logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Refuser d’être cadre ne signifie pas refuser d’évoluer »

Enjeux | publié le : 27.11.2012 | VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

Image

« Refuser d’être cadre ne signifie pas refuser d’évoluer »

Crédit photo VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

Nombre de salariés des professions intermédiaires ne veulent pas devenir cadres. Les raisons qu’ils mettent en avant relèvent d’aspects personnel et organisationnel, mais sont souvent fondées aussi sur des représentations. Cette réticence ne signifie pas pour autant qu’ils refusent d’évoluer professionnellement.

E & C : Vous avez dirigé pour le Céreq (1), dont le Creg est centre associé, une étude intitulée “Devenir cadre, une perspective pas toujours attrayante”. Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

Nathalie Bosse : C’est un sujet qui a émergé lors d’entretiens avec des salariés et des responsables d’entreprise, que nous avons conduits dans le cadre d’une étude pilotée par le Céreq et portant sur les professions intermédiaires (2), une catégorie peu étudiée dans la littérature. Réalisés dans une trentaine de sociétés, ces entretiens ont donné lieu à la rédaction de monographies d’entreprises.

Interrogés, entre autres, sur leurs perspectives d’évolution et leurs projets professionnels, plusieurs de ces salariés nous ont dit ne pas avoir envie de devenir cadres. Certains se sont même montrés très réticents à cet égard. Or on pourrait supposer que le souhait de passer cadre est quelque chose de naturel.

Ces réticences m’ont donc intriguée et j’ai cherché, puis trouvé, une étude de l’Apec, datant de 2009, apportant une quantification de ce phénomène : selon cette dernière, 28 % des techniciens, 41 % des agents de maîtrise et contremaîtres ainsi que 33 % des autres professionnels intermédiaires n’expriment pas ce souhait. Sur l’ensemble des salariés non cadres du secteur privé, la proportion est d’environ 50 %. Ces chiffres ne sont pas anodins. Nous avons donc exploité les explications qu’ils nous avaient données, afin d’analyser les raisons de ces réticences.

E & C : Quelles sont les raisons invoquées ?

N. B. : Le frein le plus souvent cité est, incontestablement, la peur d’avoir des difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale. Ils affirment clairement : « Certes, je ne suis pas très bien payé, mais je préfère rester au niveau auquel je suis, afin de privilégier mes impératifs familiaux ». Cette question est particulièrement sensible dans les propos des femmes. Les études montrent en effet que l’arrivée d’un enfant marque une rupture dans leurs trajectoires professionnelles, alors qu’elle influe peu sur celle des hommes. Une jeune femme de 30 ans m’a par exemple dit ne pas vouloir devenir cadre afin d’anticiper une future grossesse. Une autre, élevant seule ses enfants, considérait ce statut comme incompatible avec cette situation.

Les répondants font aussi un lien entre stress et statut cadre. Et l’idée que ce stress puisse perturber leur vie privée est aussi un frein, de même que l’obligation de mobilité géographique parfois liée à ces promotions.

E & C : Ces réponses sont-elles fondées sur une mauvaise image des cadres ?

N. B. : Ces salariés s’appuient davantage sur des représentations qu’ils se font du rôle et de l’activité des cadres que sur une connaissance réelle du contenu du travail de ces derniers. Ainsi, l’un d’eux assure qu’il « n’a aucune visibilité de ce que font les cadres » dans son entreprise… et affirme malgré tout qu’il n’a pas envie d’occuper un tel poste. Ces représentations sont, pour certaines, fondées sur des réalités confirmées par diverses études – horaires plus importants, stress… Ceci dit, elles reposent aussi sur des idées et des ressentis. Par ailleurs, certains salariés ont en effet une image plutôt négative des cadres : ils les voient comme éloignés du terrain ou comme un groupe où règnent tensions et conflits. Les cadres sont aussi perçus comme appartenant à une catégorie à part. Un salarié raconte qu’une distance s’est créée avec eux au fur et à mesure que son entreprise a grandi. Cet exemple illustre une autre idée, répandue dans les réponses que nous avons eues : passer cadre signifie s’éloigner de ses collègues. Or ces gens se sentent bien à leur poste du moment.

Passer cadre induit également, assurent-ils, de défendre les orientations stratégiques de la direction, ce qui peut parfois les gêner : pour une assistante RH, devenir DRH signifierait ainsi « passer de l’autre côté ». Certaines directions confirment d’ailleurs cela en privilégiant le recrutement extérieur pour les encadrants plutôt que la promotion interne, afin, disent-elles, d’éviter des problèmes de positionnement avec d’anciens collègues.

E & C : Certains freins ne relèvent-ils pas effectivement de l’organisation ?

N. B. : Nous pensons que ce manque d’envie de passer au statut cadre est, dans certains cas, une intériorisation du manque de perspectives dans l’entreprise. Par ailleurs, les règles de promotion semblent parfois méconnues. Elles sont perçues comme floues, au résultat incertain, trop sélectives et faisant l’objet d’un faible accompagnement de la part des managers.

La sélection peut aussi être vécue comme une épreuve. Les directions n’ont pas de vision de ces réticences éventuelles et de leurs causes, tout simplement parce que les salariés n’ont pas l’occasion de l’exprimer, sauf si on le leur demande explicitement. Du coup, lorsqu’ils l’apprennent, certains dirigeants le perçoivent comme un manque d’engagement. Lors de la sortie de notre étude, un commentateur a qualifié ces salariés de “gagne-petit” ; ils ne le sont absolument pas ! Nos entretiens prouvent que leur refus de passer cadre ne signifie pas qu’ils n’ont pas envie d’évoluer professionnellement, de se former dans leur métier, etc. Si l’employeur ne le comprend pas, il y a un risque de désinvestissement de la personne, voire de mobilité externe.

E & C : Faut-il et peut-on les faire changer d’avis ?

N. B. : Pour certaines autres directions, ce positionnement ne pose pas de problème. Elles voient même plutôt ces salariés comme moins exigeants en gestion de carrière. Cependant, on peut faire évoluer leurs représentations. Ainsi, pour les répondants à notre étude, devenir cadre signifie devenir manager et donc renoncer à leur métier, à leur technicité. Ils disent ne pas avoir d’intérêt pour l’activité d’encadrement et ne pas se sentir compétents pour cela. Ils pensent notamment ne pas posséder les compétences relationnelles nécessaires. On retrouve même l’idée que le management repose sur des qualités naturelles. On peut donc leur expliquer que manager s’apprend et les accompagner vers la formation. Les dispositifs de reconnaissance des compétences – VAE, bilans… – sont notamment mobilisables pour cela. Et, si la personne ne veut vraiment pas devenir cadre, elle peut malgré tout évoluer dans son métier ou aller vers d’autres activités. Les salariés qui nous ont répondu sont en tout cas convaincus que l’accès à l’encadrement n’est pas un passage obligé.

(1) N. Bosse, avec L. Baraldi, W. Cavestro, C. Durieux C., Bref n° 298-2, avril 2012.

(2) Ouvrage collectif à paraître en 2013 aux éditions Armand-Colin.

PARCOURS

• Nathalie Bosse est, depuis 2008, chargée d’études au Centre de recherche en économie de Grenoble (Creg) de l’université Pierre-Mendès-France, centre associé au Céreq.

• Elle est titulaire d’un DEA en Évaluation et comparaison internationales en éducation de l’université de Bourgogne. Elle y a travaillé ensuite au sein de l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu).

LECTURES

• Comment les non-cadres perçoivent les cadres, Apec, octobre 2009.

• Le passage cadre en entreprise. Analyse compréhensive d’une promotion toujours d’actualité et diversement accessible, J.-P. Cadet, Nef n° 49, Céreq 2012.

• Devenir cadre par la promotion. Données de cadrage. M. Möbus, avec A. Delanoë et F. Ryk, Nef n° 47, Céreq 2011.

Auteur

  • VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE