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La pluriactivité, solution d’Europ Voyages contre le turnover

Pratiques | publié le : 20.11.2012 | VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

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La pluriactivité, solution d’Europ Voyages contre le turnover

Crédit photo VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

Le groupe limousin Europ Voyages vient de s’engager dans un vaste plan de GPEC territoriale élaboré et financé avec et par l’Opca Transports et la Direccte. L’objectif de ce spécialiste du transport scolaire de fidéliser ses salariés, souvent en temps partiel subi, rejoint celui de l’État de sécuriser les parcours professionnels. Un exemple appelé à faire école ?

Spécialisé dans le transport scolaire, le groupe limousin Europ Voyages (320 personnes) s’est engagé avec les pouvoirs publics dans un plan innovant de GPEC dans une logique territoriale. Comme les autres sociétés de transport routier de voyageurs (TRV) de sa région, Europ Voyages connaît en effet un turnover très important. Faute de pouvoir trouver des activités complémentaires dans les départements ruraux de la Creuse et de la Haute-Vienne, il ne peut proposer à ses conducteurs que du temps partiel. Les quelque 30 % d’anciens retraités de l’armée, de la RATP ou d’autres entreprises qu’il emploie s’en satisfont, sachant que leur âge les conduira à ne rester que quelques années. Mais les salariés en début ou milieu de carrière, qui subissent ce temps partiel (ils représentent un autre tiers de l’effectif, le dernier tiers étant constitué des administratifs), sont prompts à partir pour un emploi moins précaire.

Des contraintes trop lourdes à gérer

Pour Europ Voyages, ces contraintes étaient devenues, en 2011, « trop lourdes à gérer », selon Philippe Landreau, responsable du Getrav, groupement d’employeurs servant de centre de formation et de service RH partagé. Lourde, car l’entreprise manque de remplaçants à solliciter au pied levé en cas de démissions, mais aussi parce que sa masse salariale est réduite, alors que les formations obligatoires sont onéreuses (100 000 euros par an). L’obligation légale du plan de formation de l’entreprise ne suffisant pas, Europ Voyages devait, chaque année, piocher dans sa trésorerie pour satisfaire à ces obliga– tions. Il ne restait ensuite aucun financement pour des formations touchant les cadres et les administratifs ou portant sur d’autres thèmes.

Diagnostic de l’Opca Transports

C’est pourquoi, en 2011, lorsque le directeur général d’Europ Voyages, Patrick Bonnet, a demandé au Getrav de former ses conducteurs à « l’écoconduite rationnelle », Philippe Landreau a sollicité les conseils financiers de l’Opca Transports. Celui-ci a conduit un prédiagnostic, suivi d’un diagnostic poussé réalisé par un consultant, qui ont révélé des tensions et des besoins plus larges : « De six salariés à sa création en 1981, la société est passée à plus de 300 répartis sur sept sites, sans structuration de l’organisation et du management, constate Philippe Landreau. De fait, les diagnostics ont pointé des dysfonctionnements et préconisé la formation des cadres au management. »

Face à l’ampleur des chantiers, l’Opca Transports a sollicité l’État, qui a répondu à l’appel. « La sécurisation des parcours des travailleurs précaires entre dans les missions du service “accompagnement des mutations économiques” », assure Nadia Rolshausen, responsable de celui-ci au sein de la Direccte. Elle a donc signé dans ce but, fin 2011, une convention Edec (Engagement de développement de l’emploi et des compétences) avec l’antenne limousine de l’Opca Transports, dont Europ Voyages est le premier bénéficiaire. En contrepartie des aides publiques, ce groupe s’engage à maintenir ses effectifs pendant deux ans ou, s’il devait absolument licencier, à accompagner les personnes vers un retour à l’emploi. « Cette convention est un nouvel outil mis en place par l’État, commente Nadia Rolshausen. Il y en a encore peu d’applications en France. »

Choix des thèmes les plus généraux et les plus transférables

Le plan d’action élaboré sur dix-huit mois prévoit la formation de 193 salariés (conducteurs, mécaniciens, administratifs), dont 180 font partie des publics prioritaires de l’État (bas niveau de qualification, femmes seules, etc.). Quelque 7 800 heures seront financées, sur 35 thèmes. Pour les conducteurs, il s’agit non seulement de la conduite rationnelle souhaitée par le dirigeant, mais aussi de la gestion de conflits, de la sécurité en transport scolaire, etc.

Pour les exploitants, il s’agit de management, de communication, de gestion de production ou encore de droit du travail. « Cela doit permettre à ces personnes, souvent formées sur le tas, de comprendre les impacts financiers et juridiques de ce qu’elles font », explique le responsable du Getrav. Quant aux mécaniciens de l’atelier, l’objectif est de développer leur polyvalence. « Nous veillons à ce que ce plan bénéficie avant tout aux salariés, explique Nadia Rolshausen. Nous avons choisi les thèmes les plus généraux et les plus transférables, les moins immédiatement rentables pour l’entreprise. » Une formation au premier niveau d’informatique est également prévue, même pour des gens qui ne l’utilisent pas à leur poste de travail. Bilan : actuellement, 124 salariés ont déjà suivi ou suivent des formations. Et dix d’entre eux, formés au tutorat, ont vu leur temps partiel augmenté pour assurer cette mission.

En parallèle, le Getrav conduit des entretiens individuels. Objectifs : cerner au mieux les besoins en formation de chacun, mais également préciser dans quelle mesure le salarié subit le temps partiel et s’il est d’accord pour avoir un second employeur, quelles compétences extraprofessionnelles il pourrait valoriser pour cela, etc. En effet, le second volet du plan d’action, qui n’est pour l’heure qu’amorcé, consiste à développer la pluriactivité. « Des possibilités existent dans l’agriculture, les services à la personne et un peu dans l’artisanat, note Nadia Rolshausen. Nous avons d’ores et déjà prévu des financements de formation pour répondre à d’autres besoins spécifiques qui se présenteraient au fil des mois. »

Au cours de ces entretiens, des bilans de compétences, des formations en DIF ou des VAE sont proposés aux salariés. « Mais ils restent méfiants : ce sont des mots nouveaux pour eux, commente Philippe Landreau. La plupart attendent que les dix premiers volontaires au bilan sur les 60 financés aient terminé leur parcours. Je suis certain qu’après, il faudra au contraire sélectionner. Nous choisirons alors les personnes aux niveaux les plus bas. »

La VAE attire en revanche beaucoup les personnels administratifs : plus de 20 d’entre eux veulent en bénéficier, alors qu’elle n’a été budgétée que pour 19 personnes. « On pourra toujours se débrouiller pour tous les satisfaire hors du plan d’action, rassure le responsable du groupement. Celui-ci a pour principal intérêt d’impulser le mouvement. »

Création d’un “passeport formation” pour chaque salarié

Toutes ces initiatives en matière de formation et d’entretien individuel sont accompagnées par une importante logistique de GPEC : toutes les fiches de postes, inexistantes jusqu’alors, ont été formalisées et sont désormais intégrées aux outils de pilotage en ligne des compétences et des formations proposés par l’Opca Transports (T-Compétences et T-Formation), permettant ainsi de créer pour chaque salarié un “passeport formation” demandé par la Direccte.

« Moi-même, qui suis issu du monde de la formation, je découvre tout cela. C’est très intéressant ! commente Philippe Landreau. Je vais essayer de le diffuser auprès des autres entreprises membres du Getrav, qui sont des PME familiales. »

L’ESSENTIEL

1 De novembre 2011 à mars 2013, près des deux tiers des 320 salariés d’Europ Voyages doivent être formés dans le cadre d’une GPEC territoriale, la majorité faisant partie des publics prioritaires : bas niveau de qualification, femmes seules…

2 L’objectif à terme est de proposer aux salariés à temps partiel une pluriactivité locale, dans d’autres secteurs : l’agriculture, les services à la personne, l’artisanat…

3 Le financement de 465 000 euros provient de l’État (FNE), du Fonds social européen et de l’Opca Transports.

Un cofinancement

La convention passée entre l’Opca Transports et la Direccte a prévu d’engager, entre le 7 novembre 2011 et le 30 mars 2013, 465 000 euros. Sur cette somme, 163 000 euros sont financés par l’État sur le FNE, car il s’agit d’un projet collectif ; 135 000 euros par le Fonds social européen (FSE) au titre de la sécurisation des parcours des personnes ayant un bas niveau de qualification, et 166 000 euros par l’Opca au titre du plan de formation de l’entreprise et des fonds mutualisés de la professionnalisation. À mi-septembre 2012, 85 960 euros étaient déjà engagés, dont 55 165 en coûts pédagogiques. Sur cette dernière somme, 29 470 sont pris en charge par la Direccte et 24 864 par l’Opca.

Un modèle pour la branche ?

La délégation du Limousin de la Fédération nationale du transport de voyageurs (FNTV) se préoccupe depuis 2008 des difficultés de fidélisation dans la branche : étude sur le devenir des personnes formées, opérations collectives de préparation à l’emploi… C’est même l’un des axes majeurs de l’Edec signé avec la région en décembre 2011.

Dans ce cadre, la FNTV a confié à l’Aract, en mars dernier, une nouvelle étude qui doit aboutir en fin d’année. Objectif : mieux comprendre les raisons du fort turnover et faire des préconisations pour y remédier. Présent au comité de pilotage, Philippe Landreau, du Getrav, fait connaître l’expérience d’Europ Voyages, qui pourrait ainsi être reproduite.

Auteur

  • VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE