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« Les périodes de difficultés économiques sont peu propices aux adhésions syndicales »

Enjeux | publié le : 11.12.2012 | PAULINE RABILLOUX

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« Les périodes de difficultés économiques sont peu propices aux adhésions syndicales »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La désyndicalisation s’amplifie, mais, entre baisse des effectifs syndiqués et baisse de l’influence syndicale, le rapport est moins simple qu’il n’y paraît : les syndicats portent toujours la parole revendicative des salariés dans le débat public.

E & C : La baisse de l’affiliation syndicale semble un fait acquis. Quelles en sont les causes ?

Jean-Marie Pernot : Le nombre des adhérents tous syndicats confondus a été réduit de moitié en une trentaine d’années, ce qui veut dire que le taux de syndicalisation a baissé bien davantage, puisque la population salariée augmente. Certaines causes sont bien connues : la destruction accélérée des secteurs industriels, bastions traditionnels des syndicats, l’essor de l’emploi précaire, la division syndicale, l’institutionnalisation des militants, leurs pratiques devenues routines, l’éloignement des représentants de leur base, les réorganisations économiques et le recours accru à l’externalisation et à la sous-traitance… Mais il faut aussi compter sur le changement des formes d’engagement sans pour autant recourir au cliché sur la montée de l’individualisme. Il n’existe pas de génération spontanée de l’adhésion syndicale. Celle-ci a à voir avec les identités collectives professionnelles et sociales construites au sein des groupes. La propension à se syndiquer ne résulte pas seulement d’une découverte individuelle mais d’un ensemble de sociabilités acquises souvent à l’extérieur de l’entreprise. Les sauts quantitatifs de la syndicalisation ont été historiquement issus de mouvements collectifs. Les campagnes individuelles d’adhésion ou encore l’évocation du service individuel que le syndicat peut apporter au salarié mettent en lumière au contraire l’absence de ces modes collectifs d’incitation que représentaient par exemple la socialisation par les organisations de jeunesse – JEC, JOC, JC –, qui conduisaient naturellement vers le syndicalisme. Autre leçon de l’histoire, les périodes d’espoir sont propices à l’adhésion massive des travailleurs, tandis que les périodes de difficultés économiques y sont contraires. Dans un contexte de crise économique, de désunion syndicale, de désillusion sociétale, de dilution des collectifs de travail, prévaut la logique du chacun pour soi parce qu’on ne croit plus aux lendemains qui chantent.

E & C : Quelles sont les conséquences de la désyndicalisation ?

J.-M. P. : La composition sociologique des adhérents accuse un décalage important avec celle du salariat. Les jeunes et les précaires y sont quasiment absents, les travailleurs issus de l’immigration sont peu représentés. Le taux de syndicalisation en France est de 15 % dans le public quand il est de moins de 5 % dans le secteur privé. Ce dernier est d’ailleurs essentiellement constitué de salariés statutaires des grandes entreprises ; les PME et les TPE sont donc quasiment absentes du paysage syndical. Cette diminution de l’implantation syndicale pose aussi des problèmes de renouvellement des générations, puisque la moitié de l’actuelle population syndiquée sera à la retraite dans dix ans. La tentation peut aussi être forte de remettre en cause la crédibilité des syndicats du fait de leur mode de financement, qui repose insuffisamment sur les cotisations des adhérents. Il est facile d’évoquer cette dépendance financière vis-à-vis des bailleurs de fonds pour mettre en doute leur capacité à s’exprimer au nom des salariés. Leur dénier pourtant toute légitimité à parler au nom des travailleurs est un pas trop vite franchi. Les revendications qu’ils promeuvent et les représentations du monde social qu’ils véhiculent permettent d’imposer dans l’espace public des demandes sociales auxquels les partis politiques ne sont pas sensibles. Les syndicats continuent donc d’exercer une fonction de représentation. Et réciproquement, la baisse de l’audience syndicale ne vaut pas désyndicalisation du débat politique ou des conflits sociaux.

E & C : Cela reste-il vrai dans les entreprises ?

J.-M. P. : Faire de l’entreprise le lieu privilégié de la négociation collective est un piège. Cela ressemble à une bonne idée, puisque les syndicats semblent ainsi associés aux décisions de proximité. Dès lors qu’ils sont trop faibles pour assurer un minimum de coordination, cela conduit à une atomisation de la représentation et à l’abandon de larges franges du salariat, notamment celui des PME ou TPE, où n’existe pas de présence syndicale significative. Dans les grandes entreprises, la gestion stratégique des représentants tend à les éloigner des salariés, de telle sorte qu’ils deviennent des experts de la négociation souvent perçus comme plus proches des directions que des salariés. Par ailleurs, ces syndicalistes professionnels représentent le cœur des entreprises, c’est-à-dire les salariés en CDI, délaissant souvent la représentation des précaires et encore plus les salariés de la sous-traitance. Les firmes, d’ailleurs, ne s’y sont pas trompées : elles financent des droits syndicaux qui leur permettent d’acheter une relative paix sociale en interne et sous-traitent la flexibilité et les bas salaires. Sur le terrain, de nombreux syndicalistes se battent bien sûr pour dépasser cette situation, mais il faut constater que, lorsqu’ils font ce travail de représentation élargie, ils ne sont guère suivis par leur base. Quant aux employeurs, ils préfèrent segmenter la population salariée et n’acceptent pas de négocier au niveau d’une zone d’emploi ou d’englober la sous-traitance.

E & C : N’y a-t-il pas un paradoxe entre la faiblesse syndicale à la base et la persistance de l’impact syndical au plan national ?

J.-M. P. : Oui, la perte de substance de l’action syndicale à la base n’a pas tué leur rôle référentiel dans le débat public. Parce que les centrales, malgré ce déficit de représentativité sociologique, continuent de porter une voix dans la défense des salariés dans leur ensemble. Elles ont d’ailleurs largement montré cette capacité représentative dans les derniers grands combats contre le CPE ou la réforme des retraites par exemple. Elles le montrent aussi dans les grandes négociations avec le patronat. Le problème en France, et on en parle moins, c’est aussi la très faible culture de la négociation du patronat, qui préfère s’adresser à l’État pour obtenir ce qu’il souhaite plutôt que de lâcher du lest dans des compromis négociés. En 2003, la CFDT a pris un risque en acceptant la réforme des retraites contre un engagement à négocier la pénibilité, puisque le patronat n’a jamais donné suite à cette promesse. On est très loin des compromis à l’allemande !

PARCOURS

• Jean-Marie Pernot, docteur en sciences politiques, est chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociale (Ires). Il a travaillé comme attaché à l’Insee avant de devenir permanent syndical. À l’issue d’une réorientation professionnelle, il entre au Cevipof puis à l’Ires.

• Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Syndicats : lendemains de crise ? (Gallimard, 2005), La Grève, avec Guy Groux, (Presses de Sciences Po, 2007). Il a participé à l’ouvrage collectif Histoire des mouvements sociaux en France (La Découverte, novembre 2012).

LECTURES

• Les Nouvelles Dimensions du politique. Relations professionnelles et régulations sociales, L. Duclos, G. Groux et O.Mériaux (dir.), éditions LGDJ, 2009.

• Crises du syndicalisme français, René Mouriaux, éditions Montchrestien, 1998.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX