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Enquête

APRÈS LA PRODUCTION, LE LEAN GAGNE LES PROJETS R & D

Enquête | publié le : 02.10.2012 | MARIETTE KAMMERER

Dans cette entreprise de hautes technologies, des techniques de résolution de problèmes, déclinées dans les services de R & D, ont notamment permis de réaliser moins d’erreurs et de mieux tenir les délais. La CGT y voit une déshumanisation du travail.

À Thales, le lean a démarré il y a plus de dix ans au niveau international, et la direction a décidé en 2010 de le rendre obligatoire dans toutes les unités de production. L’objectif affiché n’est pas une réduction des coûts mais une amélioration de la compétitivité, notamment en termes de délais et de qualité. « On s’est aperçu que, pour progresser sur ces deux plans, il fallait intervenir en amont de la production, au niveau de la conception des projets, c’est-à-dire des équipes de recherche et développement », indique Cécile Roche, directrice du lean au niveau du groupe.

Projets pilotes

Un référent, Luc Delamotte, responsable du lean en ingénierie, a été formé pour adapter le lean à des projets de R & D. Depuis un an, une dizaine de projets pilotes – développement de satellites, de logiciels, intégration de produits – se sont vus appliquer les principes du lean avec succès. Ils consistent à « satisfaire le client en développant les compétences des personnes à travers la résolution de problèmes ».

Avec les équipes d’ingénieurs et informaticiens de R & D, Thales pratique l’obeya – gran de salle en japonais –, soit une pièce couverte d’informations visuelles permettant un pilotage de projet en temps réel. Le manager organise des réunions très courtes mais régulières avec l’ensemble de l’équipe impliquée dans le projet, afin d’identifier d’éventuels blocages avant qu’ils ne compromettent la tenue des objectifs. « Chacun est encouragé à exposer ses problèmes afin de les résoudre ensemble. Il y a une transparence sur ce que chacun fait, on évite que les retards s’accumulent », explique Cécile Roche.

Le travail est découpé en cycles plus courts et chaque étape est validée par le client. L’implication du management intermédiaire est indispensable à la réussite d’un projet lean. « À condition que le manager joue le jeu. Le partage d’activités et la mise en commun des problèmes amènent un état d’esprit plus coopératif et un changement culturel qui plaît aux gens », observe Luc Delamotte.

Standardisation

Selon Cécile Roche, les entreprises où le lean a engendré une dégradation des conditions de travail, voire de la santé des salariés, sont celles qui ont voulu l’utiliser uniquement pour augmenter la productivité. « Traquer les temps morts est une caricature du lean, affirme-t-elle. Certes, on essaie de réduire les tâches répétitives en les standardisant, pour se concentrer sur les tâches à plus forte valeur ajoutée, mais, en aucun cas, il faut supprimer toutes les respirations. » La standardisation utilisée à Thales en production comme en R & D est un aspect du lean qui suscite des critiques. Et là encore, la directrice du lean temporise : « Attention, le standard en lean n’est pas une procédure décidée au niveau central et imposée à toute l’entreprise, il est défini par chaque équipe, adapté au contexte local et amélioré en permanence. »

Ce n’est pourtant pas l’avis des salariés d’une petite équipe (une trentaine de personnes) de réparation de matériel électronique située à Brest, qui ont alerté leurs délégués du personnel sur l’augmentation du stress et la dégradation des conditions de travail à la suite de la mise en place du lean. « Ils témoignent d’un manque d’autonomie, ont l’impression de subir une organisation du travail imposée d’en haut. La recherche de l’efficacité maximale les stresse. La dépersonnalisation des postes de travail est mal vécue », rapporte Roland Mainpin, élu CHSCT chargé de les auditionner et de faire un rapport. Ce malaise concernerait un tiers des salariés de ce service. La direction admet que le changement des habitudes de travail ou le passage en open space puisse faire des mécontents à certains endroits. « Le lean est appliqué de manière décentralisée par les chefs d’équipe, mais nous sommes là pour accompagner les managers qui nous le demandent », rappelle Cécile Roche.

Réduction des coûts

Même si le lean fait des mécontents, le jeu en vaut la chandelle, selon la direction, puisque les résultats sont là : en R & D, une meilleure tenue des délais, voire une baisse des temps de réalisation et une réduction du taux d’erreurs dans certaines équipes de développement logiciel ont été constatés. En production, les résultats sont encore meilleurs, puisque, sur certains produits, le lean a permis de réduire le coût de production de 2 % chaque année. La CGT n’est pas dupe : « Le lean est associé à une volonté de réduction des coûts, il est une application d’un vaste plan d’économie dans le groupe intitulé Probasis, ajoute Roland Mainpin. Nous dénonçons ces méthodes qui déshumanisent le travail. »

THALES

• Activité : hautes technologies pour la Défense, la sécurité, l’aérospatial et le transport.

• Effectifs : 67 000 collaborateurs dans 56 pays.

• Chiffre d’affaires 2011 : 13 milliards d’euros.

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER