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« L’évaluation des salariés, un enjeu de la relation managériale »

Enjeux | publié le : 09.10.2012 | VIOLETTE QUEUNIET

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« L’évaluation des salariés, un enjeu de la relation managériale »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

L’évaluation des salariés peut être un excellent outil de management, favorisant la reconnaissance et la motivation, mais elle peut aussi générer frustrations et déceptions. L’enjeu, pour les RH, est de donner aux managers le temps et les moyens de se consacrer à cette tâche, constitutive de leur mission.

E & C : La plupart des grandes entreprises ont mis en place un processus d’évaluation de leurs salariés avec, au minimum, un entretien annuel. Quelle perception ces derniers en ont-ils ?

Françoise Dany : Les salariés peuvent apprécier l’évaluation quand elle rime avec la reconnaissance de leur travail et de leurs vécus concrets. Si elle permet de récupérer de l’information pour coconstruire avec le salarié un environnement de travail adapté et valoriser au mieux ses compétences, l’évaluation constitue un outil très important en termes d’efficacité et de maintien de la motivation. En revanche, si elle est utilisée dans une logique de contrôle et de mise en compétition – pour distinguer les “méritants” des autres – ou si elle ne consiste qu’en un exercice formel et routinier, alors, elle peut générer déceptions et frustrations. Une source de frustration courante est, par exemple, de donner l’espoir aux salariés qu’il y aura une connexion entre leurs efforts, leurs résultats et leur rémunération, alors que les contraintes financières de l’entreprise ne permettront aucune augmentation. Quand l’évaluation ne débouche sur aucune mesure, elle peut devenir néfaste au point que certains DRH estiment qu’il faudrait la supprimer, puisqu’elle apporte plus de mal que de bien à l’entreprise et aux personnes.

E & C : Quels sont les enjeux de l’évaluation en termes de GRH ?

F. D. : L’évaluation peut être un puissant outil de pilotage de l’activité des salariés, qui contribue à les motiver mais aussi à sécuriser leurs parcours. Au-delà de son impact sur la rémunération et la carrière, c’est aussi un moyen de mieux préciser les missions et de redéfinir ce qui a été négocié au départ dans le contrat de travail au regard, par exemple, des difficultés rencontrées. Une évaluation bien menée permet aussi d’éviter que certains salariés ne se retrouvent dans une impasse parce qu’ils n’ont pas pu exprimer leurs demandes pour mener à bien leurs missions – en formation ou autre. Sur un plan global, l’évaluation donne une visibilité sur l’état des RH, ses points forts et ses points faibles, et permet d’anticiper. Elle aide à piloter la rémunération, la formation, la gestion des carrières, puisque c’est le moment où l’on fixe les objectifs. Les DRH attendent aussi de l’évaluation qu’elle améliore la qualité du dialogue et la relation managériale.

E & C : Comment améliorer les dispositifs d’évaluation ?

F. D. : La priorité est que le hiérarchique chargé de mener l’entretien le fasse sérieusement. Cela implique de le préparer en amont pour se remémorer les objectifs fixés et collecter de l’information sur les résultats obtenus. Il faut ensuite mener l’entretien puis rédiger une synthèse. Cela représente deux à trois heures de travail. Pour un manager qui encadre dix collaborateurs, cela signifie qu’il doit trouver entre 20 et 30 heures dans un emploi du temps déjà très chargé ! Si l’on veut progresser dans l’évaluation, il faut donc, en premier lieu, donner du temps aux managers. L’évaluation doit être un élément à part entière de leur travail, pas quelque chose d’ajouté à une liste de tâches déjà longue. Dans certaines entreprises anglo-saxonnes, savoir mener une évaluation est même un critère… d’évaluation des managers ! Leur accompagnement est également un axe d’amélioration prometteur. Savoir conduire un entretien, gérer des situations délicates ou conflictuelles ne s’improvise pas. Autre point important : la question du suivi. Si, dans l’entretien d’évaluation, il a été convenu que le salarié aura une formation pour assumer sa mission, il faut que, dans les six mois qui suivent, il ait un message de la DRH lui annonçant une décision à ce sujet. Il est donc nécessaire que la DRH se donne les moyens du suivi de l’évaluation.

E & C : Les outils informatiques permettant la remontée d’informations issues des évaluations vous paraissent-ils utiles ?

F. D. : Tous les outils qui facilitent le travail du manager sont nécessaires et bienvenus. Mais il y a deux écueils à éviter : l’excès de simplification et la sophistication. Dans le premier cas, grâce à des grilles qu’on remplit très vite à la fin de l’entretien, on aboutit à un classement des salariés dans des cases. Le risque est alors qu’en dépit des bonnes volontés, on ne retienne que cela. Dans le second cas, l’outil est complexe, demande du travail supplémentaire au hiérarchique, qui risque de le prendre comme une “usine à gaz”.

Un outil pour faciliter la tâche, oui, mais dans une idée de dialogue. Même chose pour l’entretien d’évaluation. Il est très révélateur du style de management des entreprises. Lorsque tout le monde est évalué selon les mêmes normes, qu’il n’y a que des cases à cocher, on est dans une entreprise où tout est cadré. D’autres laisseront plus de temps au salarié pour s’exprimer, non pas dans une logique de vérification et de contrôle des objectifs, mais dans une logique d’exploration. On lui demandera ce qu’il a aimé, le type d’initiative qu’il a été amené à développer, s’il souhaite mettre en avant d’autres compétences. Ce dialogue est utile pour l’entreprise : en faisant remonter de l’information, cela permet de la faire évoluer.

E & C : Les DRH sont-ils préoccupés par le risque juridique lié aux outils d’évaluation ? Une dépression nerveuse suite à un entretien d’évaluation a, par exemple, été considérée par la Cour de cassation comme un accident du travail.

F. D. : Oui, c’est une préoccupation importante des DRH. Certains outils peuvent être ambigus et favoriser l’arbitraire managérial. Ils relèvent davantage d’une dynamique de sanction et de justification de décisions “difficiles” que d’une réelle évaluation des compétences professionnelles. Il y a là une violence dans l’évaluation qui, outre qu’elle pervertit ce processus, est porteuse de risques juridiques contre lesquels les DRH doivent absolument se parer. La formation des managers à l’entretien, déjà évoquée, constitue un élément de prévention de ce risque. Le deuxième est de repenser les questions à poser dans une logique de développement des personnes pour pouvoir apporter des réponses constructives à des situations personnelles.

SON PARCOURS

• Françoise Dany est professeure de GRH à l’EMLyon et directrice du centre de recherche Organisation, carrières et nouvelles élites (OCE).

• Elle est l’auteure de nombreux articles et d’ouvrages, dont, avec Yves-Frédéric Livian, La Nouvelle Gestion des cadres. Employabilité, individualisation et vie au travail (Vuibert, 2002).

• Elle animera, sur le thème “Évaluation des salariés : quelles pistes de progrès ?”, un groupe de travail de l’Anvie, en collaboration avec l’Anact, les 15 et 29 novembre et 12 décembre prochains. Renseignement : virginie.drozdzynski@anvie.fr.

SES LECTURES

• Enquête sur les modes d’existence : une anthropologie des Modernes, Bruno Latour, La Découverte, 2012.

• 1212, La Croisade des Indignés, Jacques Cassabois, Livre de Poche, 2012.

• L’Individu qui vient… après le libéralisme, Dany-Robert Dufour, Denoël, 2011.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET