On sait à peu près tout des méthodes de management toxiques : des cost-killers décomplexés aux cadres décervelés qui répètent comme des automates le credo « compétence, performance, rentabilité », persuadés qu’il s’agit de l’antienne de la modernité ; des chômeurs sélectionnés sur leur docilité jusqu’aux exclus d’un système qui fonctionne à moindre coût : chacun étant trop heureux, quand c’est le cas, de tenir au moins un emploi, même précaire ou avec un salaire sans rapport avec ses qualifications.

L’apport de Jean-Philippe Desbordes, auteur d’un grand nombre de documentaires audiovisuels sur le monde du travail, est de montrer qu’il ne s’agit là de rien d’autre que ce que préconisait déjà le taylorisme, à savoir une ultime tentative pour transformer les humains en robots afin d’augmenter les profits. L’absurdité et l’inhumanité du système apparaît en pleine lumière dans la comparaison des chiffres de rentabilité dus à la productivité et des chiffres exigés des salariés pour satisfaire les actionnaires. Quand la croissance s’effondre, comment peut-on exiger encore un retour sur investissement de 15 % si ce n’est en abusant de l’humaine ressource, plus souple à pressurer qu’un outil mécanique ? Mais la casse humaine existe aussi, et on peut toujours tenter d’en repousser les limites, d’autant que le marché abonde en salariés de rechange. Le tout sous couvert de discours humanistes qui aiment à se draper du vêtement chatoyant des valeurs. C’est ce qu’on appelle le storytelling : l’art de raconter des histoires, voire parfois des bobards.

Management circus

Jean-Philippe Desbordes, Actes Sud, 160 pages, 19,50 euros.