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Les syndicats ne feront pas de cadeaux

Actualités | publié le : 11.12.2012 | ÉLODIE SARFATI

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Les syndicats ne feront pas de cadeaux

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Nombre d’enseignes commerciales ouvrent leurs portes les dimanches du mois de décembre. Mais, pendant les fêtes, le contentieux continue sur le travail dominical. En région parisienne, les syndicats, FO en tête, ne désarment pas contre Bricorama, Castorama, Sephora, Autobacs…

Trois mois : c’est le délai de grâce accordé le 7 décembre à Castorama par le tribunal de grande instance de Bobigny. L’enseigne de distribution spécialisée, assignée par FO, échappe momentanément à la sanction pour l’ouverture dominicale de ses magasins de Villemonble et de Villetaneuse (93) sans autorisation préfectorale. Mais, faute de cette dérogation, le 15 mars prochain, le rideau de fer devra rester baissé, sous peine d’une « astreinte de 1 800 euros par jour et par salarié », a précisé l’avocat du syndicat.

Le 6 décembre, le TGI de Paris a certes permis à Sephora de continuer à ouvrir son magasin parisien des Champs-Élysées après 21 heures, en se déclarant incompétent, mais lui a ordonné de fermer le dimanche celui situé à Bercy, et a prononcé une astreinte de 50 000 euros par infraction constatée. Cette dernière décision satisfait pleinement l’intersyndicale du commerce de Paris (Clic-P), à l’origine de l’action, et qui n’attendait pas tant de sévérité.

Condamnations

Le (non) respect du repos dominical n’en finit donc pas d’occuper les bancs de la justice. Le 24 septembre, Decathlon se voyait obligé de fermer le dimanche son magasin de Montreuil (93) par le TGI de Bobigny. Le 14 novembre, c’est Autobacs, distributeur d’équipements automobiles déjà condamné pour non-respect du repos dominical, qui retournait devant le juge au tribunal de Pontoise. Et le 17 décembre, Bricorama connaîtra le montant des astreintes qu’il devra verser aux syndicats de Force ouvrière (la fédération du commerce et deux syndicats du Val-d’Oise) qui ont obtenu sa condamnation pour ouvertures dominicales illégales. Celles-ci pourraient s’élever à 37 millions d’euros ! Un record, car l’enseigne, qui n’a pas obtenu les dérogations qu’elle espérait, a continué d’ouvrir une trentaine de magasins entre sa condamnation par le TGI de Pontoise, en janvier, et la confirmation du jugement par la cour d’appel de Versailles le 30 octobre. En réaction, Bricorama a saisi la justice contre Castorama et Leroy Merlin pour concurrence déloyale. L’audience devait se tenir aujourd’hui.

Dans cette guérilla juridique, les syndicats affichent la nécessité de faire respecter la loi et de mettre fin aux dérives : « Après la loi Mallié, en 2009, les magasins se sont cru autorisés à ouvrir le dimanche, même sans dérogation », constate Éric Scherrer, président du Seci-CFTC. De leur côté, les enseignes visées jouent la carte de l’emploi. Après sa condamnation en appel, Bricorama laissait entendre que, si l’amende était confirmée, 500 emplois pourraient être, « à terme », supprimés. Sephora avait ainsi publié un communiqué dans plusieurs journaux affirmant que 45 postes auraient été touchés si son magasin des Champs-Élysées avait dû fermer à 21 heures. Jenny Urbina, déléguée CGT du distributeur, n’y a jamais cru : « Ce magasin est en sous-effectif, et les résultats de Sephora ne lui auraient pas permis de justifier des licenciements économiques. » Éric Scherrer poursuit : « En ouvrant le dimanche, les grandes entreprises font peser une menace plus grande pour l’emploi dans les PME du commerce, où, de surcroît, les temps partiels sont moins nombreux et les salaires plus élevés. »

Perte importante de rémunération

Ce qui est sûr en revanche, c’est que la rémunération des salariés concernés par le travail dominical – 7 000 personnes dans les magasins de bricolage, d’après la fédération – sera amputée des majorations, en général de 100 %, appliquées aux heures travaillées le dimanche. Du coup, les actions judiciaires des syndicats ne sont pas faciles à défendre sur le terrain. « À Bercy, les salariés qui vont perdre une part importante de leur rémunération m’appellent tous les jours, c’est très tendu, confirme Jenny Urbina. Mais si l’on accepte d’être dans l’illégalité, où s’arrête-t-on ? Le problème de fond, c’est le bas niveau des salaires de base. Il faut que les salariés le comprennent. »

À Bricorama, plusieurs centaines de salariés ont manifesté leur désapprobation, « surtout des cadres », affirme Kamel Remache, délégué syndical central FO, qui reconnaît avoir perdu quelques adhérents dans la bataille.

Pas simple non plus, notamment pour FO qui a gagné de nombreuses batailles judiciaires, de faire oublier que le montant des astreintes, lorsqu’elles sont liquidées, sont directement versées aux demandeurs, procédure civile oblige, et ne profitent pas aux salariés. Déjà conséquents, les gains du syndicat exploseraient si le juge décidait de liquider les astreintes de Bricorama la semaine prochaine.

Transactions

Pour désamorcer la situation, les syndicats de FO qui ont mené l’action ont proposé, début novembre, un deal à l’enseigne de bricolage : ils renonçaient aux astreintes en échange, notamment, de l’instauration d’un 13e mois. Un accord transactionnel de ce type avait été conclu avec Casa, fin 2007 : l’UD FO du Val-d’Oise avait renoncé à percevoir 240 000 euros, en échange d’un engagement à ne pas licencier du fait de la fermeture dominicale du magasin d’Herblay, et d’une revalorisation salariale pour les salariés.

Mais à Bricorama, les demandes du syndicat étaient impossibles à satisfaire, selon l’entreprise, qui fait valoir l’existence d’une prime d’intéressement équivalente à deux mois de salaire. En interne, toutefois, des négociations ont bien eu lieu. Un accord visant à octroyer une compensation financière aux salariés qui travaillaient le dimanche a été signé avec la CFDT et la CFTC. « Et nous avons obtenu des garanties pour l’emploi », assure Mostafa Senihji, délégué syndical national CFDT de Bricorama. L’enjeu juridique est important pour cette enseigne, car, en plus d’avoir à liquider les astreintes au profit de FO, « Bricorama pourrait avoir à indemniser individuellement tous les salariés qu’elle a fait travailler le dimanche si ceux-ci allaient aux prud’hommes », souligne Me Vincent Lecourt, l’avocat de Force ouvrière dans cette procédure.

L’État reste neutre

Aujourd’hui, chacun se tourne vers l’État : les grandes enseignes de bricolage réclament, à nouveau, une dérogation permanente pour ce secteur, comme celle dont bénéficient depuis 2008 les magasins d’ameublement, faisant valoir qu’ils commercialisent nombre de produits en commun. Les syndicats, eux, attendent des pouvoirs publics, généralement absents des procédures judiciaires, qu’ils fassent respecter plus strictement la loi : « Pour l’instant, l’État reste spectateur », regrette Éric Scherrer.

Le travail dominical en progression

Un tiers des employés du “commerce non alimentaire” travaillent le dimanche, d’après la Dares, dont 25 % de manière occasionnelle. Les “vendeurs en alimentation”, eux, sont concernés à 55 %, et, pour près de 4 salariés sur 10, le travail dominical est “habituel”.

Les salariés du commerce ne sont bien sûr pas les plus concernés par le travail du dimanche, qui est d’abord le lot des professions de sécurité et de protection, puis des services de santé et médico-sociaux. Toutefois, au global, le travail dominical, surtout habituel, est en nette progression : en 1990, il touchait 20 % des salariés ; en 2011, 29 % sont concernés. Il va aussi souvent de pair avec le travail du samedi, et des horaires tardifs ou variables, et concerne plus particulièrement les jeunes et les femmes.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI