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Enquête

DES MESURES QUI PEINENT À S’IMPOSER

Enquête | publié le : 27.11.2012 | ANNE LE NIR

Point majeur de la réforme italienne, la suppression de la réintégration automatique aux effectifs en cas d’annulation du licenciement n’a pas levé les incertitudes juridiques pour les employeurs.

Lorsqu’elle parle de la réforme du marché du travail, entrée en vigueur le 18 juillet dernier, la ministre du Travail, Elsa Fornero, met d’abord en avant les mesures de lutte contre le travail précaire : « Nous sommes favorables à une plus grande stabilisation au moment où le travailleur intègre une entreprise, parce que les contrats précaires ne permettent pas d’investir sur la formation et sur le capital humain qui, lui-même, permet d’augmenter la productivité. »

Limitation des contrats précaires

De fait, bon nombre de contrats précaires ont été éliminés. Les CDD sont limités à 36 mois, et des mesures ont été introduites pour mettre un frein aux contrats conclus avec de faux travailleurs indépendants ou pour restreindre le champ d’application des contrats de projet. L’indication du motif n’est plus obligatoire pour un premier CDD, mais celui-ci ne pourra excéder douze mois ni être renouvelé.

Licenciements facilités

En contrepartie, la réforme vise à faciliter les procédures de licenciement. C’est pour cela que l’article 18 du statut des travailleurs, qui date de 1970, a été modifié. Il prévoyait l’obligation, pour les entreprises de plus de quinze salariés, de réembaucher le salarié dont le licenciement avait été jugé illégitime, ainsi que le versement d’une indemnité compensant les salaires non payés. Désormais, la réintégration ne devient automatique que dans le cas où le licenciement est jugé discriminatoire. En cas d’annulation d’un licenciement disciplinaire ou économique, le juge peut aussi la prononcer s’il estime que les motivations sont privées de fondement, ou se limiter à obliger l’entreprise à verser une indemnisation de 12 à 24 mensualités.

Après quatre mois d’application, les avis sont partagés sur les effets de la réforme, qui semble ne contenter personne. Côté syndical, Claudio Trevers, responsable du Département des politiques actives du travail à la CGIL, juge que « les embauches en CDD continuent d’autant plus que la crise pèse durement ». Côté patronal, le président de la Confindustria, Giorgio Squinzi, estime que son plus grand défaut est de « réduire la flexibilité à l’entrée sans améliorer la flexibilité à la sortie ». Les partenaires sociaux, hormis la CGIL, ont toutefois signé, le 21 novembre, un accord interprofessionnel pour la compétitivité qui « valorise » les accords conclus localement dans les entreprises.

Quant à la suppression de l’article 18, qui a tant fait couler d’encre, l’expert en droit du travail et enseignant à l’université Bocconi, Maurizio Del Conte, estime que « paradoxalement, elle unit entreprises et syndicats dans une même insatisfaction ». Pour lui, cette modification rate son objectif. Car la réintégration est désormais laissée à l’appréciation du tribunal, « ce qui renforce le pouvoir des juges et augmente l’incertitude juridique pour les entreprises ». Preuve, pour lui, que la réforme a été élaborée par des techniciens « qui pèchent par excès de théorie et qui n’ont pas la connaissance réelle de la gestion du personnel et des fonctionnements de la justice ».

Éviter les recours en justice

Pietro Ichino, professeur de droit du travail à l’université de Milan, est moins pessimiste : « La réforme devrait permettre d’enregistrer une nette augmentation – plus de 50 % – des conciliations entreprises-salariés permettant d’éviter les recours en justice. » En attendant de pouvoir dresser un bilan, le premier jugement après l’entrée en vigueur de la réforme tend à confirmer que ces nouvelles règles ne portent pas leurs fruits. Ainsi, le tribunal de Bologne a dû juger le cas d’un salarié licencié pour raison disciplinaire. Après un courriel de son supérieur hiérarchique lui demandant « une planification plus précise de ses activités », il avait répondu : « Parler de planification, au sein de l’entreprise, c’est comme parler de psychologie à un porc. » Le juge a décidé que, « juridiquement, le fait n’était pas suffisamment grave pour justifier un licenciement », et ordonné sa réintégration.

Par ailleurs, le professeur Del Conte rejoint la position des syndicats et de divers partis politiques quand il pointe du doigt le fait que la réforme ne soit accompagnée d’aucune mesure concrète en matière de productivité et de baisse du coût du travail. Dans un contexte de forte augmentation du chômage des jeunes, les partis de centre gauche ont annoncé clairement que, s’ils remportent les législatives du printemps 2013, la réforme sera modifiée.

Auteur

  • ANNE LE NIR