz, Odile Jacob, 2013.

• Search inside Yourself, Chade-Meng Tan, HarperCollins, 2012.

• Manager en quête d’auteurs, Maurice Thévenet, Les Belles Lettres, 2012.

Auteur

  • ÉRIC DELON