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Enquête

ÉCHANGES RÉCIPROQUES DE SAVOIRS

Enquête | publié le : 18.09.2012 | LAURENT POILLOT

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ÉCHANGES RÉCIPROQUES DE SAVOIRS

Crédit photo LAURENT POILLOT

Pour sa tentaculaire direction du courrier, La Poste encourage ses managers à faire profiter leurs collègues de leurs talents. Une pratique inspirée du monde éducatif et des travailleurs sociaux

Région parisienne, 1971. Une institutrice, Claire Héber-Suffrin, coordonne des pratiques d’entraide entre instituteurs et travailleurs sociaux visant la réussite d’enfants, à Orly, ou à émanciper des habitants à Évry, par le don contre-don de ce que chacun sait faire : parler une langue, cuisiner, pratiquer un sport… C’est le début des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS), dont Claire Héber-Suffrin revendique d’avoir inspiré un grand nombre. Parmi eux : un réseau mis au point dès 2006 à La Poste, par une responsable qualité et innovation de la direction courrier (150 000 personnes).

Faire évoluer les comportements

Cette responsable, Maryannick Van Den Abeele, veut rendre accessibles des savoirs professionnels qui, parce qu’ils sont transmis de pair à pair et de manière informelle, seront mieux assimilés. À l’époque, l’entreprise industrialise ses plates-formes de tri et veut renouveler les modes de management. « Les réseaux pouvaient répondre aux enjeux qu’avait exprimés la direction : mutualiser des expériences et faire évoluer les comportements vers une culture de la coopération », explique-t-elle.

Son projet cible les managers : tout d’abord, le cercle des directeurs d’établissement, puis aussi celui des chefs d’équipe. « Personne ne détient toutes les compétences », professe Maryannick Van Den Abeele. « Dans le RERS, chaque manager offre et demande un savoir. Par exemple : réaliser un programme de calcul ou de traitement de texte (c’est-à-dire une macro) sous Excel, utiliser un logiciel de comptabilité, développer le chiffre d’affaires d’un établissement ou mener une réorganisation. Le catalogue de La Poste propose aussi d’exprimer son expérience de la négociation, que celle-ci ait été couronnée de succès ou pas.

Il est demandé d’aborder des savoirs précis, jamais au-delà de deux heures (prises sur le temps de travail), en présentiel ou à distance. L’expérience a d’abord été menée dans le Val-de-Marne. Élargie à l’Île-de-France, elle est désormais proposée sur la France entière. Mais elle n’a pas donné sa pleine mesure, puisque seules 1 560 personnes se sont inscrites sur le réseau, sur un effectif de 12 000 managers (13 %).

Chaque volontaire s’inscrit sur un site de ressources en ligne : annuaire des participants, catalogue d’offres, forum et, depuis peu, une “docuthèque collaborative”. On dépose ses coordonnées pour avoir accès à la bourse d’échanges. Se positionner implique de présenter simultanément une offre et une demande de savoir à partager. Le RERS de La Poste a recensé 4 700 propositions, qui ont donné lieu à 3 500 échanges.

La participation au RERS est reconnue comme une formation de proximité et comptabilisée comme un objectif de formation du personnel, mais l’action n’est pas imputée sur le plan. La direction générale a validé la démarche en l’inscrivant dans la stratégie de l’entreprise, en tant qu’outil de décentralisation des activités courrier.

Pourtant Maryannick Van Den Abeele reconnaît des difficultés, qu’elle énumère dans un livre consacré à son sujet de prédilection*.

Déjouer la réticence des salariés

Il a fallu déjouer la réticence des salariés vis-à-vis des outils technologiques. « Même en 2006, très peu se rendaient sur le site. J’ai donc organisé les bourses d’échange localement, en présentiel. » Du coup, 98 % des managers ayant effectué des échanges se connaissaient. Autre frein, l’administration du site nécessitait une animation plus soutenue. Elle a obtenu que 40 managers dégagent 5 % de leur temps pour faire vivre le réseau.

Un satisfecit à nuancer

Mais l’obstacle majeur est venu des managers de managers, ou bien des experts internes. « La logique collaborative va à l’encontre de l’esprit de hiérarchie. Le supérieur n’est plus celui qui détient toute la connaissance, ni le plus légitime à contrôler. Beaucoup de cadres n’ont pas apprécié. » Y compris des formateurs, qui ont vécu le RERS comme une démarche concurrente.

Or, selon les évaluations internes, la démarche plaît : le taux de satisfaction oscille entre 86 % et 92 % sur des items tels que la confiance en soi, la collaboration entre établissements et les relations avec les collègues. Un satisfecit toutefois à nuancer, car les utilisateurs du RERS ne renseignent pas systématiquement les “fiches pratiques d’objectifs” utilisées pour améliorer le système.

* Échanges réciproques de savoirs en entreprise – Un réseau au service de l’entreprise responsable, éd. Chronique sociale, novembre 2011, 224 pages.

LA POSTE COURRIER

• Activité : distribution de courrier.

• Effectif : 150 000 salariés.

• Chiffre d’affaires 2011 : 11,5 milliards d’euros.

Auteur

  • LAURENT POILLOT