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QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL : UNE STRATÉGIE À BÂTIR AVEC LES SALARIÉS

Enquête | publié le : 08.01.2013 | VIRGINIE LEBLANC

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QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL : UNE STRATÉGIE À BÂTIR AVEC LES SALARIÉS

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Notion plus large que la prévention des risques psychosociaux, la qualité de vie au travail s’inscrit de plus en plus à l’agenda des DRH. Enjeu de performance pour les entreprises, ce sujet, qui touche pour partie à l’organisation du travail, nécessite d’être coconstruit avec les salariés.

Reconnaissance, charge de travail, équilibre entre vie pri-vée et vie professionnelle, marge d’initiative, acquisition des compétences nécessaires pour accomplir son travail… tous ces sujets, les salariés d’EDF les ont abordés en réponse à un vaste questionnaire, dont les résultats seront connus en ce début d’année. À l’instar du fournisseur d’énergie, qui a signé en 2010 un accord pour « prévenir les risques psychosociaux et améliorer la qualité de vie au travail des salariés », de plus en plus d’entreprises appuient leurs démarches en faveur de la qualité de vie au travail (QVT) sur l’écoute et le dialogue avec leurs salariés. De fait, elles « doivent d’abord s’interroger sur ce qui fait la qualité de vie au travail chez elles, en débattre avec les partenaires sociaux et réaliser un diagnostic partagé », préconise Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l’Anact.

Six types de facteurs de RPS

« Avec cette nouvelle notion, les entreprises vont s’attacher à regarder réellement l’activité de travail et à adopter un spectre plus large que celui de la prévention des risques », poursuit Pascale Levet. L’Anact propose à cet égard une approche systémique autour de six composantes : qualité des relations sociales, qualité du contenu du travail, qualité de l’environnement physique, qualité de l’organisation du travail, développement professionnel et conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée. « Les entreprises s’y sont mal prises lorsqu’elles se sont contentées d’éléments facilitant la vie de leurs salariés, les salles de gym ou les massages ; elles doivent aborder le travail lui-même », estime Patrick Légeron, psychiatre et fondateur du cabinet Stimulus, qui préfère toutefois la notion de bien-être à celle de QVT.

« Ce n’est que récemment que le terme QVT a émergé ici et là dans la création d’observatoires, dans la multiplication des enquêtes intégrant cet objet, dans la négociation d’accords d’entreprise et dans la perspective d’un accord national interprofessionnel en 2013 », constate l’Anact. Avec ce projet d’accord sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle, qui a commencé à être discuté le 21 septembre dernier, les syndicats voient un bon moyen d’aborder les questions de l’organisation du travail et de la qualité “du” travail (lire p. 22). Des dimensions que les accords relatifs au stress et aux risques psychosociaux n’abordaient pas forcément. La SNCF a par exemple permis aux salariés d’exprimer leurs ressentis sur l’organisation du travail au niveau local et a formalisé un outil de diagnostic d’équipe (lire p. 26). À EDF, plus d’une quarantaine de groupes multidisciplinaires, situés au plus près des situations de travail, permettent de détecter, d’analyser et de partager pour construire des plans d’actions afin de prévenir les risques psychosociaux et d’accompagner la démarche de QVT (lire p. 23).

Le CEA a lui aussi monté des groupes de travail pluridisciplinaires et a lancé une enquête sur le stress à laquelle ont répondu 77 % de ses salariés (lire p. 25). Il s’est notamment appuyé sur un questionnaire inspiré des travaux du collège d’expertise mené par Michel Gollac, directeur du Laboratoire de sociologie quantitative du Crest, Centre de recherche en économie et statistique, recommandant de suivre six types de facteurs de risques psychosociaux au travail : l’intensité et le temps de travail, les exigences émotionnelles, le manque d’autonomie, la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail, la souffrance éthique et l’insécurité de la situation de travail. Mais, une fois la mine d’informations recueillie, le CEA a décidé de faire appel au décryptage d’un sociologue pour mieux en comprendre les résultats et disposer d’une analyse plus fine des populations fragiles.

Dialogue avec les salariés

« Les indicateurs produits par une enquête ou un baromètre social ne sont que des thermomètres, rappelle Xavier Zunigo, dirigeant d’Aristat, cabinet d’études en sciences sociales. Les enquêtes quantitatives doivent s’accompagner d’entretiens qualitatifs, car ce n’est qu’en dialoguant avec les salariés que l’on peut connaître les raisons d’un mal-être ou d’un dysfonctionnement. Exemple : si on décèle un problème de charge de travail, est-ce lié à la quantité de travail demandée, au fait que les salariés n’aient pas reçu la formation adaptée ou bien encore à une mauvaise interaction entre des services ? Seul l’entretien permet de le savoir. »

Au-delà de l’absentéisme, du turnover et des arrêts maladie, « les entreprises doivent se doter d’indicateurs spécifiques, construits localement, en lien avec leur activité. De plus, s’ils sont imposés, il y a un risque fort qu’ils ne soient pas compris, prévient Éric Drais, chercheur au département Homme au travail de l’INRS. Mais la vraie question sensible demeure l’usage qui en est fait. Il existe une dérive possible si les indicateurs sont inscrits dans les objectifs de performance des managers et que ces derniers se centrent uniquement sur leur évolution en oubliant pourquoi ils ont été déterminés. »

Beaucoup d’attentes

En outre, « lorsque les entreprises se lancent dans des démarches de QVT, elles s’attellent à des thèmes qui suscitent beaucoup d’attentes, et qui sont des sujets de temps long. Il est primordial de communiquer régulièrement, sur les réflexions, le diagnostic, puis sur les actions mises en œuvre, recommande Laurence De Ré-Vannière, directrice de projets à Entreprise & Personnel. Nous avons vu des observatoires se mettre en place, mais parfois les plans d’action ne suivent pas ou ne sont pas communiqués ni valorisés. Cela peut générer beaucoup de frustrations ».

Près de deux ans après la signature à l’unanimité par les syndicats de Groupama d’un accord relatif à la qualité de vie au travail, Hubert Babaudou, délégué syndical CFDT, ne cache pas sa déception: « Les difficultés économiques sont énormes - 1,8 milliard d’euros de pertes - et ont beaucoup impacté les conditions de travail des salariés. Il faudrait maintenant contraindre les entreprises à négocier dans les entités sur la QVT et à mettre en place des plans de prévention des RPS en concertation avec les IRP. »

Pourtant, c’est dans les périodes difficiles que les entreprises se posent les bonnes questions, estime Xavier Alas Luquetas, directeur d’Éleas, société de conseil en prévention des risques psychosociaux: « Nous créons beaucoup de séminaires pour les dirigeants afin de les aider à parler des changements, à susciter l’adhésion autour des nouveaux processus organisationnels et à remobiliser les managers dans leur rôle de facilitateur du changement. Nous les incitons aussi à parler de la façon dont le travail était fait avant, et à expliquer les raisons du changement. Ce temps est essentiel, mais il est souvent oublié. »

Dans le même esprit, le cabinet Empreinte Humaine réalise et forme des responsables RH aux études de faisabilité humaine du changement, avec l’objectif d’adapter la conduite et le contenu du changement au regard des impacts psychosociaux potentiels. Danone, par exemple, a adopté ce type de démarche.

De plus, « il importe que le top management se saisisse des enjeux de la qualité de vie au travail en les intégrant dans ses décisions stratégiques de gouvernance, considère Christophe Nguyen, consultant associé et gérant du cabinet. C’est la condition pour que la chaîne hiérarchique et les collaborateurs eux-mêmes se retrouvent impliqués dans ce projet d’entreprise ».

Une méthode originale

Dans son accord du 31 mai 2012 sur le développement de la qualité de vie au travail, Areva a mis en place une méthode originale d’analyse de l’impact humain en cas d’évolution d’organisation (lire p. 27). L’initiative, qui s’appuie sur une grille d’analyse détaillée des incidences potentielles des changements à travers 24 items, pourrait sans doute inspirer d’autres entreprises.

L’ESSENTIEL

1 Les partenaires sociaux peinent à négocier un accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail.

2 Certaines entreprises ont déjà conçu des accords et des plans d’action sur le sujet.

3 L’enjeu pour elles est d’élaborer un diagnostic précis de leur situation, au plus près du terrain, afin d’ajuster au mieux leurs actions.

Sept propositions de l’Anact pour une démarche QVT durable

L’Anact, qui a accompagné de nombreuses entreprises sur le sujet de la qualité de vie au travail, formule sept propositions pour engager une démarche en la matière. Des recommandations issues des travaux du “club QVT”, fondé par EDF en 2009 et réunissant une douzaine de grandes entreprises engagées dans des expérimentations*.

1. Considérer la QVT comme un développement - un déterminant de la performance de l’entreprise - et non comme une concession sociale.

2. Impliquer les dirigeants par le développement de la performance globale de l’entreprise.

3. Inventer un nouveau mode de relations sociales avec la mise en place d’une politique de QVT (création d’espaces de pilotage et de dialogue adaptés).

4. Prendre en compte dans les choix organisationnels le point de vue des salariés sur leur travail.

5. Créer des indicateurs QVT dans l’entreprise (indicateurs de santé, indicateurs RH, indicateurs de performance et d’organisation).

6. Se doter de structures locales de marge de manœuvre.

7. Articuler vie professionnelle et vie personnelle.

* Parmi elles : EDF, Fédération nationale du Crédit agricole, BPCE, SNCF, France Télécom-Orange, IBM, Air France, Danone, etc.

À consulter sur www.anact.fr, un dossier complet sur la qualité de vie au travail.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC