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Enquête

PLANS DE DÉPARTS VOLONTAIRES LA DÉLICATE SÉLECTION DES CANDIDATS

Enquête | publié le : 09.10.2012 | ÉLODIE SARFATI

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PLANS DE DÉPARTS VOLONTAIRES LA DÉLICATE SÉLECTION DES CANDIDATS

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Les plans de départs volontaires font désormais partie du paysage des restructurations. S’ils évitent des licenciements secs, ils créent aussi des frustrations d’un nouveau genre : celles des salariés dont la candidature est rejetée. Et qui hésitent de moins en moins à saisir la justice.

« Nous, les candidates et candidats au départ, signataires de cette lettre, dont la candidature a été rejetée, voulons vous dire notre réaction de colère, notre sentiment d’injustice et le refus de cette décision » : voici ce qu’écrivaient à leur direction, fin 2009, 69 salariés de RFI, qui lui reprochaient de n’avoir pas respecté les critères du plan de départs volontaires (PDV) lancé dans la radio publique. Quelques mois plus tôt, sur le site de Valeo à Laval, une dizaine de candidats dont le départ avait été refusé menaçaient de saisir la justice et prenaient à partie des syndicats inflexibles. « Nous avions fait grève pour passer de 96 postes supprimés à 46. Autoriser des départs en plus n’aurait pas été crédible envers les salariés qui s’étaient mobilisés », explique Christophe Legros, élu FO du site. Plus récemment, c’est le plan de la Société générale, avec 400 à 500 refus pour 880 postes supprimés, selon l’estimation de Michel Marchet, délégué syndical CGT, qui a alimenté les articles de presse. Comme dans ce témoignage, publié sur Rue 89, détaillant le sentiment d’injustice et la « frustration psychologique » des volontaires « restés sur le carreau ».

Jurisprudence favorable

Des entreprises coupables de maintenir des salariés en emploi ? Au-delà de l’anecdote, ces épisodes invitent les DRH à tout anticiper, et pas seulement l’organisation des départs. Ceci alors que, dans les processus de restructuration, les plans de départs volontaires se banalisent. Parce qu’ils apaisent les tensions, certes, mais aussi parce que les entreprises bénéficient d’une jurisprudence favorable : « La Cour de cassation admet que les entreprises puissent se passer de plan de reclassement interne – ce qui est pour elles le plus contraignant – lorsque les salariés non volontaires sont assurés de conserver l’emploi qu’ils occupent », précise Pascal Lokiec, professeur de droit à l’université Paris Ouest. Cette souplesse a contribué au développement des plans de départs volontaires : d’après les services de la DGEFP, entre 11 % et 15 % des restructurations se font par le biais de ces PDV “autonomes”, qui écartent d’entrée de jeu tout recours à des licenciements secs, quel que soit le nombre de volontaires.

Alors, pour susciter suffisamment de candidatures, ou à la demande des syndicats qui veulent éviter les départs contraints lorsque le volontariat n’est qu’une phase dans un PSE, les entreprises ont parfois le réflexe d’ouvrir les vannes un peu trop grand. Au risque, en sus, d’avoir à refuser beaucoup de candidats, de devoir faire face à une désorganisation généralisée et à une fuite incontrôlée des compétences. La pire des configurations, selon Éric Beaudouin, directeur général d’Oasys Consultants ? « Un plan de type guichet départ, ouvert à tous ceux qui lèvent le doigt, et qui n’est pas fondé sur l’organisation future. » Et si l’avantage d’un PDV est aussi de permettre des reclassements sur les postes libérés par le volontariat, « cela demande de travailler en amont sur les aires de mobilité et les formations, ce que trop peu d’entreprises font », souligne Jean-François Carrara, directeur de département au cabinet Algoé.

Des règles claires de départage

Autre impératif : celui d’établir clairement les règles de départage des candidatures ; et s’y tenir, car des dossiers rejetés, il y en a dans tout PDV. À la Société générale, Michel Marchet reproche à la direction d’avoir « poussé les candidats à lever la confidentialité de leur dossier, en laissant croire qu’ils auraient ainsi plus de chances » et d’avoir « changé les critères pour sélectionner ceux qu’elle voulait voir partir ».

Au contraire, à BNP Paribas, l’ingénierie du PDV a été maîtrisée, estime Joël Debeausse, délégué national adjoint du SNB CFE-CGC. Alors que le plan portait sur 373 emplois – la banque s’est engagée à ne faire aucun licenciement contraint –, il y avait, à la clôture du volontariat mi-septembre, 251 départs actés sur 384 candidatures, et 106 dossiers encore à l’étude. « Contrairement à ce qui s’est passé à la Société générale, le périmètre du volontariat était limité à la BFI (banque de financement et d’investissement), donc à un potentiel de 3 000 personnes. De plus, les salariés directement impactés par les suppressions de postes étaient prioritaires. Les autres étaient acceptés progressivement, si leur poste permettait un reclassement. Et chacun savait combien de postes étaient supprimés par métiers et sous-métiers. »

Idem à Adoma (ex-Sonacotra), la société d’État qui gère notamment les foyers d’hébergement : « Les volontaires dans les catégories d’emplois autres que celles concernées par les suppressions de postes n’étaient éligibles que si leur remplacement en interne était validé », précise Hugues Ducol, le secrétaire général. C’était le cas notamment pour quelques ouvriers de maintenance, dont le départ a permis de reclasser certains agents de surveillance. Mais il n’était pas question d’ouvrir davantage, au risque de ne pas respecter l’organisation cible. » Au final, Adoma a signifié 159 refus, alors même qu’elle s’était interdit, comme à BNP Paribas, de s’opposer au départ de salariés détenteurs de compétences clés s’ils étaient éligibles. Hugues Ducol garde d’ailleurs en mémoire la perte particulièrement douloureuse d’un informaticien : « Au départ on se dit : pourvu qu’il y ait assez de volontaires, et à la fin, on espère qu’il n’y en aura pas trop… »

Révélateur de climat social

De fait, les DRH sont bien souvent étonnés de voir se bousculer les candidats, remarque Éric Beaudouin. « Ils imaginent souvent que les salariés sont attachés à l’entreprise et que le volontariat sera marginal. » A posteriori, bien des paramètres expliquent que les salariés franchissent le pas. L’opportunité de réaliser un projet, parfois. Les indemnités, souvent, et notamment pour les plus anciens. À la Société générale, elles pouvaient aller jusqu’à 300 000 euros. « Mais les DRH se voilent la face un peu facilement en se réfugiant derrière l’attrait du chèque, nuance Jean-François Carrara. Trop de volontaires, cela s’analyse, car cela révèle aussi un problème de climat social. » Ou d’inquiétudes sur l’avenir, entretenues par le fait que les entreprises « ont tendance à noircir le tableau pour justifier les restructurations », note Éric Beaudouin.

Cela doit aussi se gérer. À BNP, une commission de recours pour les cas litigieux a été prévue – elle n’a été saisie que par quatre éconduits, et a été vue d’un mauvais œil par certains syndicalistes : « Prévoir des dispositifs pour permettre à un salarié d’être licencié, c’est un peu n’importe quoi », soupire Joël Debeausse. D’autres entreprises choisissent de valider les départs surnuméraires, quitte à réembaucher, comme à TDF (lire page 26) ou, à la marge, à Adoma, qui a aussi ouvert la porte à des congés de fin de carrière (CFC) « sans filtrage » pour les salariés de plus de 60 ans en mesure de faire valoir leur droit à pension de retraite, explique Hugues Ducol. Sur 100 volontaires pour un CFC, une cinquantaine ont été remplacés, notamment par de nouvelles recrues.

Phase de remobilisation

Mais pour ceux qui reprennent leur job ? Comment remotiver ceux qui se sont, pendant plusieurs semaines, projetés hors de l’entreprise ? D’abord en sensibilisant le management, indique Maamar Chabi, délégué syndical CFE-CGC d’Adoma : « Nous avons insisté sur le fait qu’il ne fallait pas que les candidats soient stigmatisés au sein de leur équipe. » Ensuite, en « remettant en route une dynamique collective », ajoute Jean-François Carrara, car l’enjeu dépasse largement les ex-candidats : « Les salariés, qu’ils aient été ou non volontaires, peuvent avoir une perception dégradée de leur rôle dans l’entreprise et de leurs compétences, qui n’étaient pas jugées indispensables. Il appartient à la direction générale, après un PDV, de communiquer sur le projet d’entreprise, et au management de démontrer sa capacité d’entraînement. » Toujours à Adoma, un séminaire avec l’encadrement s’est déroulé en septembre à cette fin, et « des débats vont se tenir dans tous les établissements, avec l’ensemble des salariés », ajoute Hugues Ducol.

Cette phase de remobilisation, les DRH commencent à la prévoir, remarque Martin Richer, ex-DG de Secafi et aujourd’hui consultant, par des « dispositifs collectifs » comme celui d’Adoma, ou « par des dispositifs individuels de gestion des parcours professionnels, notamment envers certains cadres clés ». Elle est, quoi qu’il en soit, indispensable quel qu’ait été le succès du PDV. Car, prévient-il, « le temps des plans qui font le plein pourrait bien toucher à sa fin » (lire l’interview p. 29). Ainsi, à Air France, où 2 700 postes doivent être supprimés d’ici à 2015 parmi le personnel au sol, le cabinet Secafi a averti la compagnie qu’il pourrait manquer 700 volontaires au départ. Mais en la matière, bien des pronostics ont déjà été déjoués.

L’ESSENTIEL

1 Les plans de départs volontaires deviennent une modalité de plus en plus répandue dans les processus de restructuration.

2 Attirés par d’importantes indemnités ou poussés par un sentiment de mal-être et d’incertitude, les salariés sont parfois nombreux à se porter candidats.

3 Pour éviter les contentieux et les tensions, les entreprises doivent établir clairement les règles d’éligibilité et de départage.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI