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Les entreprises reprennent la main

Pratiques | publié le : 18.09.2012 | AURORE DOHY

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Les entreprises reprennent la main

Crédit photo AURORE DOHY

La refonte de la procédure d’instruction des AT-MP oblige les employeurs à s’impliquer davantage dans le suivi des sinistres déclarés par leurs salariés. Une petite révolution dans la gestion de ce risque.

Des dossiers qui prennent la poussière dans un carton avant d’être envoyés, après réception du taux de cotisation AT-MP, à un prestataire spécialisé qui se chargera de contester les plus coûteux d’entre eux : cette “gestion” du risque accident du travail et maladie professionnelle, devenue la “norme” au cours de ces dix dernières années, appartient désormais au passé. Issues du décret du 29 juillet 2009 et entrées en vigueur le 1er janvier 2010, les nouvelles règles en matière de procédures d’instruction des AT-MP applicables tant aux caisses primaires d’assurance-maladie (CPAM) qu’aux employeurs, ont rendu caduque cette stratégie exclusivement financière.

Une approche exclusivement financière

« Jusqu’à présent, en l’absence de notification des décisions de la CPAM à l’employeur, aucun délai de prescription ne courait à son encontre pour lui permettre de remettre en cause le caractère professionnel d’un accident, d’une maladie, d’une rechute ou encore d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP), explique Me Laurence Fournier-Gatier, avocate associée du cabinet Michel Ledoux et Associés. Compte tenu du principe de l’indépendance des rapports caisse-victime et caisse-employeur, l’employeur se sentait d’autant plus libre de contester tardivement une décision de prise en charge que les droits acquis par les victimes n’étaient pas remis en cause par ces contestations. »

Pour s’interroger sur l’opportunité d’une contestation, les employeurs attendaient donc de connaître l’impact réel du sinistre sur leur taux de cotisation. Celui-ci se calculant sur une période triennale, il fallait attendre les années n + 2, n + 3 et n + 4 par rapport à la date du sinistre pour en mesurer les conséquences financières exactes.

« Ce décalage dans le temps induisait une approche exclusivement financière de la gestion du risque professionnel, déconnectée de toute logique de prévention, ainsi qu’une explosion du nombre de contentieux engorgeant les tribunaux de la Sécurité sociale », précise Laurence Fournier-Gatier.

Parallèlement à la réforme de la tarification des AT-MP, une réforme de l’instruction s’est donc donnée pour objectif de limiter cette inflation : professionnalisation et harmonisation des pratiques des caisses pour couper court aux nombreuses contestations pour vice de forme (82 % du total des contestations) – si la caisse ne respectait pas scrupuleusement la procédure, sa décision était inopposable à l’employeur – et limitation du délai de contestation à deux mois afin de contraindre les employeurs à s’impliquer davantage dans le suivi des AT-MP.

Changement radical des pratiques

Pour Manpower, qui dispose depuis une vingtaine d’années d’une cellule spécialisée en droit de la sécurité sociale pour gérer le risque AT-MP, ces nouvelles mesures ont entraîné un changement radical des pratiques : adaptation de ses outils informatiques, élaboration d’un plan d’action organisationnel interne pour suivre les procédures d’instruction. « Compte tenu des délais réduits pour engager d’éventuelles contestations, de la nécessité de motiver fortement ses réserves et d’une meilleure rédaction du Code de la sécurité sociale, nous nous devons d’être davantage participatifs et réactifs devant toutes les décisions de prise en charge des CPAM concernant le caractère professionnel des AT-MP et les attributions de rentes allouées à nos salariés victimes, explique Erick Guillon, responsable du service gestion & contentieux AT-MP à Manpower. S’il faut bien se rendre à l’évidence que cette réforme fait disparaître une part significative des fondements de recours, notamment pour le contentieux procédural, les contestations peuvent toujours être intentées grâce à une jurisprudence abondante dans ce domaine et à la possibilité pour l’entreprise de la faire encore évoluer au gré des actions menées. »

Un risque qui peut coûter cher

Alors que l’impact cumulé des deux réformes, instruction et tarification, doit produire ses premiers effets sur le taux de cotisation 2012 (elle atteindra son plein impact en 2014), tous les employeurs ont-ils pris le soin d’adapter suffisamment tôt leurs pratiques à la nouvelle donne ? « Loin s’en faut, déplore Laurence Fournier-Gatier. Les entreprises ont focalisé leurs récents efforts sur les risques liés au travail des seniors, à la pénibilité et aux risques psychosociaux sans même se rendre compte qu’elles faisaient l’impasse sur ce nouveau risque qui menace pourtant de leur coûter très cher. Et pour cause : elles ont perdu leur implication et leur savoir-faire en faisant le choix d’une externalisation totale de la gestion administrative et financière de ce risque auprès de cabinets d’audit. » La mise en place par les employeurs eux-mêmes d’une organisation adaptée à la gestion de ce risque est donc devenue indispensable.

« Posons avant toute chose des questions simples, souligne Olivier Garand, directeur du cabinet de conseil en ressources humaines Prevantis. Le service courrier sait-il identifier une notification envoyée par la CPAM et sait-il à quelle personne l’adresser dans les plus brefs délais ? Deux mois pour contester, c’est très court, a fortiori si les courriers errent de service en service pendant quinze jours ! » Privé de visibilité sur l’impact financier des sinistres, l’employeur doit ensuite établir avec précision la typologie des événements qu’il estime important de contester. « Nous avons choisi de contester systématiquement les déclarations pour mal de dos – il n’y a en effet aucune fatalité à ce qu’un métier physique entraîne des problèmes de dos –, ainsi que les accidents sans témoin, explique Michaël Malagu, responsable RH des plates-formes logistiques du groupement Intermarché pour la région Centre Ouest. Seule une connaissance fine de nos métiers et de nos salariés nous permettra désormais de décider de l’opportunité d’un recours. »

Prévention favorisée

« On peut raisonnablement espérer qu’en incitant les employeurs à s’intéresser de plus près aux causes des sinistres et à se réapproprier la gestion de ce risque, la réforme de l’instruction, chemin faisant, favorisera la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles », indique Laurence Fournier-Gatier. Michaël Malagu n’en tire pas une autre conclusion : « L’inévitable impact financier de cette réforme offre aux responsables RH de solides arguments à l’intention de leur direction. » Dès 2009, une démarche « sécurité et santé au travail » a été mise en œuvre sur l’ensemble des sites logistique du groupement Intermarché. Son objectif : réduire les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail.

L’ESSENTIEL

1 Le décret du 29 juillet 2009 a profondément bouleversé la procédure d’instruction des AT-MP, notamment en limitant le délai de contestation de l’employeur à deux mois.

2 La reprise en main de la gestion du risque AT-MP par l’employeur lui-même s’impose donc, à contre-courant de la logique de l’externalisation à un cabinet spécialisé.

3 Désormais privé de visibilité sur l’impact financier d’un accident ou d’une maladie professionnelle, l’employeur doit déterminer avec précision une typologie de sinistres sur laquelle faire porter ses contestations.

RÉFORME DE LA PROCÉDURE D’INSTRUCTION DES AT-MP
Les règles issues du décret du 29 juillet 2009 applicables depuis le 1er janvier 2010

1 – Modification du point de départ du délai d’instruction

Pour commencer à instruire un dossier, la CPAM ne doit plus seulement avoir eu connaissance d’une déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il lui faut avoir “reçu” cette déclaration, ainsi que le certificat médical initial de la victime. C’est la date de réception du dernier document envoyé qui constitue le point de départ incontestable des délais d’instruction respectifs de 30 jours et trois mois lui permettant de se prononcer sur le caractère professionnel d’un sinistre.

2 – Motivation des réserves

Les réserves éventuellement émises par l’employeur lors de la déclaration doivent être dûment motivées (la simple indication de la mention “réserves” ne suffit plus). Comme c’était déjà le cas en présence de réserves motivées ou si elle l’estimait nécessaire, la CPAM doit procéder à des investigations sur les circonstances ou la cause du sinistre, par questionnaire ou enquête auprès de l’employeur et de la victime.

3 – Respect du caractère contradictoire

Après ces investigations et afin de garantir le caractère contradictoire de la procédure, la caisse doit informer l’employeur, au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, sur les éléments de l’enquête susceptibles de lui faire grief, mais également sur la possibilité qui lui est offerte de consulter le dossier.

4 – Encadrement du délai de contestation

En cas de prise en charge d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle, d’une rechute ou d’attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) à la victime, l’employeur est aujourd’hui systématiquement destinataire de la décision de la caisse. Mieux informé, il n’a dorénavant plus que deux mois pour former un recours devant la justice.

Auteur

  • AURORE DOHY