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Enquête

LES COMPLÉMENTAIRES À L’ÉPREUVE DES FUSIONS

Enquête | publié le : 13.11.2012 | SABINE GERMAIN

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LES COMPLÉMENTAIRES À L’ÉPREUVE DES FUSIONS

Crédit photo SABINE GERMAIN

En ces temps de rigueur salariale et de flambée des frais de santé, la protection sociale complémentaire est devenue un enjeu de négociation. Les employeurs veulent bien jouer le jeu, à condition de maîtriser les budgets globaux. L’harmonisation des régimes en vigueur à l’intérieur d’un même groupe est l’occasion de passer les prestations au scanner et de générer des économies d’échelle. Bref : de faire mieux pour le même prix.

Après une fusion, l’harmonie des régimes de protection sociale des entreprises n’est pas automatique : « Si ces régimes ont été mis en place par décision unilatérale de l’employeur ou après un référendum, ils peuvent être reconduits », explique Marie-Maud Vinot, avocate au sein du cabinet August & Debouzy. En revanche, s’ils ont été créés dans le cadre d’un accord collectif, ils doivent – comme tout autre accord collectif – être renégociés dans un délai de quinze mois suivant la fusion : trois mois pour dénoncer l’accord sans ouvrir de négociation, puis douze mois pour aboutir à un nouvel accord.

Que se passe-t-il si l’employeur et les partenaires sociaux ne parviennent pas à un nouvel accord ? Situation épineuse… Car, si les deux régimes perdurent, la sécurité sociale peut contester les exonérations de cotisations sociales patronales (lire p. 24). En revanche, si l’entreprise absorbante étend son régime à l’entreprise absorbée, les salariés lésés par une détérioration de leur couverture peuvent invoquer la perte d’un avantage individuel acquis. « La jurisprudence n’a pas vraiment tranché, commente Marie-Maud Vinot. On peut en effet considérer que les couvertures santé et prévoyance sont par essence collectives. Ce ne sont donc pas des avantages individuels. »

Douze mois pour négocier

Moralité : mieux vaut éviter de se trouver dans cette situation, en ouvrant au plus vite les négociations. Les douze mois accordés par la loi ne sont pas de trop tant la matière est complexe et le sujet sensible. « Avec la crise, les augmentations de salaire sont limitées, observe Abdel Belaroussi, responsable du réseau commercial de proximité du groupe de prévoyance Klesia. La protection sociale complémentaire apparaît comme une forme de rémunération différée qui coûte moins cher que le salaire. C’est un enjeu de plus en plus important dans les négociations avec les partenaires sociaux. »

A fortiori quand le coût de la couverture santé explose : au cours des dix dernières années, les augmentations tarifaires ont été supérieures à 5 % par an. « Il y a une quinzaine d’années, un bon régime de santé coûtait environ 4 % du plafond annuel de la sécurité sociale – le Pass, de 3013 euros mensuels en 2012 –, observe Philippe Burger, associé responsable rémunération et avantages sociaux chez Deloitte. Aujourd’hui, il faut plutôt compter 6 % à 7 % du Pass. Et, comme les frais de santé continuent à augmenter plus rapidement que le Pass, on sera bientôt à plus de 8 % : le coût de la protection sociale complémentaire représentera alors un mois de salaire. »

C’est bien une forme de rétribution « à laquelle les partenaires sociaux ont toujours été sensibles, constate Philippe Trémoureux, directeur du marché des entreprises du groupe de prévoyance Humanis. Les employeurs aussi apprécient cet avantage social, mais ils ne sont pas prêts à le payer à n’importe quel prix ». Les entreprises financent en moyenne 40 % à 60 % de la cotisation totale : un complément de salaire exonéré de cotisations sociales patronales dès lors que le régime est obligatoire et collectif. Cela finit tout de même par représenter des montants importants. « D’où l’importance de bien piloter ses régimes de santé et de prévoyance, afin d’obtenir les meilleures garanties au meilleur coût », poursuit-il.

Une remise à plat complète

De ce point de vue, l’harmonisation de régimes existant au sein d’un même groupe est un excellent levier d’optimisation des coûts. Ce n’est donc pas étonnant si des groupes tels que PSA Peugeot Citroën ou Areva (lire p. 25 et 27), dont la constitution remonte à une dizaine d’années, viennent tout juste d’aboutir à un accord d’harmonisation de leurs régimes de protection sociale (santé et prévoyance). « C’est l’occasion d’une remise à plat complète, reposant sur la confrontation entre les besoins des salariés et la marge de manœuvre de l’entreprise », commente Philippe Trémoureux. Les habitudes de consommation varient considérablement d’une entreprise à l’autre et même d’un département à l’autre. Avec un facteur discriminant essentiel : l’âge des salariés. Le principe même de l’assurance est la mutualisation des coûts. Mais les consommations augmentent clairement avec l’âge : « De 50 euros par mois à 20 ans, elles passent à 100 euros à 40 ans, 160 à 60 ans et 200 euros au-delà », détaille Philippe Burger. Or la loi Évin de 1989 prévoit que les retraités doivent pouvoir continuer à bénéficier de leur complémentaire santé à un tarif qui ne peut être majoré de plus de 50 %. Autrement dit, si le tarif moyen est de 100 euros par mois, leur cotisation ne peut dépasser 150 euros, ce qui représente un déficit de 50 euros. Avec l’explosion de certains postes de dépenses (dentaire et optique, notamment), de nombreux régimes plongent dans le rouge, avec des déficits parfois considérables. Il n’y a alors que deux solutions : soit l’employeur renfloue le régime, soit l’assureur augmente les tarifs, de façon à éponger le déficit.

En tout état de cause, l’employeur – qui finance souvent plus de la moitié des cotisations – voit ses charges s’alourdir. L’équilibre financier des régimes mis en place est ainsi devenu une priorité. La remise à plat d’un régime passe par une cartographie des consommations des cotisants et des ayants droit (conjoints ou enfants), afin d’identifier les écarts par rapport aux moyennes observées.

Fixer des garde-fous

Cette cartographie peut être une excellente base de négociation avec les partenaires sociaux : « C’est en jouant la carte de la transparence qu’on peut les associer à nos décisions », estime Agnès Penchaud, DRH du groupe Grandvision France (lire p. 25). Y compris aux décisions les plus désagréables, comme le plafonnement de certaines dépenses lourdes (optique ou dentaire, par exemple).

« Il existe aujourd’hui des moyens d’encadrer des dépenses de santé, explique Abdel Belaroussi. En fixant des garde-fous : si les dépenses optiques ou dentaires sont bien remboursées, elles peuvent faire l’objet d’un plafonnement annuel. Ou en orientant les adhérents vers un réseau de soins. »

Ces plates-formes de santé regroupent des praticiens agréés (essentiellement des opticiens, des dentistes et des audioprothésistes) qui accordent des tarifs inférieurs de 15 % à 30 % en optique et de 20 % en dentaire aux assurés des mutuelles adhérant au réseau.

La formule peut paraître contraignante : « Nous n’étions pas emballés par l’adhésion au réseau Santéclair imposée par le nouvel accord groupe d’Areva, explique Jean-Pierre Bachmann, négociateur pour la CFDT. Mais cela faisait partie de la négociation. » Car, in fine, le groupe a aligné les vingt-quatre régimes préexistants vers le haut, en améliorant la couverture de nombreux salariés.

L’ESSENTIEL

1 De nombreux régimes de couverture santé complémentaire se trouvent dans une situation de déficit liée à la hausse des coûts de certaines prestations.

2 Les entreprises sont confrontées à la nécessité légale d’unifier le traitement des salariés.

De plus, ceux-ci sont très attachés à cet avantage, considéré comme un élément de rémunération différée.

3 Dans les négociations d’accords collectifs suivant des fusions, les employeurs explorent les pistes permettant de maîtriser les coûts, comme le plafonnement de certaines dépenses ou l’orientation vers un réseau de soins.

Auteur

  • SABINE GERMAIN