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« La RSE va poser un défi de transparence à l’entreprise »

Enjeux | publié le : 04.09.2012 | CHRISTIAN ROBISCHON

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« La RSE va poser un défi de transparence à l’entreprise »

Crédit photo CHRISTIAN ROBISCHON

La prochaine obligation de publier un rapport sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) modifiera la nature de ce concept, qui se prête souvent aujourd’hui à l’autopromotion des entreprises. Il en découle un besoin d’animation de la RSE : une nouvelle opportunité pour les DRH d’affirmer leur rôle clé dans l’entreprise.

E & C : La RSE en entreprise déborde-t-elle du champ du développement durable pour investir des thèmes de RH ?

Pia Imbs : Oui, c’est indéniable. Définie comme l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales et par la qualité de leurs relations avec leur environnement extérieur sur ces sujets, la RSE pose aujourd’hui un défi redoutable à la GRH : elle la questionne dans ses pratiques et dans ses outils, elle rend plus visibles ses conséquences sur la société.

La RSE rejoint les thèmes de la diversité, de l’égalité professionnelle, du dialogue social, de l’emploi et du management des seniors. En France, ces sujets présentent la particularité d’être encadrés par un très grand nombre de textes réglementaires et législatifs, dont récemment les lois sur l’égalité des chances, sur l’égalité salariale, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Mais au-delà de ce périmètre obligatoire…, dont la mise en application représente déjà un vaste chantier, il existe une série de domaines qui permettent de faire preuve d’innovation : le congé solidaire, le mécénat de compétences, une politique d’intégration de jeunes non-qualifiés, un partenariat avec des associations et ONG. Ces formes d’engagement individuel des salariés favorisent en retour leur sentiment de fidélité et de fierté envers leur entreprise. Enfin, dans les groupes multinationaux, la RSE fait émerger de nouveaux sujets comme la gestion sociale de la sous-traitance.

E & C : L’obligation de reporting inscrite dans la loi Grenelle 2 va-t-elle bouleverser l’approche de la RSE ?

P. I. : Elle va effectivement en changer la nature. Le rapport développement durable & RSE engagera la gouvernance de l’entreprise. La nouvelle réglementation (article 225 de la loi Grenelle 2) formalise un processus qui avait peu à peu déçu nombre de parties prenantes et d’analystes, en raison du caractère trop peu précis de nombreux rapports développement durable. D’un outil qui, reconnaissons-le, appuie souvent avant tout une politique de communication d’entreprise, la RSE va passer à quelque chose qui impliquera rigueur et transparence. Le document ne pourra pas se contenter d’une consolidation vague, il devra comporter des informations précises, site par site.

De plus, le Grenelle 2 prévoit qu’un acteur intéressé – médias, ONG, centrale syndicale, riverains… – pourra exiger en justice des données dues par l’entreprise, que celle-ci n’aurait pas communiquées d’elle-même. En outre, le document devra être certifié par un audit extérieur. Le moment clé sera le rapport de l’exercice 2016, lorsque cet auditeur établira un avis motivé sur la sincérité des données et les explications à l’absence éventuelle de certaines informations demandées. L’obligation de reporting s’imposera aux entreprises de plus de 500 salariés et de plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais je suis convaincue qu’elle se diffusera aussi aux PME ne remplissant pas ces critères. Celles-ci ne pourront pas ne pas se sentir concernées. Le décret d’application, finalement sorti fin avril 2012 après plus d’un an de vicissitudes, fixe déjà une longue liste d’informations à fournir, dont l’emploi, l’organisation du travail, les relations sociales, la santé et sécurité, la formation, l’égalité de traitement.

Dans le management de la RSE, on s’achemine donc vers une démarche de preuve, articulée autour de données précises qui mesurent les progrès sociaux, environnementaux et sociétaux des entreprises, au regard de référentiels normés. S’ouvre actuellement tout un chantier pour proposer des indicateurs.

Le Medef vient de publier un guide à l’intention de ses entreprises ressortissantes. À l’échelle internationale, il existe déjà la GRI (Global Reporting Initiative), un outil anglo-saxon adopté par de nombreuses multinationales et en correspondance avec le référentiel ISO 26000. Mais personnellement, je ne suis pas favorable à une standardisation : les problématiques de RSE dans la métallurgie ne sont pas identiques à celles de la grande distribution.

E & C : L’ISO 26000, communément qualifiée de “certification RSE”, gagne du terrain. Quelle est sa portée exacte ?

P. I. : A la différence des ISO 9000 (qualité) et 14001 (environnement), la 26000 ne se prête pas – encore – à la certification. Il s’agit d’un guide d’application de la RSE dont l’objectif est de clarifier le concept et de le rendre applicable à tout type d’entreprise. Sa portée est toutefois loin d’être négligeable. L’outil a été travaillé par 500 experts issus de 90 pays. Il s’agissait bien de créer une vision partagée de la responsabilité sociétale dans un cadre de référence international.

Dans son contenu, le texte insiste beaucoup sur le respect de la dignité de la personne et des Droits de l’Homme : liberté syndicale, abolition du travail des enfants, protection sociale, conditions de vie et de travail. Ceci en accord avec les grands principes de l’OIT, du Pacte mondial et de l’OCDE. Il crée un corpus de principes universels qui peut d’ailleurs nourrir une GRH à déployer à l’échelle de groupes internationaux. Il fait prendre conscience à l’entreprise de l’étendue de sa sphère d’influence. La norme appelle ainsi à la vigilance quant aux impacts induits sur les fournisseurs, les sous-traitants…

E & C : Quel sera le rôle du DRH dans le développement de la RSE ?

P. I. : Situé à la convergence de nombreuses fonctions (achats, logistique, RH, finances, marketing…), le management de la RSE a besoin d’un chef d’orchestre dans l’entreprise. Ce rôle peut être confié à une nouvelle fonction : on commence à voir apparaître des directeurs RSE, terme qui se recouvre souvent avec celui de directeur du développement durable ou qui lui est synonyme. À mon sens, le DRH a toute légitimité pour endosser ce rôle de pilote, compte tenu de la nature transversale de sa propre fonction.

À supposer que le pilotage de la RSE ne lui revienne pas, il en restera de toute manière un acteur incontournable. Il aura notamment la responsabilité de la récolte de l’information et de la formation à la RSE qui prendra une importance croissance avec l’obligation de reporting. Il faudra aussi former des correspondants RSE dans les établissements et les implantations à l’étranger. Le DRH sera sans doute le mieux placé pour montrer le caractère enrichissant des initiatives sociétales, voire le “retour sur investissement” des engagements solidaires comme le mécénat de compétences, pour les faire accompagner par des soutiens financiers ou des détachements temporaires de personnel. Il peut aussi choisir d’intégrer des critères RSE dans les évaluations des collaborateurs.

Il lui incombera de pérenniser les actions dans le temps. On voit bien que la RSE amène le DRH à dépasser son domaine de compétence classique. N’est-ce pas là une opportunité pour repositionner son rôle de manière stratégique ?

SON PARCOURS

• Pia Imbs est maître de conférences en sciences de gestion à l’École de Management de Strasbourg, où elle dirige la chaire développement durable, un Executive MBA développement durable et responsabilité sociale des organisations ainsi qu’un master ressources humaines en apprentissage.

• Elle a notamment dirigé un ouvrage collectif L’entreprise exposée à des responsabilités élargies (éd. EMS, 2004) et est l’auteure de plus d’une trentaine de publications dans divers champs du management.

SES LECTURES

• La cause humaine. Du non-usage de la fin du monde, P. Viveret, Les Liens qui libèrent, 2012.

• Manager la responsabilité sociale de l’entreprise, J.-P. Gond et J. Igalens, Pearson, 2012.

• La voie. Pour l’avenir de l’humanité, E. Morin, Fayard, 2011.

• Responsabilité sociale des entreprises, regards croisés droit et gestion, F.-G. Trebulle et O. Uzan (sous la direction de), Economica, 2011.

Auteur

  • CHRISTIAN ROBISCHON