logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Les formations peuvent s’adapter aux salariés âgés »

Enjeux | publié le : 23.10.2012 | VIOLETTE QUEUNIET

Image

« Les formations peuvent s’adapter aux salariés âgés »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les salariés âgés présentent des spécificités d’apprentissage mal prises en compte dans les formations qui leur sont proposées. Il est pourtant possible de les adapter sans défavoriser les stagiaires plus jeunes. Une nécessité à l’heure de l’allongement des carrières.

E & C : Travailler plus longtemps, c’est aussi continuer à se former pour maintenir son employabilité et s’adapter aux évolutions de son métier. Les seniors ont-ils les capacités d’apprentissage nécessaires pour cela ?

Dominique Cau-Bareille : Les plus anciens sont capables d’apprendre aussi bien que les jeunes. Cependant, l’avancée en âge entraîne des évolutions des processus cognitifs qui peuvent avoir un impact sur l’apprentissage : on note un ralentissement du temps de traitement de l’information, une diminution de la plasticité mentale, des difficultés à élaborer des représentations mentales à partir de matériels verbaux, une fragilisation des processus de mémorisation, un besoin plus marqué de resituer le savoir nouveau sur ce qui a été antérieurement appris, de comprendre pour apprendre. Cependant, les effets de l’âge restent modérés jusqu’à 60 ans. Par ailleurs, les difficultés rencontrées dans l’apprentissage sont très souvent dépendantes de la façon dont sont conçues et organisées les formations.

E & C : Le niveau de qualification a-t-il un impact sur les difficultés d’apprentissage ? On sait qu’à 55 ans, un cadre a davantage eu accès à la formation qu’un ouvrier.

D. C.-B. : Tout à fait. Durant leur carrière, les ouvriers et employés ont souvent peu d’opportunités de suivre des formations. De fait, lorsqu’intervient la nécessité de se former, cela est vécu comme une épreuve insécurisante, source d’anxiété. Or la peur est un frein à la mobilisation des capacités cognitives dans l’apprentissage. Les formations devront donc tenir compte de ce besoin de réassurance. Un besoin partagé aussi par les cadres seniors. Un travail de recherche a montré des difficultés de maîtrise des nouveaux systèmes chez des pilotes de ligne de plus de 50 ans, formés sur les avions de nouvelle génération dans lesquels les processus informatisés sont beaucoup plus nombreux. Plus l’écart entre la situation initiale et la situation de travail future est importante, plus il faut accorder de la vigilance aux processus d’apprentissage des seniors.

E & C : Vous dites que la peur est un frein à la mobilisation des capacités cognitives. De quoi les seniors ont-ils peur en entrant en formation ?

D. C.-B. : Au fil du temps, les plus anciens ont construit des modes opératoires, des stratégies qui leur permettent de tenir les objectifs attendus tout en se préservant, de réaliser le travail avec un maximum d’efficacité. La perspective d’une situation d’apprentissage leur fait craindre de ne plus pouvoir mobiliser ces automatismes qui leur sont très utiles pour maintenir un niveau de performance élevé. Ils craignent de perdre leurs compétences et de ne plus pouvoir répondre aux objectifs qui leur sont assignés. Ils ont également peur de perdre leur statut de référent dans le groupe de travail face à des jeunes qu’ils jugent plus à l’aise dans les processus d’apprentissage.

E & C : Comment supprimer cette crainte ? À quoi un responsable de formation doit-il être vigilant dans son cahier des charges pour un organisme qui formera notamment des seniors ?

D. C.-B. : Lorsque la formation porte sur un changement d’outil ou d’organisation, le responsable doit créer des liens entre l’activité initiale et l’activité future. Une réflexion doit être menée avec les salariés en amont de l’apprentissage afin d’identifier les compétences qui pourront se maintenir dans le nouvel environnement et celles qui seront au cœur de la formation. Ce travail permet aux plus anciens de se rassurer – tout ne va pas changer – et d’effectuer un transfert entre les situations antérieure et nouvelle. Ils pourront ainsi rapatrier plus vite des éléments de leur expérience.

E & C : Une fois ce travail réalisé, comment la formation doit-elle être conçue pour que les seniors se l’approprient ?

D. C.-B. : Ce sont souvent les formations elles-mêmes qui génèrent les échecs des seniors. Les formations théoriques, qui ne leur permettent pas de faire le lien avec leur activité, sont à éviter. Il faut au contraire privilégier des formations les plus pratiques possibles, vraiment adaptées aux caractéristiques de l’activité des salariés.

Les seniors ont également besoin de plus de temps pour apprendre, d’exercices supplémentaires pour avoir le sentiment de maîtriser les nouveaux apprentissages. Il faut donc veiller à ce que les prestataires proposent des formations modulables si besoin. Pour reprendre l’exemple des pilotes de ligne, Airbus a conçu des parcours avec des modules supplémentaires proposés aux pilotes rencontrant plus de difficultés de maîtrise des interfaces afin de leur permettre de travailler certains points spécifiques. De cette manière, les plus âgés ont pu réussir aussi bien que les jeunes. Cette formation par modules a été mise au point après qu’a été constaté un taux d’échec important des anciens à l’examen final lorsqu’ils suivaient la formation standard. L’adaptation des formations a un coût. Mais il s’agit avant tout d’un investissement vis-à-vis de seniors porteurs d’une expérience et de compétences essentielles pour les entreprises. Cela, on ne le dit pas assez !

E & C : Comment concilier cette progression plus lente des seniors avec celle, plus rapide, des jeunes ?

D. C.-B. : Les plus jeunes ont souvent l’impression d’avoir maîtrisé un contenu alors qu’ils n’ont pas stabilisé les notions sous-jacentes : ils peuvent réussir un exercice, mais sans avoir compris le fond. Il est donc important de créer des binômes mixtes ancien-jeune de manière à ce que des processus d’entraide se mettent en œuvre : les questions des anciens permettront aux jeunes d’approfondir leurs propres connaissances. C’est tout à fait bénéfique aux formés, quel que soit leur âge. Il faut le répéter : les anciens sont capables d’apprendre, encore faut-il les mettre dans les bonnes conditions d’apprentissage. Aux DRH et aux formateurs de changer la donne.

PARCOURS

• Dominique Cau-Bareille, psychologue du travail et docteur en ergonomie, est maître de conférences à l’Institut d’études du travail de Lyon, université Lyon-2. Elle est également chercheuse associée au Creapt (Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail).

• Elle est l’auteure de nombreux articles, dont “Formation et changements technologiques : des difficultés liées à l’âge ?”, in La Vie professionnelle : âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail, sous la direction de A.-F. Molinié, C. Gaudart, V. Pueyo (Octarès, 2012) et “Y a-t-il des spécificités d’apprentissage des seniors ?”, in Les seniors et la formation, revue Éducation permanente (n° 191-2012-2).

LECTURES

• Le Travail intenable, sous la direction de Laurence Théry, La Découverte, 2006.

• Le Vieil Homme et la mer, Ernest Hemingway, Gallimard (Folio), 1972.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET