logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

La solitude de l’entreprise qui restructure

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 18.12.2012 |

Image

La solitude de l’entreprise qui restructure

Crédit photo

Près de vingt ans après l’arrêt Videocolor, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue rappeler, dans un arrêt du 26 juin 2012, que le motif économique « s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient ». Rien que de très classique dans notre droit, lequel constitue toutefois sur ce point, comme sur bien d’autres, une curiosité nationale… En l’occurrence, la société Hutchinson appartient à un groupe comptant trois pôles, dont un “automobile” ; au sein de celui-ci, le site touché par les licenciements économiques avait été identifié comme constituant le secteur “pièces de carrosserie”. La cour d’appel de Poitiers, dans la droite ligne prétorienne qui vient d’être rappelée et au visa de laquelle sa décision a pourtant été censurée, avait conclu que « les difficultés économiques doivent donc s’apprécier au niveau du secteur d’activité spécifique que constitue le département pièces de carrosserie du site d’Ingrandes ».

Ciselant la règle désormais établie du périmètre d’appréciation du motif économique, la Cour de cassation précise que celui-ci ne saurait être « apprécié à un niveau inférieur à celui de l’entreprise ». Cette solution ne saurait satisfaire, et ce, à un double titre.

Tout d’abord, parce qu’elle consiste à obvier la question de la définition du secteur d’activité. Or, l’occasion aurait été opportune de saisir ce biais, puisqu’en effet, il apparaissait, en l’espèce, audacieux de circonscrire un tel secteur aux “pièces de carrosserie” alors qu’existe au niveau du groupe un “pôle automobile”. Au regard des enjeux attachés aux critères de détermination du secteur d’activité, laisser aux juges du fond l’entière appréciation de ses contours est une source d’insécurité juridique permanente et inflammatoire qu’il incombe désormais au juge suprême de réguler d’urgence.

En second lieu, fixer ainsi le “plancher” d’évaluation du motif économique porte en germe un autre type de difficulté en créant un dilemme inextricable entre entreprise et secteur d’activité chaque fois qu’un établissement, au sein d’une entreprise, constitue effectivement à lui seul un secteur d’activité ou appartient à un secteur d’activité distinct de celui des autres établissements de l’entreprise : dans le premier cas, il faudra opter entre deux périmètres antinomiques d’appréciation, ce qui, curieusement, devrait aboutir à consacrer la prééminence de l’entreprise sur le secteur d’activité ; dans le second, il conviendra d’intégrer le seul établissement concerné à son propre secteur d’activité – dont on doit rappeler qu’il s’entend au niveau mondial – et, par là même, gommer purement et simplement l’entreprise, c’est-à-dire – au sens où l’entend la Cour de cassation – la personne morale.

L’option prétorienne d’apprécier le motif économique au sein du secteur d’activité prise il y a près de trente ans, alors que les groupes d’entreprises étaient différemment ordonnés, trouve ici et aujourd’hui ses limites.

Condamner l’établissement comme périmètre pertinent d’appréciation du motif économique laisse enfin perplexe au regard du projet de loi annoncé par le ministre du Redressement productif, consistant à imposer aux entreprises qui restructurent de céder les “sites rentables”. Car quels critères objectifs permettraient d’isoler, au sein d’une personne morale, un site “rentable”, qui ne le seraient pas pour le caractériser, à l’inverse, comme “non rentable”, au sens du motif économique, et justifier que soient prises des mesures pour y remédier ? Cette évolution législative annoncée, si elle prend corps dans les mois à venir, doit être l’occasion de ne pas réserver le pragmatisme au renforcement des contraintes pesant sur l’entreprise, mais au contraire de l’élargir aux possibilités pour elle de se réorganiser pour assurer son avenir.

Oserait-on, pour conclure, modestement suggérer au législateur de s’inspirer de la première des trois règles de travail posées par Einstein : « Dans la confusion, trouver la simplicité »?

Danièle Chanal, avocate associée au cabinet Joseph Aguera et associés, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.