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« La sophistication des outils n’abolit pas la difficulté à manager à distance »

Enjeux | publié le : 25.09.2012 | ÉRIC DELON

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« La sophistication des outils n’abolit pas la difficulté à manager à distance »

Crédit photo ÉRIC DELON

Mondialisation oblige, le management à distance s’est généralisé au sein des organisations. À rebours des idées reçues, la technologie est loin d’abolir la distance entre manager et managé, qui doivent définir ensemble une organisation spécifique pour faire coïncider contrôle et autonomie.

E & C : Vos recherches démontrent que le management à distance a sensiblement changé de nature et de dimension ces dernières années. De quelle façon ?

Emmanuelle Léon : En effet, ce type de management n’est pas en soi une nouveauté. Cependant, au sein des entreprises, il a longtemps été réservé à certains niveaux hiérarchiques – direction générale, direction industrielle – ou à certaines fonctions – commercial – ou encore à des métiers bien spécifiques – réparateurs d’ascenseurs, contrôleurs dans les trains… Tel n’est plus le cas, du fait de trois phénomènes concomitants : l’évolution du contexte économique avec la mondialisation, les transformations des organisations – business units matricielles, télétravail… –, et le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, au sein des grandes entreprises, le management à distance peut concerner jusqu’à 40 % des équipes.

Ce qui n’est pas sans poser problème lorsque l’on sait que des études, déjà anciennes, montrent que 30 mètres de distance impactent déjà les interactions entre deux personnes. La distance géographique influence le type d’informations échangées, leur quantité et leur qualité. Dans le management virtuel, l’une des difficultés principales réside dans la perte de l’informel, des discussions autour de la “machine à café”», qui contribuent à créer du lien social. En outre, à la distance géographique se juxtaposent souvent les distances temporelles, culturelles, linguistiques.

E & C : En quoi ce type de gestion des hommes crée-t-il des difficultés managériales ?

E. L. : Ironie de l’histoire, alors que le management à distance se développe à vitesse grand V, la littérature et la presse managériale n’ont jamais autant évoqué le management de proximité, comme si ce dernier représentait un paradis perdu. Ce qui est loin d’être prouvé. Quoi qu’il en soit, les difficultés managériales dépendent bien évidemment des modalités organisationnelles retenues. Ainsi, il est plus simple de gérer un télétravailleur à temps partiel que d’animer une équipe virtuelle ! On voit globalement deux thèses s’affronter : pour les uns, la distance géographique n’est plus un défi car les outils permettent de la compenser. Pour les autres, dont je fais partie – sur la base de mes recherches – la distance aura toujours un impact sur la relation entre les individus.

E & C : Vous parlez de distance subjective ?

E. L. : Oui, car la distance spatiale concrète est entièrement soumise à celle de la qualité de la relation humaine entre managers et managés. Elle sera donc plus ou moins bien gérée en fonction de paramètres humains ou organisationnels, comme le fait d’être managé par quelqu’un que l’on connaissait préalablement ou encore l’ancienneté des collaborateurs au sein de l’organisation, ou bien le fait d’être seul de son équipe à se trouver à distance du manager… D’autres critères entrent également en ligne de compte, comme la disponibilité du manager, sa réactivité ou encore son niveau d’attention aux situations rencontrées par ses collaborateurs.

E & C : Les managers sont-ils naturellement réticents à exercer leur fonction à distance ?

E. L. : En général, oui. Ils éprouvent sans doute un sentiment de dépossession. Notamment ceux qui n’ont pas l’habitude de pratiquer le management par objectifs. Le management à distance ne peut fonctionner sans un certain lâcher-prise, une dose de confiance accordée à son collaborateur, alors même que le culte du chef, omniprésent, voire omniscient, est solidement ancré dans l’Hexagone. Bref, il faut accepter de déléguer, de ne pas tout contrôler, alors même que la technologie le permet. Mais ceci n’est possible que si le collaborateur est compétent sur son poste, car le manager reste avant tout responsable des résultats obtenus par son équipe. L’équilibre entre autonomie et contrôle est toujours délicat dans une situation managériale, qu’elle soit à distance ou à proximité. Pour les managés à distance, ce n’est pas simple non plus ! Ces derniers subissent souvent les changements d’organisation et, lorsque l’on a un nouveau manager tous les ans, voire plusieurs managers à la fois, nombreux sont ceux qui considèrent que, finalement, ils ne sont plus managés… tout au plus, audités à intervalles plus ou moins réguliers. Pour fonctionner, le management virtuel doit s’accompagner d’une certaine stabilité !

E & C : La confiance et l’autonomie peuvent-ils s’affranchir du reporting ?

E. L. : Bien entendu, mais attention aux dérives. À distance, pour se rassurer, un manager aura tendance à “gonfler” le reporting, alors qu’il serait plus pertinent qu’il aborde, de manière qualitative et individualisée, les problèmes spécifiques de chaque collaborateur… Lors de mes enquêtes, certains managés m’ont confié passer jusqu’à 50 % de leur temps à faire du reporting.

E & C : Quel rôle la technologie joue-t-elle dans le management à distance ?

E. L. : De plus en plus sophistiquée, la technologie demeure relativement neutre dans la relation managériale. Elle joue le rôle de “facilitatrice”, mais ne remplace pas le face-à-face pour gérer les conflits ou pour développer la créativité. Que de temps perdu à organiser des conférences téléphoniques ou des visioconférences qui fonctionnent mal ! Et les coûts d’installation de la téléprésence demeurent, pour nombre d’entreprises, rédhibitoires. L’arrivée des réseaux sociaux d’entreprise va peut-être apporter un plus pour fluidifier le travail collaboratif.

E & C : Peut-on être un bon manager de proximité et un mauvais manager à distance ? Et inversement ?

E. L. : Le management à distance est un révélateur du style de management. Un manager de proximité, tatillon et dans l’hyper-contrôle le sera encore davantage à distance. Un manager qui s’appuie principalement sur son charisme pour faire avancer ses équipes aura quelques difficultés dans une relation à distance ! Je ne rentrerai pas ici dans la liste exhaustive des compétences à attendre de part et d’autre – manager et collaborateur –, mais il est évident qu’une mauvaise adéquation aura davantage d’impact à distance, car elle ne sera souvent détectée que trop tard, parfois uniquement lorsque le collaborateur choisira de partir. Aussi, toute réflexion sur la distance géographique doit s’accompagner d’une réflexion sur les distances que managers et collaborateurs créent en fonction de leur mode de travail, de leurs rapports hiérarchiques ou dans leur vision du rapport à l’autre.

SON PARCOURS

• Emmanuelle Léon, professeure de GRH, dirige le mastère spécialisé management des RH et des organisations à l’ESCP Europe.

• Ses travaux de recherche portent sur le management à distance, le télétravail et les équipes virtuelles.

• Elle est l’auteure de Le Management à distance. De la distance objective à la distance subjective (éd. Universitaires européennes, 2011).

SES LECTURES

• Refonder l’entreprise, B. Segrestin, A. Hatchuel, Seuil, 2012.

• La Performance collective, Xavier Baron, Éditions Liaisons, 2012.

• Le Travail sous tensions, Michel Lallement, Éditions Sciences Humaines, 2010.

• Donner et prendre. La coopération en entreprise, Norbert Alter, La Découverte, 2011.

Auteur

  • ÉRIC DELON