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Enquête

« L’Union européenne est dépourvue de plan B quant à son modèle social »

Enquête | publié le : 27.11.2012 | E. S.

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« L’Union européenne est dépourvue de plan B quant à son modèle social »

Crédit photo E. S.

E & C : Depuis 2006, l’Europe promeut un modèle social fondé sur les principes de la flexicurité. Les réformes à l’œuvre dans les pays européens depuis le début de la crise remettent-elles en cause ce modèle ?

C.-E. T. : La flexicurité, même si elle ne s’est pas vraiment imposée hors des Pays-Bas et du Danemark, et prend un sens très différent selon les marchés du travail nationaux, se définit par un contenu – assouplissement de certaines règles du marché du travail en échange du renforcement d’autres protections sociales – et une méthode, celle d’un dialogue social approfondi. Au début de la crise, en 2008 et 2009, les pays européens ont pris des mesures qui sont allées dans le sens d’une certaine flexicurité. Je pense au renforcement, voire à la création dans certains pays de l’Est, des dispositifs d’activité partielle, et à l’importance accordée à la concertation sociale – la Pologne a négocié un accord tripartite pour la première fois.

Or, après 2010, la crise des dettes publiques a conduit les pays européens à adopter des réformes structurelles, qui ont souvent mis de côté la sécurisation des parcours, au profit d’une flexibilité sans contreparties.

E & C : Est-ce une tendance générale ? Toutes ces réformes vont-elles dans ce sens ?

C.-E. T. : Il y a des différences. La réforme italienne comporte des éléments que l’on pourrait relier à la flexicurité, et, à défaut de consensus, elle ne suscite pas l’hostilité ouverte des partenaires sociaux. En France, si un accord – équilibré – est trouvé sur la sécurisation de l’emploi, on pourra y voir une vitrine du concept de flexicurité, alors que la France est l’un des pays les plus réservés, à l’origine, sur cette notion.

Mais dans les pays les plus touchés par la crise comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou plusieurs pays d’Europe centrale, on constate que par gros temps, la flexicurité ne fonctionne pas. On ne recherche plus d’équilibre dans les réformes. Et, fait nouveau, ce sont les instances communautaires qui accentuent ces déséquilibres.

E & C : De quelle manière ?

C.-E. T. : Depuis 2011, la gouvernance économique a pris le dessus. Alors que l’Union européenne ne s’est pas donnée de compétences sur certaines matières sociales, comme les salaires ou les retraites, elle a octroyé de nouveaux pouvoirs aux instances économiques et financières, qui décident d’orientations importantes dans ces mêmes domaines. Tout ceci hors des lieux de gouvernance, comme le sommet social tripartite qui, lui, ne s’est pas réuni depuis longtemps. L’Union européenne, partie prenante de la Troika, a imposé ou laissé faire des réformes de flexibilisation pure et des baisses de salaire en Grèce, au Portugal, en Lettonie, en Roumanie… Dans le même temps, la Commission européenne continue, dans ses discours, d’ériger la flexicurité en référence ! Mais cette rhétorique tourne à vide. Seulement l’Europe n’a rien d’autre à proposer. Elle est dépourvue de plan B quant à son modèle social.

E & C : Le droit communautaire peut-il redonner un cadre européen à ces réformes ?

C.-E. T. : Non, car il est sévèrement en panne. Il y a un accord majoritaire des États membres pour ne plus produire de directives sociales qui date d’avant la crise. La directive sur l’intérim de 2008 est l’aboutissement d’un processus qui a duré plus de dix ans. La révision de la directive temps de travail, initiée fin 2010, est bloquée tant les désaccords sont profonds entre les pays membres.

Or, pendant que l’Europe ne légifère plus, les réalités du travail ont profondément changé. En matière de gestion des mutations économiques, il y a des besoins de régulation indispensables, en matière de sous-traitance, de protection des travailleurs indépendants… L’initiative récente, prise par le Parlement européen, de saisir la Commission pour qu’elle propose une directive sur l’anticipation des restructurations est une bonne chose. Mais ce projet se heurte déjà à un intense lobbying, dont il n’est pas sûr qu’il sorte gagnant.

* Association Travail, Emploi, Europe, Société.

Auteur

  • E. S.