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Une mini-Halde encore en rodage au royaume de Mickey

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 26.12.2012 | MARIE-MADELEINE SÈVE

Pour combattre la discrimination, Euro Disney a créé, fin 2011, un lieu d’écoute et de suivi des plaintes, animé par 21 salariés volontaires et par les responsables RH. Le bilan reste modeste. Les syndicats sont réservés.

A Euro Disney, 21 salariés traitent de dossiers classés X. Ils ne parlent, entre eux ou avec les RRH, que de D, PSS, DPSS, DDD pour “demandeur”, “personne source supposée”, “directeur de la personne source supposée”, “directeur du demandeur”, etc. Un sabir codé pour désigner les “alerteurs” ou les victimes de discrimination, les auteurs présumés des faits et leur hiérarchie, et dont usent les cast members (salariés) engagés à fond depuis plus d’un an sur ce sujet sensible au royaume de Mickey. Ce sont les “relais diversité”, membres de l’“instance pour la diversité et l’égalité des cast members” (IDEcM), une structure chargée d’accueillir, d’écouter et d’accompagner tout salarié ayant le sentiment d’être discriminé dans l’entreprise. Une petite révolution à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne) où s’activent 14 500 salariés représentant plus de 100 nationalités.

L’entreprise, au personnel bigarré, a en effet décidé de prendre la question de la discrimination à bras-le-corps. Dès 2008, le vice-président RH Daniel Dreux a cherché à mesurer le phénomène, grâce à un bus itinérant chargé de diffuser et de récolter les questionnaires ad hoc dans les “backstages” du parc. « 7 000 salariés ont répondu, s’enorgueillit le DRH. 20 % ont déclaré se sentir discriminés. Un taux trop élevé. Alors, nous avons monté des groupes de travail avec les collaborateurs intéressés afin de trouver des solutions. »

Libérer la parole et éveiller les consciences

Cette réflexion a abouti à la création de l’instance IDEcM en septembre 2011. Une voie de recours supplémentaire à celles de la hiérarchie, des RRH ou des IRP, et qui va au-delà du simple dispositif d’alerte, obligatoire pour obtenir le label Diversité (décerné à Disney en 2010). « Le fonctionnement de IDEcM s’inspire de celui de feu la Halde, avec laquelle nous avons échangé, explicite Daniel Dreux. L’idée étant de libérer la parole sur un sujet qui ne doit pas être tabou et d’éveiller les consciences de chacun sur ses comportements. »

L’instance est une fusée à trois étages : un “pôle écoute”, animé par 13 salariés tenant permanence dans un lieu spécifique ; un “pôle suivi”, avec huit salariés chargés d’instruire les cas supposés grâce à des enquêtes de terrain ; un “pôle communication” pour faire connaître l’instance. La force et l’originalité de cette mini-Halde interne, unique en son genre, repose sur l’implication et le nombre des salariés volontaires.

Par ailleurs, Disney a bordé son affaire sur deux points. Primo, avec la Cnil, dont il a obtenu l’autorisation. « Nous avons travaillé avec son service juridique. Dès lors, ont été créés un numéro téléphonique dédié, une adresse mail générique, mais les comptes rendus sont manuscrits et anonymisés, et nous ne tenons ni base de données informatique, ni historique », assure Daniel Dreux. Le code de déontologie maison, axé sur la confidentialité et l’indépendance est très strict. Secundo, avec les services RH internes qui épaulent les relais diversité. Selon la règle de collégialité, reprise de la Halde, ces derniers agissent en binôme et croisent leurs regards entre eux puis avec les RRH.

Après un an d’existence, le bilan paraît faible au regard des moyens déployés et des discriminations ressenties : après 85 permanences d’écoute, 33 dossiers ont été ouverts, dont 18 sont clôturés. Parmi ces derniers on dénombre cinq requalifications (harcèlement moral, etc.) et deux cas avérés, réglés à l’amiable par des plans d’action. Ceux-ci ont été décidés et mis œuvre par les RRH et les “relais”, en vue d’offrir des conditions normales de travail à la personne discriminée et de retisser les liens abîmés dans l’équipe concernée. Les onze autres dossiers n’ont pas pu aboutir. La structure, encore méconnue en interne, se rode. Quant aux motifs invoqués par les plaignants, il s’agit principalement de l’origine (ethnie, nation) pour 42 %, et santé pour 20 %.

Ni sanction pénale ni réparation financière

De leur côté, les syndicats sont réservés sur IDEcM, qu’ils considèrent comme un instrument maison, trop opaque et qui capte leur public. « Celui qui saisit IDEcM ne peut saisir conjointement un élu du personnel, s’insurge Daniel Rovedo, DS CFDT, majoritaire, et élu du CE. Les “relais diversité” s’arrogent le droit de juger et la direction cherche à arrondir les angles pour éviter des contentieux. Il n’est question ni de sanction pénale ni de réparation financière, ce qu’on pourrait obtenir devant un tribunal. En outre, le salarié ne peut pas récupérer son dossier, détruit en fin de procédure. » La structure va s’étoffer de onze membres en 2013.

UNE FORMATION LONGUE

La DRH n’a pas lésiné sur les moyens. Elle attribue à chacun des relais diversité pas moins de 14 heures de délégation par mois et une formation de deux jours par mois pendant trois mois. « Nous avons été initiés au droit, dont les 18 critères de discrimination prévus par la loi, aux postures d’écoute bienveillantes, aux techniques de restitution objective, etc. », explique Josiane Quenneville, 30 ans, artiste-animatrice chez Disney, et écoutante à l’IDEcM. Ce cursus se conclut par un examen pour confirmer une aptitude à jouer ce rôle impartial.

Auteur

  • MARIE-MADELEINE SÈVE