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Enquête

« Beaucoup d’applications du lean sont réalisées de façon stéréotypée »

Enquête | publié le : 02.10.2012 | V. L.

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« Beaucoup d’applications du lean sont réalisées de façon stéréotypée »

Crédit photo V. L.

E & C : Le développement du lean suscite des controverses quant à ses effets sur la santé et les conditions de travail des salariés. Quels sont les risques pour eux ?

F. B. : Les effets sur la santé ne sont pas récents. On a constaté, depuis le début des années 1990, une progression concomitante des troubles musculo-squelettiques (TMS) avec le déploiement de nouvelles formes de production dans les entreprises, notamment le just in time. En y regardant de plus près, la fulgurante progression des TMS ne s’explique pas par l’exécution exclusive d’un geste répétitif, qui, au demeurant, caractérise le fordisme depuis un siècle. On assiste à l’exécution d’une multiplicité de réponses gestuelles, souvent sous la contrainte de temps, générées par les changements fréquents de séries, des exigences de qualité plus fortes, des recompositions d’équipes qui fragilisent les coopérations. Ces nouvelles formes d’organisation de la production, plus réactives et flexibles, peuvent ainsi ignorer les conditions permettant aux salariés de construire les équilibres opératoires leur permettant d’avoir la main sur leur santé et la performance de leur activité. Si aujourd’hui le lean est montré du doigt pour son impact sur la santé, c’est parce qu’il ne semble pas vouloir faire le bilan du fordisme jusqu’au bout. S’il revendique de s’en éloigner, il maintient le standard dans sa forme non transgressable par l’opérateur. La nouveauté est que ce standard est considéré comme améliorable. Des dispositifs participatifs, comme les chantiers kaisen, prévoient des rencontres entre prescripteurs et opérateurs. Si l’efficacité du standard y est remise en cause, sa redéfinition peut être décidée. Mais il ne peut pas être ajusté, dans l’action, pour répondre aux très nombreuses variantes de situations de travail rencontrées.

E & C : L’amélioration continue, à travers les chantiers kaisen par exemple, n’est-elle pas plutôt une démarche vertueuse ?

F. B. : Le problème est que les opérateurs doivent seulement rendre compte de leurs difficultés. Or ils ne peuvent pas se contenter d’attendre une réunion pour exprimer ce qui ne va pas, les arrêts de production seraient alors plus nombreux et ils auraient le moral aux chevilles. Ils apportent des réponses sur le champ pour résoudre en permanence les tensions entre le travail prescrit et le travail réel. Mais, ce faisant, et en dérogeant à la règle du jeu proposée, ils prennent le risque de se voir reprocher leur façon d’agir, de menacer l’atteinte des objectifs. Sans compter qu’un salarié peut subir une organisation qu’il aura lui-même cautionnée en participant à ces chantiers, en ne pouvant plus revenir en arrière. Cette incompréhension sur la question même des modèles d’engagement dans le travail n’est actuellement pas résolue et explique des effets non seulement sur la santé physique mais aussi psychique.

E & C : Comment pourrait-on rendre compatible le lean et la préservation de la santé des salariés ?

F. B. : Le déploiement lean dans les entreprises semble piégé par une forme d’endoctrinement. Beaucoup de ses applications sont réalisées de façon stéréotypée, sans une approche réfléchie. Ce qui serait nouveau probablement dans la démarche participative, c’est de savoir entendre les solutions apportées par les opérateurs en situation réelle, de les reconnaître comme des ressources possibles et d’adapter les équipements, l’espace de travail, l’organisation du travail, du flux, le management… pour accueillir ces ressources. Actuellement, le lean ne sait pas ou ne veut pas voir ce type de prise d’initiative qui se trouve assimilée à une faute de comportement ou à une erreur de gestion. Mais ignorer la prise d’initiative, c’est confiner le travail dans un mode d’engagement passif, et reporter aux seuls ingénieurs la compétence de la prescription du travail. On est en totale contradiction avec les promesses affichées.

Auteur

  • V. L.