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« La formation professionnelle doit redevenir une seconde chance »

Enjeux | publié le : 13.11.2012 | GAËLLE PICUT

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« La formation professionnelle doit redevenir une seconde chance »

Crédit photo GAËLLE PICUT

La formation professionnelle ne produit toujours pas les effets attendus en termes d’intégration ou d’évolution professionnelles, à cause de la survalorisation de la formation initiale et du culte du diplôme. Il est urgent de lui redonner toutes ses ambitions et de valoriser l’expérience.

E & C : Vous avez le sentiment que la formation professionnelle ne progresse pas en France. Pourquoi ?

Danielle Kaisergruber : Même si des efforts ont été réalisés, je dresse les mêmes constats sur les dysfonctionnements et impasses qu’il y a vingt ou trente ans. Quelques exemples : la formation permanente va à ceux qui en ont le moins besoin, la formation initiale est faussée car l’orientation vers les filières professionnelles est effectuée par défaut, la formation professionnelle ne joue pas son rôle d’ascenseur social, etc. Pourquoi ? Pour faire face aux mutations incessantes, les entreprises ont majoritairement mis en place des formations d’adaptation et non pas des formations qualifiantes, qui offrent des perspectives de progression. La France est le dernier pays européen en matière d’obtention de diplômes en cours de vie active.

D’autre part, on a développé la formation “remède” pour répondre au problème du chômage, pour aider les chômeurs à accéder à un emploi. En France, nous sommes dans un système où l’on achète sa carte de visite et sa place dans la société grâce à la formation initiale et au diplôme. La formation professionnelle ne corrige pas – plus – les inégalités de départ, et pourtant, nous sommes l’un des pays qui dépensent le plus pour la formation des adultes.

E & C : Vous dénoncez une opposition irréductible entre le général (formation initiale) et le professionnel.

D. K. : Les oppositions restent très fortes entre le général – plus noble – et le professionnel, entre la formation initiale et la formation permanente, l’abstrait et l’action. La VAE a pour ambition de dépasser ce clivage. C’est une belle idée d’avoir voulu reconnaître le rôle de l’expérience en la validant par un titre, mais elle reste réservée à quelques-uns. Il faudrait que le parcours soit plus rapide, or il est de l’ordre de dix-huit mois en France contre trois mois en Suède, plus accessible et moins scolaire. On a également développé l’apprentissage et les contrats en alternance, parfois avec succès dans certaines grandes entreprises. Mais ils ne font pas toujours le lien entre l’école et l’entreprise. On ne donne pas assez d’importance au troisième pilier : l’entreprise où l’on apprend avec son maître d’apprentissage. La façon dont le tuteur peut travailler avec le centre de formation n’a pas été suffisamment formalisée. Et rares sont ceux vraiment formés à ce rôle. Je regrette que l’on ne fasse pas plus confiance à l’entreprise dans sa mission de transmission de contenus éducatifs, et pas seulement dans l’apprentissage d’un métier, de gestes techniques.

E & C : Vous estimez qu’une piste serait d’encourager la flexisécurité. Quelle forme prendrait-elle ?

D. K. : Le contrat de transition professionnelle, par exemple, qui a évolué vers le contrat de sécurisation professionnelle, est intéressant. Il offre un filet de sécurité important mais surtout un accompagnement sérieux et régulier aux personnes concernées par un licenciement. Les conseillers de ce dispositif suivent environ 40 à 50 personnes, contre 100 à 150 pour un conseiller Pôle emploi. L’accompagnement fait la qualité des transitions professionnelles. Le problème est que Pôle emploi fait du retour à l’emploi sa priorité, davantage que l’accès à une formation. Actuellement, seuls 10 % des chômeurs se forment vraiment, et la moitié d’entre eux ont dû se débrouiller par eux-mêmes pour trouver leur formation. Par ailleurs, c’est une bonne piste d’encourager la mobilité par bassin d’emploi en faisant travailler ensemble tous les acteurs locaux – entreprises, collectivités, maisons pour l’emploi, etc. – comme l’envisage la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales, mais les résultats tardent un peu à venir.

E & C : Quelles sont vos pistes pour que la formation professionnelle redevienne un ascenseur social, une vraie seconde chance ?

D. K. : Pour que la formation puisse jouer son rôle, il faut instaurer un dialogue de qualité entre le salarié, l’encadrement et les RH. Les entretiens annuels d’évaluation ou professionnels peuvent en être le cadre. L’entreprise devrait être capable d’expliquer quelles vont être les évolutions du métier, et le salarié doit pouvoir exprimer ses besoins et ses envies d’évolution professionnelle. Cela peut conduire à mettre en place des formations, pour progresser, se reconvertir dans une autre branche en interne si le métier est menacé, ou pour rebondir en externe. Nous disposons de tous les outils, mais il faut les faire fonctionner. Par exemple, le CIF est un bon dispositif, mais qui a peu à peu perdu sa fonction d’accélérateur de carrière ou de seconde carrière.

Dans la plupart des pays européens, la formation continue des adultes est encouragée dans les entreprises de manière incitative et auprès des ménages par des baisses d’impôts. La France est le seul pays à avoir un système d’obligation de dépenses sous forme de taxe.

Dispersée entre des acteurs publics et privés, la formation évolue entre deux logiques : encouragement de l’offre ou encouragement de la demande. Il faudrait des incitations pour que les entreprises forment les moins qualifiés, des chèques formation pour les demandeurs d’emploi, davantage d’écoles de la seconde chance, etc. La formation professionnelle doit redevenir une seconde chance que l’on peut saisir à n’importe quel moment de sa vie. Il ne s’agit pas de proposer une nouvelle réforme ou de changer les règles du jeu. Le mille-feuille est déjà bien indigeste. Mais chacun doit prendre ses responsabilités dans un système qui est déresponsabilisant. Il est urgent de simplifier et de faire porter l’effort sur la mise en œuvre de ce qui existe. Cela passe par l’évaluation, non pas du système dans son ensemble, mais de l’efficacité des formations. Il s’agit de fabriquer de véritables parcours, c’est-à-dire de donner aux personnes toutes les ressources, intellectuelles, techniques, d’informations et de réseau pour faire leur propre chemin. Enfin, il est temps d’arrêter d’opposer formation initiale et formation permanente. Elles doivent travailler de concert.

PARCOURS

• Danielle Kaisergruber, normalienne, diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales, est directrice d’un cabinet de conseil en organisation et management et experte auprès de la Commission européenne.

Elle a été notamment chef du département travail et formation du Céreq.

• Elle est l’auteure de nombreux ouvrages, dont Formation : le culte du diplôme (Éditions de l’Aube, 2012) et Flexi-sécurité : l’invention des transitions professionnelles (éd. de l’Anact, 2006).

LECTURES

• Peut mieux faire! Pour un renouveau des politiques de l’éducation, Michel Dollé, éd. Saint-Simon, 2012.

• Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, Matthew B. Crawford, La Découverte, 2010.

• L’élitisme républicain, Christian Baudelot, Roger Establet, Seuil, 2009.

Auteur

  • GAËLLE PICUT