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DISCRIMINATIONS LES CELLULES D’ALERTE TROUVENT LEUR PLACE

Enquête | publié le : 16.10.2012 | EMMANUEL FRANCK

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DISCRIMINATIONS LES CELLULES D’ALERTE TROUVENT LEUR PLACE

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Le label Diversité prévoit que les entreprises se dotent d’une cellule d’alerte et d’écoute sur les discriminations. Seules quelques-unes se sont mises en conformité. Ces cellules sont peu sollicitées et rarement sur des questions de discrimination. Elles ont néanmoins leur utilité et jouent un rôle d’observatoire pour la GRH ou d’écoute du mal-être des salariés.

Le Défenseur des droits, les représentants du personnel, la direction des RH, la hiérarchie : les salariés français ne manquaient pas d’interlocuteurs lorsqu’ils s’estimaient victimes d’une discrimination. Depuis environ un an et demi, ceux d’une quinzaine d’entreprises et d’organisations peuvent en plus solliciter une cellule d’alerte et d’écoute antidiscriminations. Son rôle est d’écouter le salarié qui s’estime victime d’une discrimination, de qualifier sa réclamation (les discriminations au sens de la loi sont en fait rares) et d’intervenir le cas échéant. Luxe superflu si l’on considère que cette mission est déjà remplie par d’autres ? En fait non, ces lignes directes (téléphone ou mail) avec un correspondant formé et astreint à la confidentialité commencent à trouver leur place parmi les divers canaux qui existent déjà.

Une mise en place progressive

Une vingtaine d’entreprises ont mis en place une cellule d’alerte ou d’écoute, ou sont en train de le faire, mais leur nombre va rapidement augmenter sous l’impulsion du label Diversité. Les entreprises ou les organisations titulaires dudit label –  lles sont plus de 200 – doivent en effet créer « une cellule d’écoute et de traitement des réclamations internes ou externes portant sur des discriminations supposées ou avérées », ainsi que l’exige le cahier des charges, contrôlé par l’Afnor. Mais peu l’ont fait jusqu’à maintenant, faute d’obtenir l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), sésame indispensable pour toute création d’un fichier informatique contenant des informations personnelles. Toutefois, les choses sont en train de changer, quoique lentement (lire l’encadré p. 22).

Pour l’heure, moins d’une dizaine d’entreprises et d’organisations labélisées ou dans l’attente de l’être ont obtenu la fameuse autorisation. Citons Casino, Randstad, le cabinet de recrutement Robert Half, Bouygues Telecom, Bouygues Bâtiment International et Areva. L’alerte de ces deux dernières n’est pas encore active. Celle du ministère de l’Économie l’est bel et bien, mais Bercy a anticipé sur l’autorisation, de même, semble-t-il, que la Ville de Nantes. Plusieurs demandes sont encore en attente.

Par ailleurs, une dizaine d’autres organisations, toujours dans la perspective du label, ont souscrit aux services d’une cellule d’écoute juridique dédiée aux discriminations (Allodiscrim), dont le rôle se borne à dispenser du conseil, mais sans pouvoir d’alerte. Il s’agit par exemple de France Télécom, de France Télévisions et de GDF-Suez. Une simple déclaration à la Cnil suffit, car c’est le prestataire qui est soumis à l’autorisation spécifique. C’est donc le moyen le plus simple de répondre au cahier des charges du label.

Enfin, autre type de dispositif, les alertes éthiques (whistleblowings). Soumises à l’autorisation de la Cnil, elles poursuivent un objectif de transparence financière et de respect des chartes éthiques internes, et accessoirement de lutte contre les discriminations. EDF SA dispose de ce type d’alerte éthique – de même que Thales, la SNCF ou Saint-Gobain. Mais le système de l’électricien, manifestement mal adapté aux questions de discrimination, devra sans doute être révisé si l’entreprise veut accéder au label Diversité l’année prochaine (lire p. 26).

Au final, une quinzaine d’entreprises ou d’organisations disposent d’une alerte antidiscrimination opérationnelle.

Entre la cellule d’alerte interne et la cellule d’écoute externalisée, la plupart des entreprises optent pour la cellule interne. Comme Bouygues Telecom qui, pour des raisons de réactivité, de proximité et de confidentialité, mais aussi pour des raisons financières (lire p. 26), a préféré s’occuper lui-même des signalements de discriminations. Le ministère de l’Économie a fait le même choix, estimant qu’il avait une culture trop spécifique pour qu’une question aussi délicate soit confiée à un prestataire (lire p. 23).

France Télécom a au contraire décidé de faire appel à Allodiscrim, pour avoir une garantie de neutralité et d’impartialité (lire p. 26). Il est vrai que l’opérateur sort d’une longue et grave crise de confiance entre les salariés et l’encadrement. Cette entreprise est par ailleurs la seule à avoir ouvert sa cellule aux candidats postulant et aux anciens salariés ; les autres la réservent aux salariés en poste.

Écouter et conseiller les salariés

Allodiscrim, qui emploie cinq avocats, est rémunéré par l’entreprise pour écouter et conseiller les salariés. C’est la différence avec les cellules internes : « Le salarié prend connaissance de ses droits auprès de nous ; ce n’est qu’ensuite qu’il décide s’il alerte son employeur », explique Max Mamou, avocat et concepteur d’Allodiscrim, qui déclare avoir dix clients employant 300 000 salariés.

Ce système possède selon lui plusieurs atouts : l’expertise (des avocats) ; la déontologie et la sanctuarisation (ce qui est dit à l’avocat est couvert par le secret professionnel) ; l’anonymat (c’est le salarié qui décide ou non de s’ouvrir à son employeur) ; la neutralité et l’indépendance (ce qui peut susciter la confiance des salariés).

Il fait en outre valoir que son offre, qui comprend un forfait auquel s’ajoute la consommation, revient finalement quatre fois moins cher qu’une cellule interne, si on y impute le salaire chargé d’un cadre à temps plein – ce qui est en fait rarement le cas. Il travaille par ailleurs sur une cellule mutualisée pour des PME de l’Hérault.

Selon Max Mamou, ses clients, qui sont tous dans un processus de labélisation, font appel à ses services pour des questions de coût, de logistique (prise en charge du service, archivage, reporting), et enfin pour des questions d’affichage. Le recours à des avocats offrant, selon lui, une image plus sérieuse qu’une cellule interne « bricolée ».

Qu’il s’agisse des cellules d’écoute ou des cellules d’alerte, elles ont toutes la caractéristique d’être peu sollicitées par les salariés, et rarement à bon escient. Celle du ministère de l’Économie a été saisie 130 fois en 2011. Un chiffre à rapporter au nombre total d’agents : 150 000. Celle de Bouygues Telecom vingt fois en un an et demi, pour environ 7 000 salariés concernés. La cellule d’écoute de France Télécom (105 000 salariés) a été sollicitée 177 fois. Celles de Casino et de Randstad ont également été peu appelées (lire Entreprise & Carrières n° 1072). Pour l’avocate spécialiste des questions de discrimination Agnès Cloarec-Mérendon, associée au cabinet Latham & Watkins, la dénonciation ne serait pas dans la mentalité française (lire également son interview p. 27).

Salariés mécontents, en détresse ou victimes de harcèlement

L’autre conclusion est que les saisines concernent en fait rarement les discriminations. Il s’agit souvent de salariés mécontents, en détresse ou victimes de harcèlement.

Aucune des cellules d’alerte des entreprises sollicitées n’a d’ailleurs jamais conclu à une discrimination avérée. Même décalage dans les statistiques de la Halde. Sur les 31 000 réclamations reçues par la Haute autorité (aujourd’hui Défenseur des droits) entre 2005 et 2009, seuls 1 752 cas ont fait l’objet d’une instruction approfondie. À noter toutefois que les saisines d’Allodiscrim sont mieux ciblées, puisque la moitié sont bien des présomptions de discrimination. « Appeler un avocat suppose une certaine maturation. C’est l’effet moment de vérité », explique Max Mamou.

Mais peu importe, expliquent en substance tous les observateurs, ces cellules sont utiles. Le ministère de l’Économie en a fait une sorte d’observatoire social et d’outil de pilotage de sa GRH. À France Télécom, la cellule d’écoute sert à l’expression du mal-être des salariés. Un syndicaliste de Bouygues Telecom explique de son côté que les cellules permettent de capter les « petites discriminations larvées » venant de salariés qui n’oseraient pas solliciter les syndicats. Ces derniers, qui ont craint un moment que les cellules ne viennent les concurrencer, peuvent donc être rassurés.

L’ESSENTIEL

1 Les entreprises commencent à créer des cellules de lutte contre les discriminations, dont la mise en place est ralentie par la nécessité d’obtenir l’autorisation de la Cnil.

2 En dehors de la création en interne d’une structure dédiée, il est possible également de faire appel à un prestataire spécialisé.

3 Si ces cellules identifient rarement une discrimination au sens légal, elles permettent aux salariés d’exprimer des problèmes. Et elles les orientent vers les instances compétentes.

Choisir l’interne ou l’externe

→ Cellules internes d’alerte antidiscrimination :

• Demande d’autorisation à la Cnil.

• Missions : écoute, qualification des réclamations, intervention.

→ Cellules externes d’écoute sur les discriminations :

• Déclaration à la Cnil.

• Missions : écoute, conseil.

Les critères de la Cnil pour les dispositifs d’alerte professionnelle

→ Intérêt légitime du dispositif.

→ Facultatif et complémentaire.

→ Pas d’alertes anonymes.

→ Informations des salariés sur les finalités du dispositif, sur les personnes habilitées, sur leur droit d’accès et de rectification.

→ Consultation des IRP.

→ Garanties sur la confidentialité de l’identité du donneur d’alerte.

→ Données conservées pour une durée limitée.

→ Données confidentielles et traçables.

→ Destinataires des alertes en nombre limité.

→ Information de la personne mise en cause.

→ Droit d’accès et de rectification.

L’AFNOR VEUT ACCÉLÉRER LA MISE EN PLACE DES DISPOSITIFS D’ALERTE, LA CNIL NE SUIT PAS

Jusqu’au mois de mars 2011, la Cnil n’avait pas de doctrine sur les dispositifs d’alerte et d’écoute antidiscriminations et n’accordait donc pas d’autorisation. Or, depuis une délibération du 3 mars 2011 donnant à Randstad le droit d’ouvrir une alerte, il n’y a plus de blocage administratif.

Les labélisés vont donc devoir s’y mettre, d’autant que l’Afnor va serrer les boulons. « L’absence de dispositif d’alerte antidiscriminations pourrait justifier la non-attribution d’un label, son non-renouvellement ou une demande d’explication à mi-parcours », déclare Thierry Geoffroy, chargé de mission à l’Afnor.

Sauf que les démarches auprès de la Cnil sont encore longues et compliquées : « Huit mois et des dizaines de mails », témoigne Olivier Gélis, directeur général de Robert Half International, qui s’apprête à déposer un dossier pour le label Diversité.

Les documents à consulter

→ Guide de la Cnil et du Défenseur des droits à l’usage des acteurs de l’emploi, dont la fiche n° 20 est consacrée aux cellules de traitement des discriminations.

Délibération de la Cnil du 3 mars 2011 autorisant Casino Services à mettre en œuvre un dispositif d’alerte antidiscriminations.

Le guide du Défenseur des droits et la délibération de la Cnil sont consultables sur : <www.wk-rh.fr> puis Entreprise & Carrières, rubrique “docuthèque”.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK