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QUE RESTERA-T-IL DES HEURES SUP ?

Enquête | publié le : 25.09.2012 | CAROLINE FORNIELES

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QUE RESTERA-T-IL DES HEURES SUP ?

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

La disparition des avantages sociaux et fiscaux sur les heures supplémentaires provoque des remous. Dans certains secteurs, les salariés aimeraient voir compenser leur perte de pouvoir d’achat. Les entreprises sont contraintes de réévaluer la nécessité des heures supplémentaires et parfois de revoir leur organisation.

Terminé : la loi du 16 août a supprimé les avantages sur les heures supplémentaires instaurés par la loi Tepa du 21 août 2007. Depuis le 1er septembre, les heures supplémentaires et complémentaires ne bénéficient plus de réduction salariale de cotisations. L’exonération d’impôt sur le revenu a été supprimée à partir du 1er août. Seules les entreprises de moins de 20 salariés ont conservé la déduction forfaitaire de cotisations patronales. Cette réforme, qui s’applique progressivement aux salariés annualisés (lire Entreprise et Carrières n° 1108), va toucher de plein fouet le pouvoir d’achat de ceux qui cumulent beaucoup d’heures supplémentaires. Dans les secteurs du bâtiment, du transport et de l’industrie, les DRH évaluent les pertes moyennes entre 40 et 60 euros mensuels. « Je ne sais pas comment vont réagir les routiers qui font entre 25 et 50 heures supplémentaires. Ils vont s’apercevoir qu’il leur manque 60 euros en moyenne sur leur salaire et jusqu’à 100 euros pour certains », s’inquiète Jean-Luc Fayet, conducteur et représentant CFTC du groupe Stef.

Un certain malaise

Chez Clyde Union, fabricant de pompes pour l’industrie du pétrole et l’énergie nucléaire, Odile Gisclard, DRH, a été prévenue par les représentants syndicaux que les salariés qui ont un forfait annuel de 90 heures supplémentaires « préféreraient, vu la perte de pouvoir d’achat, récupérer leurs heures supplémentaires ». Même discours pour les salariés de Kuhn, entreprise de matériel agricole. « Ce choix de récupérer n’est pas le scénario le plus arrangeant pour une entreprise en pleine activité comme la nôtre, constate son DRH Marc Diebolt. Les gens ont la mémoire courte quand ils bénéficient d’un avantage. Ils oublient qu’avant 2007, il n’y avait pas de défiscalisation. »

La situation est tout aussi tendue au sein des entreprises de moins de 20 salariés. Ainsi, les employeurs du secteur de la coiffure témoignent d’un certain malaise. « On garde certes l’exonération patronale, mais pour nos salariés qui gagnent en moyenne 1 580 euros, la perte de pouvoir d’achat est conséquente, explique Franck Provost, président du Conseil national des entreprises de coiffure. En effet, 31 % de nos salariés sont concernés. Ils réalisaient en moyenne 5,3 heures sup par semaine. C’est un nouveau coup dur pour un secteur qui a perdu plus de 10 000 salariés du fait de la crise. »

Cette réforme des heures sup va inévitablement peser sur les négociations annuelles obligatoires. Abdelkader Berramdane, directeur de la veille législative à ADP, estime que la loi Tepa avait fait des heures supplémentaires un outil de rémunération supplémentaire : « Il faudra trouver d’autres leviers pour motiver les salariés. Les entreprises les plus riches réfléchiront peut-être à des compensations comme la réévaluation de la majoration pour les huit premières heures supplémentaires. » Cette hypothèse est exclue pour Vincent Cornet, responsable rémunération du cabinet Aon Hewitt : « Ne rêvons pas, les entreprises ne compenseront pas la perte de pouvoir d’achat car elles ne le peuvent pas. »

Compenser les pertes de revenus

Les confédérations syndicales qui ont milité pour la suppression de ces avantages devraient rester discrètes pendant les NAO, estime Maurad Rabhi, secrétaire confédéral CGT : « Nous étions tous contre ces exonérations qui visaient à contourner les 35 heures, appauvrissaient les caisses de sécurité sociale et étaient proprement insupportables avec un total de 5 millions de chômeurs. » Mais il n’exclut pas que des représentants syndicaux essaient de récupérer du pouvoir d’achat pour les salariés dans certaines entreprises : « C’est légitime quand les avantages sur les heures sup avaient été opportunément utilisés pour compléter les salaires. » Au sein de Stef, Jean-Luc Fayet, délégué CFTC, se prépare à négocier des compensations « si la réforme soulève un tollé chez les salariés. Dans nos métiers, si on enlève les heures sup, on gagne à peine plus que le Smic ».

Chez EasyJet, Didier Bourguignon, porte-parole du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), précise que le problème de la moindre rémunération des heures sup a été porté pendant la grève du mois d’août. « Mais nous ne sommes pas dupes : le forfait de 15 heures supplémentaires par mois a bien été utilisé par la compagnie pour compenser la faible hausse de la rémunération fixe. » Les pilotes ont obtenu une augmentation de 2,1 % de leurs salaires assortie d’une négociation sur le temps de travail.

Dominique Olivier, DRH de Bosch, doute comme certains de ses homologues que les syndicats montent au créneau pendant les NAO. Il s’attend plutôt à ce que « les salariés soumis à l’obligation de faire des heures supplémentaires s’avèrent plus réfractaires, surtout quand elles auront lieu le soir ou le samedi ».

Besoin de flexibilité

La réforme va-t-elle modifier les pratiques en termes de volume d’heures supplémentaires ? Pas dans les entreprises des secteurs du bâtiment ou des transports, en tout cas. « L’aide de l’État représentait seulement un demi-euro par heure, soit 70 000 euros par an, précise David Bordessoules, DRH de l’entreprise de transport GT location. Nous nous en passerons facilement. Par contre, nous ne pouvons pas nous passer des heures sup. »

Vincent Cornet, d’Aon Hewitt, estime que « les entreprises vont continuer parce qu’elle ont besoin de cette flexibilité ». Chez Poclain Hydraulics, 150 des 500 salariés français font des heures supplémentaires. « Ils les faisaient avant Tepa et les feront après mais avec une perte de 40 à 80 euros », résume le DRH Alain Everbecq.

D’autres entreprises prévoient néanmoins de contrôler leur volume d’heures supplémentaires. C’est le cas de Clyde Union : « Incités par Tepa, nous avions un dispositif assez généreux. Le volume d’heures sup annuel avait atteint 19 000 heures, soit près de huit équivalents temps plein, explique Odile Gisclard. Certaines heures non utiles à notre organisation vont disparaître. Par exemple, quelqu’un qui arrivait un quart d’heure plus tôt se voyait systématiquement payé en heures supplémentaires. L’entreprise a revu ses plannings en créant des plages horaires variables. Désormais, celui qui arrive plus tôt partira aussi plus tôt. »

Peu de création de postes

À l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, le volume d’heures supplémentaires devrait aussi pouvoir se réduire, parce que l’institution, qui avait près de 400 postes de paramédicaux vacants chaque année entre 2009 et 2011, a enfin réussi à embaucher sur la totalité de ces postes en 2012.

Mais, de manière générale, peu de DRH se sentent incités à créer des postes. Les prévisions des économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui anticipent 17900 créations d’emplois d’ici à 2014 (lire p. 28), leur apparaissent trop optimistes. « Nos salariés qui font des heures supplémentaires en production ou en recherche & développement ont des compétences qu’on ne peut pas remplacer au pied levé, commente le DRH de Poclain Hydraulics. La compétence ne se découpe pas. »

Le DRH de Bosch confirme : « Les emplois ne seront créés qu’à la marge. L’embauche d’intérimaires ne peut se faire que sur des postes qui nécessitent peu de formation. »

Michel Siebert, PDG du groupe agricole Kuhn, estime que les heures sup ne peuvent pas être une variable d’ajustement de l’emploi : « D’ailleurs, entre 2008 et 2011, nous avions peu d’heures supplémentaires et peu d’embauches. Tandis qu’à d’autres périodes, c’était l’inverse. Les heures supplémentaires permettent de rattraper un retard, de corriger un défaut sur des pièces ou de répondre à un besoin ponctuel de hausse d’activité. »

Erreur d’analyse

Franck Morel, juriste du cabinet Barthélémy et ancien directeur de cabinet de l’ex-ministre du Travail Xavier Bertrand, considère que c’est « l’erreur majeure d’analyse » du gouvernement actuel : « Croire que cette réforme pourra créer des emplois est stupide. Les heures supplémentaires, qui sont réalisées par des salariés aux compétences diverses, ne peuvent pas être ainsi arithmétiquement additionnées pour créer des postes. » Un avis que réfutent les principaux syndicats, qui s’attendent à voir l’intérim reprendre une partie de l’activité qui avait basculé sur les heures supplémentaires. De même, Abdelkader Berramdane s’attend à voir les entreprises recourir également à « des contrats à durée déterminée ou à de la sous-traitance ».

L’ESSENTIEL

1 Avec la suppression des exonérations fiscales et sociales sur les heures sup, les salariés concernés perdent du pouvoir d’achat et revendiquent certaines compensations.

2 Si certaines entreprises se réorganisent pour réduire les heures supplémentaires, d’autres ne peuvent s’en passer.

3 Peu de DRH envisagent d’embaucher, ou alors seulement à la marge, à temps partiel ou en intérim.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES