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COMMENT ENCADRER LES RÉSEAUX SOCIAUX

Enquête | publié le : 11.09.2012 | EMMANUEL FRANCK

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COMMENT ENCADRER LES RÉSEAUX SOCIAUX

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Le succès des réseaux sociaux oblige les entreprises à se préoccuper de ce que leurs salariés y écrivent. Plusieurs d’entre elles ont opté pour un encadrement léger, avec des guides de bon usage. Mais les directions des ressources humaines ne se sont pas encore emparées de ce dossier qui les concerne pourtant.

« Ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! » « Baltringues antiprofessionnels. » « Journée de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde. » Voici quelques-unes des amabilités postées par des salariés sur Facebook à propos de leur employeur. Elles n’auraient jamais dû sortir du cercle privé, parvenir aux yeux des intéressés et des internautes, et finalement aboutir sur le bureau d’un juge. Et pourtant… C’est le problème des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Viadeo, Linkedin…): ils floutent la frontière entre espaces privé et public.

Qu’un salarié dise pis que pendre sur son chef entre la poire et le fromage au cours d’un repas entre amis est une chose. Cela ne date d’ailleurs pas des réseaux sociaux, et la liberté de dire du mal de son patron est reconnue depuis longtemps par le Code du travail, dans certaines limites. C’en est une autre s’il l’écrit sur son mur Facebook. Et le risque de porter préjudice à la personne objet des diatribes ou à l’entreprise soucieuse de son e-réputation et de ses secrets industriels, n’est pas le même selon que le salarié a 10 « amis » sur son réseau ou 600 « followers » ; que son « mur » est visible de ses seuls amis ou des amis de ses amis, ou qu’il est ouvert à tous. Or beaucoup font preuve d’une grande « insouciance », note Stéphane Choisez, avocat associé au cabinet NCA, en ne se rendant pas compte de la publicité de leurs propos (lire son interview p. 29).

70 % des salariés sont inscrits à des communautés virtuelles

Alors que 70 % des salariés seraient inscrits à des communautés virtuelles (Ifop-Michael Page, 2012), les directions d’entreprise commencent seulement à se préoccuper de ce que ces derniers y écrivent. Certaines en sont au stade de la réflexion : plusieurs entreprises, adhérentes à Entreprise & Personnel, l’association consacrée à la GRH, ont monté en 2010 un groupe d’échange sur “le travail à l’ère 2.0”. « Elles se rendaient compte que le Web 2.0 commençait à faire partie de leur vie, explique Maud Dégruel, directrice de projet à Entreprise & Personnel et animatrice du groupe d’échange. Les questions qu’elles se posent sont : comment utiliser les réseaux sociaux en interne ? Comment les salariés utilisent-ils ces médias ? Comment réagir ? » D’autres – rares – entreprises sont allées devant les tribunaux. De ce début de jurisprudence, il ressort quelques précisions sur l’insulte et la diffamation sur les réseaux sociaux, mais rien encore sur la confidentialité. Un principe commence également à émerger, selon lequel arguer qu’on ne connaît pas le paramétrage de son compte sur un réseau social n’est pas une excuse. Autrement dit, un salarié ne peut dire qu’il croyait s’exprimer dans un cadre privé au prétexte qu’il ne savait pas si son compte était en accès ouvert ou restreint (lire p. 26). Mais la plupart des entreprises préfèrent éviter le contentieux de peur de se faire retoquer ou par crainte d’une mauvaise publicité. En outre, remarque Maud Dégruel, « elles ne sont pas impuissantes à faire fermer un blog, mais les effets nuisibles se produisent très vite ; et le temps de fermer un blog, un autre apparaît ».

Succès des guides de bonnes pratiques

La voie judiciaire n’étant pas le meilleur outil de régulation, certaines entreprises lui préfèrent celle de la soft law et de la prévention. De même qu’il y a quelques années, on a vu fleurir les chartes sur l’usage des systèmes d’information, on voit aujourd’hui apparaître des guides de bonnes pratiques sur l’usage des réseaux sociaux, comme à France Télécom, à La Poste, à Axa, à l’Agence France Presse ou à l’Insa, une école d’ingénieurs. La RATP travaille sur le sien (sa sortie est prévue en octobre ou novembre), tout comme Disneyland Paris. À noter que le Medef a publié ses propres recommandations.

L’objectif de ces guides, dont certains sont opposables aux salariés, est d’inciter ces derniers à intervenir dans les médias sociaux, dans le but qu’ils contribuent à la bonne image de l’entreprise, ou au contraire de les mettre en garde contre les risques.

Le guide publié par France Télécom se situe dans la première optique (lire p. 27). Il est le fruit de l’expérience de salariés déjà aguerris aux réseaux sociaux. Les bonnes pratiques y sont décrites avec précision, mais au détriment de l’information sur les risques encourus par les salariés contributeurs, alors même que ces derniers sont supposés avoir « lu et accepté » le guide. En outre, la CFE-CGC-Unsa doute que ce guide atteigne son objectif, en raison d’une culture du management intermédiaire marquée par la défiance envers les initiatives des salariés.

Axa est dans la logique inverse. Après avoir diffusé à ses salariés des vidéos sur les travers d’un usage des réseaux sociaux et organisé des conférences sur les risques d’Internet, son guide du « bon sens numérique », qui s’adresse également à ses clients, est d’abord un guide des nuisances du Web (protection de la vie privée, délinquance numérique, protection de l’identité et de la réputation…). Il est, comme à France Télécom, le fruit d’un travail collaboratif entre des salariés utilisateurs de réseaux sociaux (lire p. 27).

Le guide de La Poste, rédigé par plusieurs directions de l’entreprise et par un avocat, maintient un équilibre entre les opportunités et les risques. L’entreprise publique a profité du toilettage de sa charte sur les systèmes d’information, annexé au règlement intérieur, pour ajouter un paragraphe sur l’usage des réseaux sociaux. Il est aujourd’hui complété par un guide de bonnes pratiques (lire p. 28). L’entreprise prend acte qu’il existe des réseaux sociaux, que ces derniers sont utiles pour engager une relation directe avec les clients, mais que la liberté d’expression des salariés ne doit pas faire oublier la déontologie du postier, objet d’un serment.

Ni les directions des ressources humaines ni les syndicats n’ont été partie prenante, ou alors de manière très périphérique, dans l’élaboration de ces trois guides, qui sont d’abord un travail d’informaticiens, de juristes et d’utilisateurs. Ils sont pourtant à l’intersection du droit du travail, de l’e-réputation, et de la culture d’entreprise. Un dossier dont les DRH pourraient donc s’emparer.

Retrouvez le guide du Medef sur <www.wk-rh.fr>, Entreprise & Carrières, rubrique docuthèque.

L’ESSENTIEL

1 Les entreprises, soucieuses de leur image et de leurs secrets industriels, commencent à se préoccuper de ce qu’écrivent leurs salariés sur les réseaux sociaux.

2 Plutôt que d’aller devant les tribunaux, plusieurs d’entre elles ont choisi de publier des guides du bon usage de ces réseaux.

3 Un dossier que les DRH ont intérêt à traiter rapidement.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK