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LES ENTREPRISES COMPOSENT AVEC LES FINS DE CARRIÈRE

Enquête | publié le : 30.10.2012 | LAURENT POILLOT

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LES ENTREPRISES COMPOSENT AVEC LES FINS DE CARRIÈRE

Crédit photo LAURENT POILLOT

Trois ans après la loi de 2009, et à l’orée d’une nouvelle réforme, certaines entreprises gèrent mieux les fins de carrière grâce à leur plan seniors.

La voie est libre pour le contrat de génération. Le 19 octobre, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord qui permettra de lier l’insertion des jeunes et le maintien dans l’emploi de leurs aînés, ainsi que François Hollande en avait exprimé l’intention durant l’élection présidentielle. Après une présentation en Conseil des ministres, le 12 décembre, ce projet sera soumis à l’examen des parlementaires au début 2013.

Dans un pays qui, en 2010, maintenait dans l’emploi 39,7 % de ses salariés âgés de 55 à 64 ans (contre 30 % en 2000, selon l’Insee), cette nouvelle piste fait pour l’instant consensus. « Ce dispositif aura au moins le mérite de considérer que l’intergénération est plus utile aux entreprises et à l’emploi que l’opposition des salariés entre eux », commente le sociologue Serge Guérin, spécialiste des questions liées au vieillissement dans la société. Il en attend un résultat plus probant que la loi de 2009 sur l’emploi des seniors, dont « le bilan n’est pas extraordinaire », faute, notamment, d’un suivi de l’effectivité des engagements demandé aux entreprises. « Beaucoup d’entre eux sont restés lettre morte, estime de son côté Nicole Raoult, consultante RH, qui remettra prochainement un rapport sur l’aménagement des fins de carrière à la Dares, chargée des études statistiques pour le ministère du Travail. Les entreprises ont mis en place leurs actions sous la contrainte de la loi de 2009. Elles l’ont fait dans l’urgence et sans conviction particulière, tant de la part des directions que de leurs partenaires sociaux. Leurs résultats sont mitigés. »

Des interprétations variables

En 2011, la Dares avait déjà pointé ces faiblesses (in Synthèse des principales données sur l’emploi des seniors). Après avoir passé au crible 116 accords ou plans d’action, l’institution avait remarqué des interprétations variables des notions d’âge et des objectifs chiffrés. Elle avait par ailleurs noté que « les rédacteurs des textes semblent investir en priorité les domaines qu’ils maîtrisent déjà et/ou qui ont moins de risque de désorganiser l’entreprise et utiliser des leviers connus », comme la formation (DIF, VAE, entretiens et bilans de compétences, entretiens professionnels). « Ce qui touche à l’organisation du travail et au temps de travail est plus rare : réduction d’horaires, adaptation ou changements de poste », soulignait encore l’étude.

L’administration s’est fait l’écho de quelque 30 200 textes et accords enregistrés, mais ne communique jamais sur les pénalités (1 % de la masse salariale) promises aux entreprises laxistes. La pression des pouvoirs publics a payé, estime toutefois Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH : « L’âge moyen de départ des seniors à la retraite, de 55 à 65 ans, ne cesse de reculer depuis près de quatre ans. L’incitation publique aura porté ses fruits, dans un pays habitué aux départs anticipés et aux conventions de préretraites du Fonds national de l’emploi. » Ce mouvement est d’autant plus significatif, selon lui, que « la France est l’un des pays dont le niveau et la durée d’indemnisation des seniors privés d’emploi sont parmi les plus élevés en Europe. On pouvait penser que la crise provoquerait des départs élevés de salariés. Cela n’a pas été le cas ».

Des entreprises seniors

Réciproquement, le retour à l’emploi des populations touchées par des plans de licenciements ou départs volontaires n’a pas été, non plus, très significatif. Cependant, Jean-Christophe Sciberras retient une « prise de conscience collective ». « Sauf exceptions, les entreprises ont pu se rendre compte à quel point elles étaient “seniors”. » C’est le cas de Rhodia, dont il est le DRH, où l’obligation de se soucier des fins de carrière a mis en évidence qu’un tiers des salariés avaient plus de 50 ans. « Cela représente une grande partie des compétences détenues par l’entreprise. Si les seniors partent tout à coup, elle est en danger. Mais s’ils restent en songeant au départ anticipé qu’on ne leur offrira pas, c’est aussi un problème. »

Rhodia l’a résolu en négociant deux accords antipénibilité : l’un sur la prévention et l’aménagement des conditions de travail, l’autre spécifique au travail posté. Ces dispositifs sont venus compléter un accord seniors datant de 2009, qui instituait un congé grand-parental. Exemple d’aménagements : en production, les horaires de démarrage passeront tous de 4 heures à 5 heures du matin dès 2013 ; les équipes de nuit organiseront des phases de repos pour éviter la somnolence et elles seront également délestées de tâches pouvant être traitées de jour. Simultanément, les sites ont repéré les activités jusqu’ici sous-traitées (en logistique, gardiennage…) pouvant être reprises en interne pour reclasser, de jour, des salariés âgés. Une trentaine se sont portés volontaires. L’entreprise propose enfin une cessation anticipée d’activité. Cette dispense, payée à 75 % d’un temps complet, varie de six mois à deux ans suivant l’ancienneté, dès vingt-deux ans de travail posté. Près de 50 ont souscrit à cette offre. D’autres entreprises revendiquent d’avoir mené d’emblée une politique anticipatrice pour éviter la fuite des compétences. Safran est dans ce cas. Sa direction le justifie à la fois par une politique de création d’emplois et par la nécessité d’inscrire ses formations métiers dans le temps long (lire ci-dessous).

Ailleurs, c’est la nécessité d’harmoniser d’anciens accords salariaux arrivant bientôt à échéance qui a inspiré des programmes d’accompagnement très individualisés. Avec son accord “transition activité retraite”, Axa France (lire p. 24) a proposé en 2011 un système permettant aux salariés de quitter l’entreprise à leur rythme, tout en étant complètement informés sur leurs droits.

De tels programmes sont parfois issus d’un dialogue social plus ancien. Chez Boiron, direction et syndicats ont signé le mois dernier la 12e version d’un accord de préparation à la retraite hérité de 1976. À l’époque, les bénéficiaires étaient peu nombreux, tandis que le temps de travail s’élevait à quarante heures hebdomadaires.

Rares créations d’emploi

Tous les observateurs conviennent que les plans seniors n’ont pas favorisé les créations d’emploi. Parmi les exceptions, une PME nantaise affiche des objectifs de recrutement orientés vers les plus de 50 ans et les retraités. Elle en a près de 40, tous libéraux – auto-entrepreneurs ou travailleurs indépendants. Cette entreprise, In Situ experts (lire p. 25), réalise des études et des formations en hydraulique, pour lesquelles les compétences sont devenues introuvables.

L’ESSENTIEL

1 Le bilan des dispositifs seniors est mitigé. Pour répondre aux objectifs de la loi de 2009, la plupart des textes et accords ont repris des dispositifs déjà existants dans l’entreprise.

2 La plupart des entreprises doivent organiser la transmission des compétences à l’heure des départs des baby boomers.

3 Les actions les plus réussies maintiennent les salariés plus longtemps en activité, tout en individualisant leurs conditions de sortie.

Les contours du contrat de génération

→ Bornes d’âge : 26 ans pour le jeune recruté (30 ans s’il est déjà en CDD ou en apprentissage, handicapé ou doctorant) et 55 ans pour le senior (57 ans en cas d’accord collectif).

→ Aides publiques : uniquement réservées aux entreprises de moins de 300 salariés, pour qui le dispositif est facultatif. L’État versera deux fois 2 000 euros (pour le jeune et pour le senior) par an, pendant trois ans.

→ Substitution des textes antérieurs : les entreprises de plus de 300 salariés auront l’obligation de conclure des accords intergénérationnels collectifs, qui se substitueront aux accords et plans seniors obligatoires depuis 2010 dans les entreprises de plus de 50 salariés. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’engagement prendra la forme d’un contrat individuel avec l’objectif de faciliter la transmission des compétences, voire de l’entreprise.

→ Dans celles de 50 à 299 salariés, les directions devront au préalable avoir conclu un accord collectif ou avoir présenté un plan aux représentants du personnel. Elles pourront aussi choisir d’appliquer un accord de branche.

→ Les accords collectifs devront contenir des objectifs chiffrés de recrutement de jeunes et au moins trois engagements sur l’emploi des seniors, par exemple en matière de formation, de gestion des carrières ou de recrutement.

→ L’arrivée à leur terme des plans ou accords seniors n’imposera pas leur renégociation avant la mise en œuvre des contrats de génération.

→ Contrôle : l’administration vérifiera le contenu des engagements et s’assurera que l’entreprise n’a pas procédé à des licenciements afin de recruter un jeune.

Auteur

  • LAURENT POILLOT