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Les “Brics”, terrain de jeu de la guerre des talents

Pratiques | publié le : 02.10.2012 | ÉRIC DELON

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Les “Brics”, terrain de jeu de la guerre des talents

Crédit photo ÉRIC DELON

Dans les Brics, ces pays à la forte croissance, bien qu’ils soient aussi affectés par la crise, les groupes internationaux se doivent de proposer un “mix RH” compétitif s’ils veulent attirer les meilleurs professionnels. Plus qu’ailleurs, la gestion des talents y est une exigence qui conditionne la croissance même de l’activité.

Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, les grandes puissances émergentes regroupées sous le désormais fameux acronyme Brics devraient peser près de 40 % du PIB mondial à l’horizon 2025 (contre 27 % aujourd’hui). Même si les caractéristiques et les évo ? lutions diffèrent entre ces cinq grands pays, touchés, eux aussi, par le ralentissement économique mondial, ils continuent de susciter la convoitise des grandes firmes occidentales qui s’y installent massivement depuis une dizaine d’années.

« Pour conquérir des marchés et maintenir ses positions sur place, la détection, le recrutement et la fidélisation des meilleurs talents est un impératif catégorique », relève, non sans bon sens, Jean-Luc Cerdin, professeur en GRH à l’Essec. D’où la nécessité, pour les entreprises, de mettre en place le meilleur “mix RH”. « Quelles stratégies de packages et de talent management dans les Brics ? », s’interrogeaient experts et DRH monde, lors de la 5e Rencontre de la mobilité internationale, fin juin, à Paris. Autrement dit, comment gérer l’inflation des rémunérations pour retenir les talents ? Comment briser le plafond de verre pour faire émerger les talents locaux et concilier expatriation et montée en compétences au niveau local ?

Vice-présidente RH de Publicis Worldwide, numéro 3 mondial de la communication (82 pays, 10 000 collaborateurs), Anne Vaucheret et ses équipes ont mis en place, en la matière, une stratégie qu’elle qualifie de « pragmatique et décentralisée ». « Dans le secteur de la publicité, plus qu’un autre, il faut être proche de la culture du pays pour sentir le marché. Globalement, hormis les fonctions stratégiques de direction générale, de finance et de contrôle de gestion, nous faisons confiance à des équipes locales, notamment pour le poste de DRH, qui nécessite une connaissance aiguë du droit du travail local. Pourquoi, à part s’il s’agit d’une expertise rare, payer trois fois plus cher un expatrié ? », souligne-t-elle.

Concurrence féroce

« Globalement, aujourd’hui, les talents locaux ne manquent pas dans les Brics, analyse Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur de management à HEC. En revanche, les entreprises occidentales doivent inscrire la gestion des talents au cœur de leur stratégie, car la disponibilité de ces derniers conditionne bien souvent la croissance de leur business. Dans des marchés dynamiques de type Brics, la concurrence est féroce, car les opportunités sont multiples. » D’où la nécessité de s’adapter à la structure des différents marchés de l’emploi.

En Chine, par exemple, les entreprises étrangères sont confrontées à un déficit structurel de leaders locaux seniors du fait de la révolution culturelle qui a quasiment éradiqué une génération de cadres, expliquent les experts. Si l’Inde développe quantité de talents locaux, ces derniers ont tendance à quitter le pays en grand nombre, attirés par les États-Unis, l’Angleterre ou le Moyen-Orient (Dubaï). « Il faut sortir du fantasme selon lequel les talents locaux ne rêveraient que d’une chose : intégrer un grand groupe international, met en garde Cécile Dejoux, maître de conférences au Cnam Paris, coauteure de Talent Management*. Ces jeunes diplômés ne sont pas loin d’attribuer la crise économique mondiale à l’Occident et à ses errements. D’où, parfois, une certaine réserve. La dimension patriotique est très importante pour eux, d’autant que les grands groupes locaux, notamment asiatiques qui deviennent globaux, peuvent désormais s’aligner sur les rémunérations occidentales. Les jeunes chinois diplômés possèdent une vision très court-termiste de leur carrière. Sensible au paraître, ils aiment gagner de l’argent, s’afficher et le dépenser. »

La surenchère salariale pour attirer et conserver les meilleurs talents serait-elle donc inéluctable ? « Nous sommes en phase avec le marché mais refusons de surpayer nos collaborateurs. Ce serait une spirale sans fin », explique Bruno Rain, DGA RH, à Pernod Ricard, deuxiè ? me groupe mondial en spiritueux, très fortement présent dans les Brics. « Notre politique de rémunération est adaptée aux spécificités locales avec des systèmes de rétention et de fidélisation particuliers si nécessaire. Par exemple, nous procédons à des révisions de salaires deux fois par an et non une fois, dans certains pays », explique de son côté Nicolas Jacqmin, vice-président talent développement du groupe Alstom (lire l’encadré p. 13).

Marque employeur à forte identité

Désormais concurrencées par les champions nationaux et régionaux, les entreprises occidentales doivent donc s’efforcer de développer une marque employeur à forte identité (valeurs, culture d’entreprise…) qui fasse participer ses collaborateurs locaux à la construction du business d’un leader mondial. « Nous nous efforçons en permanence de démontrer, par la preuve, à nos talents locaux, qu’il n’existe pas de plafond de verre, que nous sommes une entreprise transparente, que nous reconnaissons les talents à leur juste valeur et que nous mettons tout en œuvre pour faire émerger une atmosphère de travail convivial », explique Aurélie Nicot, responsable RH chez Allianz Global Assistance (ex-Mondial Assistance), qui emploie 11 000 salariés dans le monde, dont 18 % dans les Brics. Ainsi, si lors de la création des filiales russes et indiennes du groupe, en 2007, des expatriés “professionnels” ont été invités à « poser les fondamentaux », très vite, la quasi-totalité des postes de direction ont été confiés à des nationaux.

Cycles accélérés de progression

« Outre l’octroi de packages de rémunération attractifs, les entreprises occidentales doivent proposer des opportunités à leurs futurs leaders : mobilités internationales, projets, challenges professionnels, carrières accélérées, formation… », souligne Benoît Théry, directeur de Tim Consultants, auteur de Développer les RH à l’international (Dunod, 2011). « Dans les Brics, notamment en Chine, il faut proposer des cycles accélérés de progression avec l’octroi de promotion tous les deux ans plutôt que tous les cinq ans », explique Céline Dejoux. Bien conscientes de cette problématique, les équipes RH de Pernod Ricard, s’efforcent de mettre en place un véritable parcours de développement pour les jeunes talents locaux. « Nos comités de carrière régionaux, en accord avec le comité de carrière groupe, et après des évaluations de type assessment center ou entretiens d’évaluation, nous signalent les meilleurs éléments. Nous les faisons venir au siège, pour des missions plus ou moins longues, afin qu’ils s’imprègnent de notre culture d’entreprise, qu’ils se constituent un réseau et deviennent ensuite des relais dans leurs filiales d’origine ou dans d’autres. Nous les intégrons par ailleurs dans nos programmes au sein de notre université d’entreprise qui mêle nationalités et profils différents – commerciaux, juridiques, ingénieurs », explique Bruno Rain. Les cadres locaux semblent apprécier : pour ces profils, le turnover n’est que de 5 % au niveau du groupe et de 10 % en Chine.

* Avec Maurice Thévenet, Dunod, 2012.

L’ESSENTIEL

1 Les Brics – pour Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – conservent une économie dynamique et focalisent l’intérêt des groupes internationaux.

2 Pour conquérir des marchés ou maintenir leur position, les grandes entreprises s’appuient désormais moins sur l’expatriation que sur le recrutement et la fidélisation de talents locaux.

3 Un package RH attractif et une politique de gestion des talents à l’international deviennent indispensables dans un contexte de forte concurrence et d’inflation des salaires.

Alstom : talent management et priorité aux compétences locales

Géant mondial dans le domaine des infrastructures de production d’électricité et de transport ferroviaire, le groupe Alstom (92 000 salariés, 100 pays) concentre plus de 20 % de ses effectifs dans les Brics. Pour l’entreprise, la problématique des talents est bien entendu cruciale. « Nous possédons des talent managers sur une base temps plein ou temps partagé, en fonction de la taille du pays », explique Nicolas Jacqmin, vice-président Talent Developpement du groupe. Dans le cadre du développement et de la fidélisation des talents locaux, le groupe a mis en place, en partenariat avec de grandes écoles comme l’Insead, des programmes globaux ayant pour objectif de développer ces talents pour des postes managériaux dans le pays ou pour des carrières internationales. Y aurait-il au sein des filiales des postes réservés aux Français ? Bref, un plafond de verre pour les cadres locaux ? Aucunement, assure le groupe. « Les seuls critères sont les compétences et l’adaptation au poste. Nous avons une volonté très claire de donner la priorité aux employés locaux, à compétences égales. Si nous n’avons pas les compétences dans le pays, nous les cherchons ailleurs dans le groupe », souligne Nicolas Jacqmin, qui précise que le groupe gère les talents par filière métier au niveau global. « Nous organisons des réunions de carrières par métier – finance, gestion de projet, ventes, qualité, ingénierie –, ce qui permet d’avoir une vision transversale de notre bassin de talents », conclut-il.

Auteur

  • ÉRIC DELON