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UN LEVIER DE TRANSFORMATION

Enquête | publié le : 04.09.2012 | ÉLODIE SARFATI

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UN LEVIER DE TRANSFORMATION

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Fusions, restructurations, métiers en voie de disparition ne signifient pas toujours licenciements. Pour maintenir leurs emplois, des entreprises ont accompagné leurs mutations par des plans de mobilité interne ambitieux.

Dans l’espace régional emploi mobilité de Bretagne de la SNCF, l’un des 23 mis en place par la société ferroviaire depuis 2010, Laurence Blanchard, sa responsable, voit passer entre ses murs près de 70 personnes par an. La plupart occupent des postes voués à disparaître, à plus ou moins brève échéance : « Ce sont, par exemple, des techniciens d’aiguillages manuels qui vont petit à petit céder la place à une exploitation informatisée, ou encore des agents d’un atelier de fret qui doit fermer dans deux ans, et qu’il faut repositionner. » Autant de personnes à qui la SNCF doit retrouver un emploi, dans un autre lieu géographique ou sur un autre métier.

Accompagner ses restructurations par la mobilité interne, géographique ou fonctionnelle ? À la SNCF, cette solution s’impose d’elle-même. L’établissement public n’est pourtant pas le seul à y recourir, y compris lorsque l’emploi n’est pas statutairement protégé. Dans le secteur des mutuelles, la Maif entend mener la mutation de son réseau sur la base d’un accord qui garantit à tous les salariés de conserver leur emploi (lire p. 23).

Réorganisation et reconversions

Dans les différentes branches de la Sécurité sociale, la fusion des organismes (CPAM, Caf, Urssaf…) se conduit sur la base d’un accord signé en 2006 et renouvelé en 2010 qui prévoit « qu’aucun licenciement économique » n’interviendra dans le cadre des réorganisations du réseau.

Ailleurs, ce sont des mutations de métiers qui ont conduit les entreprises à accompagner les salariés dans des reconversions professionnelles. L’expérience d’AXA France (“Cap métiers”), au début des années 2000, a fait date : « Il s’agissait à la fois de mettre en œuvre une nouvelle organisation et de faire évoluer les salariés des fonctions administratives vers des fonctions commerciales, en front office », rappelle Frédérique Bouvier, directrice du recrutement. AXA a ainsi organisé 3 000 mobilités en trois ans.

Depuis cinq ans, Vinci Autoroutes repositionne sur de nouveaux métiers ses salariés des péages, tandis qu’Ouest France intègre d’anciens ouvriers dans ses rédactions (lire pp. 25 et 26). Des PME aussi reconvertissent leurs salariés pour sauvegarder l’emploi : en 2009, chez ACE, une petite entreprise de sous-traitance normande, des dizaines d’ouvriers sont passés de la fabrication de sous-marin à l’activité nucléaire (lire p. 25).

Dès lors que l’entreprise s’en donne les moyens et a la capacité de proposer des postes de substitution, la mobilité interne, organisée collectivement, apparaît donc comme un moyen d’éviter les licenciements économiques. Elle a d’autres avantages, ajoute Xavier Tedeschi, directeur du cabinet Latitude RH : « C’est important, pour l’entreprise qui se transforme, de garder des salariés qui la connaissent bien. Et il est souvent moins coûteux, lorsque les métiers changent, d’adapter les salariés à ces nouvelles compétences, plutôt que de faire partir d’un côté et de recruter de l’autre. » À condition de savoir anticiper. Or, remarque Valérie Moulle, consultante au cabinet IDRH, « les directions raisonnent en séquentiel. Elles élaborent leur stratégie, évaluent les impacts financiers, les changements organisationnels puis, en dernier lieu, l’impact humain, qui est alors géré dans l’urgence ». Et la GPEC n’a pas levé les freins, constate Mathieu Malaquin, chargé d’études au Groupe Alpha, qui a conduit une étude sur le sujet (lire l’entretien p. 27): « Il n’est pas évident d’afficher les perspectives d’évolution des métiers : cela engage les directions et les syndicats et demande un bon niveau de dialogue social. » Dans une entreprise de la grande distribution, par exemple, les « mutations importantes à venir du métier de caissière, liées à l’automatisation, sont encore largement minorées ».

Mobilités temporaires

La mobilité interne peut toutefois être un moyen de préserver l’emploi dans une perspective plus conjoncturelle. Depuis 2010, Renault développe la mobilité interétablissements. Un moyen, selon Didier Réthoré, chef de projet GPEC, « d’équilibrer les effectifs entre les établissements et d’éviter des situations d’excédents ou de chômage partiel dans les établissements en surcapacité ponctuelle ». Jusqu’à 1 400 salariés ont été détachés certains mois pour une mobilité géographique temporaire, doublée parfois d’une mobilité fonctionnelle et, « dans certains cas, de reconversions. Car, pour favoriser la mobilité, nous devons privilégier le recrutement interne sur nos compétences critiques en les accompagnant par des filières de formation, et ainsi décloisonner les métiers ». Renault voudrait maintenant développer les mobilités pérennes et a renforcé à cet effet ses incitations financières pour les salariés de Sandouville et de Douai. C’est aussi via la mobilité interne – et par des mesures de départs en retraite anticipés – que le groupe assure vouloir traiter la suppression de 300 postes annoncée fin juin sur le site de Flins.

À Auchan aussi, le « plan de transformation » se fera par la GPEC, assure le groupe, qui promet dans un communiqué de « garantir le plein-emploi de ses collaborateurs », et une « priorité absolue à la mobilité interne ». Pour autant, précise Guy Laplatine, délégué CFDT, « sur les 1 800 ETP touchés, un accord de méthode comprenant des mesures de mobilité externe a été signé pour 600 ETP, notamment dans les services administratifs, pour que les mouvements se fassent plus rapidement ». Même lorsqu’elles affirment donner la priorité aux solutions internes, les entreprises ouvrent bien souvent la porte à la mobilité vers l’extérieur. Chez Eiffage Énergie, une annexe à l’accord GPEC, signée au printemps dernier, envisage toute une série de mesures pour favoriser la mobilité interne des salariés issus de sites « en tension », touchés, par exemple, par des pertes de marché. Toutefois, la mobilité externe est envisagée, « lorsque toutes les possibilités de mobilité interne auront été explorées », prévoit le texte.

Un exercice délicat

Certes, mettre en œuvre un plan de mobilité interne est un exercice délicat, en particulier lorsqu’il s’agit de mobilités géographiques. « Il est souvent plus difficile pour un salarié de changer de lieu de travail que de fonction, constate Laurence Blanchard. C’est pourquoi, si les salariés que nous accompagnons suivent en moyenne deux à trois mois de formation, on ne s’interdit rien en termes de passerelles. Un opérateur de fret a, par exemple, suivi dix-huit mois de formation pour devenir opérateur de maintenance de signalisation mécanique. » À Auchan, Guy Laplatine – qui ne s’attend pas à ce qu’il y ait beaucoup de candidats au départ, étant donné les difficultés du bassin d’emploi – pointe certains écueils dans la mise en œuvre des mobilités que l’enseigne pourra proposer, notamment avec les “drive”, ces points de retrait d’achats dans lesquels elle envisage de créer 3 200 postes d’ici à 2014. « Ce sont des postes pour des speedworkers. Il faut aller très vite, avec beaucoup de manutention. Cela peut convenir à des jeunes, mais pour des salariés des services administratifs ? Dès lors qu’elle n’est pas liée à une promotion, la mobilité interne, qui dans certains cas entraîne des déqualifications, est une mobilité par défaut. »

Dans un contexte de restructuration, le volontariat, même promis, reste relatif pour le salarié, qui n’est pas à l’abri de pressions de toute sorte. À l’Ucanss, les salariés peuvent refuser les propositions de mobilité qui leur sont faites, prévoit l’accord. Dans les faits, « on n’impose pas de mobilité géographique, mais dans ce cas, les salariés n’ont pas d’autre choix que de changer de fonction lorsque leurs activités sont transférées, précise Béatrice Druelle, secrétaire générale de la CFDT Protection sociale dans le Nord Pas-de-Calais. Cela peut bien se passer, si l’on prend le temps de bien accompagner les personnes. Mais lors de la fusion de 8 CAF régionales, les salariés n’ont eu que quelques semaines pour choisir leur nouveau poste. Certains devaient véritablement changer de métier, passer, par exemple, de la gestion de la paie au contentieux. La brutalité de ces changements a généré beaucoup d’angoisses, d’autant que la mobilité n’est pas dans les habitudes de l’institution. Un cadre qui n’avait plus de poste a fait une tentative de suicide sur le lieu de travail. »

Mobiliser l’encadrement intermédiaire

Mal accompagnée, la mobilité peut être douloureusement vécue. « Garantir l’emploi ne suffit pas. Car cela veut dire changer de service, de chef, d’environnement, parfois de métier », souligne Anne-Marie Bjornson-Langen, directrice générale d’Afpa Transitions. Dans la mise en œuvre des mobilités, Xavier Tedeschi met en avant l’implication du management de proximité, « généralement insuffisamment mobilisé. Or c’est de l’encadrement intermédiaire, du service d’arrivée mais aussi de départ, que dépend la préparation à la mobilité, l’accueil du salarié et le suivi dans le nouveau poste. Et donc le succès de la mobilité. »

Chez Axa, l’un des acquis de l’accord “Cap métiers” a d’ailleurs été, constate Frédérique Bouvier, de « professionnaliser nos outils RH, mais aussi de développer, avec les managers, la culture de l’anticipation, de l’accompagnement collectif et du tutorat. Avec 500 mobilités par an en rythme de croisière, changer de métier est aujourd’hui devenu acceptable, et même désirable pour les salariés », assure-t-elle.

L’ESSENTIEL

1 Afin d’éviter des licenciements, des entreprises misent sur la mobilité interne pour accompagner leurs mutations.

2 Dans certains cas, il s’agit pour les salariés dont le métier disparaît d’opérer de véritables reconversions professionnelles.

3 Pour être bien vécue, la mobilité interne doit être accompagnée, au cours d’un processus qui prend du temps.

TÉMOIGNAGE SNCF, LE TEMPS DE L’ACCOMPAGNEMENT

« Transformer une mobilité contrainte en mobilité active », tel est l’enjeu de l’accompagnement des agents de la SNCF, selon Laurence Blanchard. Un objectif qui passe, dans l’espace emploi mobilité qu’elle dirige, par un accompagnement spécifique. Ainsi, quand des postes sont menacés, « les directeurs de l’entité conduisent des entretiens exploratoires avec les agents et les orientent vers l’espace mobilité. Ils y sont alors détachés pour une durée de douze mois et placés sous la hiérarchie du conseiller qui les suit. Si nécessaire, les conventions peuvent être renouvelées une fois, mais, en moyenne, le détachement dure neuf mois. »

Un temps long qui s’explique par la difficulté, dans certains cas, à « faire son deuil. Être en situation de recrutement peut aussi être violent. Ce n’est pas facile d’être jugé non apte à prendre un poste quand on travaille à la SNCF depuis vingt-cinq ans.

Le conseiller doit alors faire réfléchir la personne, par analogie, sur ce qu’elle sait faire, et enrichir son projet professionnel. Nous établissons un bilan de mobilité interne, qui passe par l’évaluation du potentiel, des tests psychologiques, des périodes de découverte des métiers. On y arrive tout doucement, sans être coercitif. » Les salariés en mobilité interne suivent le même processus que les recrues externes, précise Laurence Blanchard. « Les centres de formation leur sont ouverts. Pour les personnes sans qualification et qui ont souvent occupé le même poste pendant longtemps, des formations aux savoirs de base sont organisées avec les Greta et l’Afpa. » Néanmoins, les salariés pris en charge par les espaces emploi mobilité sont prioritaires : « Tous les postes ouverts sont d’abord communiqués aux espaces mobilité interne de chaque région, qui regardent dans leurs viviers s’ils ont des candidats. Les recruteurs ont obligation de recevoir le candidat en entretien. Puis le poste est mis sur la bourse à l’emploi interne, avant d’être ouvert en externe. »

Depuis 2010, Laurence Blanchard ne comptabilise que deux échecs. « Nous avons réussi à faire de la mobilité acceptée », conclut-elle.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI