logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Les risques psychosociaux peuvent générer des troubles physiques »

Enjeux | publié le : 10.07.2012 | SOLANGE DE FRÉMINVILLE

Image

« Les risques psychosociaux peuvent générer des troubles physiques »

Crédit photo SOLANGE DE FRÉMINVILLE

Identifier les risques psychosociaux et leur impact permet ensuite de les repérer dans les entreprises et d’agir pour les réduire. Des démarches existent pour améliorer la situation des salariés. C’est toute la santé au travail qui en dépend.

E & C : D’après vos travaux, les risques psychosociaux sont des risques majeurs. Comment l’expliquez-vous ?

Michel Vézina : Nous avons des données montrant que les risques psychosociaux sont importants. Ils ont un impact sur la santé physique, en particulier les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les maladies cardiovasculaires, ainsi que sur la santé mentale. En nous appuyant sur des modèles théoriques validés, nous avons identifié les principaux types de risques psychosociaux : la charge de travail, l’autonomie décisionnelle, la reconnaissance au travail et le soutien social. Ils sont liés à des besoins humains fondamentaux : l’estime de soi, le sentiment d’appartenance, le besoin de s’accomplir… Nous avons mesuré ces risques au cours de l’enquête québécoise sur les conditions de travail, d’emploi et de santé et sécurité au travail (Eqcotesst)*.

E & C : On met souvent en cause la charge de travail. Quelle est votre analyse ?

M. V. : La charge de travail est un facteur important, mais c’est plutôt le tandem entre charge de travail et faible autonomie, faible reconnaissance ou encore faible soutien qui pose problème. Par exemple, quand un salarié est obligé de respecter un cahier de procédures qui s’épaissit d’année en année, ou qu’il est contraint de suivre un protocole comme une machine. Travailler, ce n’est pas seulement appliquer des procédures, c’est aussi faire face à des situations qui vous obligent à être inventif.

Par ailleurs, pour qu’une organisation soit efficace, il faut que les salariés y mettent du leur, qu’ils fassent des choses non prescrites. Quand on lui demande beaucoup sans lui laisser de marge de manœuvre, le salarié risque l’épuisement professionnel. De même, les risques psychosociaux sont plus élevés s’il y a un déséquilibre entre les efforts accomplis et la reconnaissance témoignée, qu’elle soit monétaire ou non.

Si quelqu’un fait beaucoup d’efforts, il s’attend en retour à être estimé, respecté ou à avoir accès à un poste stable ou à des perspectives de carrière. Sinon, il va, s’il le peut, réduire ses efforts. Le travail perd de son sens. Cela se traduit par de l’absentéisme ou du présentéisme : les gens sont au travail, même malades, mais ils produisent moins, ce qui peut coûter trois à dix fois plus cher que l’absentéisme. L’absence de soutien social, de la part des collègues ou des supérieurs, est également un facteur de risque. Car, si un salarié n’est pas aidé, en cas de dysfonctionnement d’une machine par exemple, il prend du retard. Ensuite, il va plus vite, il bâcle son travail. Non seulement la qualité de ce travail diminue, mais l’augmentation des contraintes renforce les risques de TMS. Et, la tension montant, la probabilité de faire un infarctus s’accroît.

E & C : En quoi les risques psychosociaux favorisent-ils l’apparition des TMS ?

M. V. : C’est une chaîne causale multifactorielle. D’après l’enquête Eqcotesst, un effort élevé joint à une faible autonomie représente un réel facteur de risque : les travailleurs exposés à ce mélange toxique présentent une prévalence deux fois plus élevée de TMS à au moins une région corporelle que ceux qui n’y sont pas exposés. Une charge élevée de travail conjuguée à un faible soutien a également un caractère pathogène. Au vu des enquêtes réalisées, on estime qu’entre un cinquième et un tiers des pathologies de santé mentale, des TMS et des maladies cardiovasculaires sont dus aux risques psychosociaux. Cela signifie que, pour prévenir efficacement les TMS, il faut agir à la fois sur les facteurs biomécaniques et psychosociaux.

E & C : Vous avez mis au point une grille des risques psychosociaux au travail pour que les entreprises puissent les évaluer et faire de la prévention. Comment mesurer ces risques de façon objective ?

M. V. : Il est possible d’identifier les principaux risques et les raisons pour lesquelles ils entraînent des réactions négatives au plan psychologique. La démarche que nous avons conçue est adaptée pour les petites entreprises. Un expert, formé à cette démarche, juge du niveau de risque à partir de critères factuels : il se renseigne auprès d’informateurs clés qui répondent à douze indicateurs. Les six premiers indicateurs concernent le contexte de l’emploi et les politiques de prévention dans l’entreprise. Par exemple, avez-vous un système qui vous permet de recevoir les plaintes en cas de harcèlement ? Avez-vous une politique connue de prévention du harcèlement ? Les six autres permettent d’identifier les pratiques de gestion et les dimensions organisationnelles qui influent sur les risques psychosociaux. Pour juger de la situation, l’expert dispose d’une série d’exemples sur chacun des niveaux de risque.

Les “informateurs clés” sont des représentants de la direction et des salariés. Il s’agit de personnes volontaires, crédibles, qui connaissent bien le milieu. Les entretiens menés peuvent être individuels ou collectifs.

E & C :Comment réduire les risques psychosociaux ?

M. V. : Au départ, notre objectif était seulement de repérer les risques dans l’entreprise. Au final, on a débouché sur un outil de mobilisation qui permet d’améliorer la situation. La restitution des informations est un moment important, parce qu’elle a une dimension pédagogique : les gens s’assoient autour de la table et échangent sur des questions qui sont le plus souvent l’objet d’un déni. Non seulement le fait d’en parler fait baisser la tension, mais on crée des espaces de parole sur des questions sensibles. La démarche permet également de dégager des pistes d’action. En étudiant ce qui caractérise le niveau de risque zéro pour tel ou tel indicateur, cela permet de savoir quelles orientations privilégier. Nous sommes aussi en mesure de situer l’entreprise par rapport à un groupe de référence dans le même secteur.

E & C :Vous avez créé une norme “Entreprise en santé”. Quel est l’objectif ?

M. V. : Il faut que les entreprises voient l’intérêt à mobiliser les salariés pour leur mieux-être. Quand on reconnaît les salariés dans une organisation, quand on les écoute, on crée une culture de l’initiative, de la mobilisation. Les entreprises performantes dans le domaine de la santé et de la sécurité enregistrent de bons résultats, notamment en matière d’absentéisme. Elles ont intégré une démarche participative.

Elles facilitent la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, par exemple grâce à des horaires variables. C’est donnant-donnant. Une personne qui s’est sentie écoutée quand elle en a eu besoin, va s’engager davantage dans l’entreprise. Les attentes signifiées aux cadres, attentes sur lesquelles ils seront évalués, intègrent l’attention qu’ils portent aux questions de santé et de sécurité au travail de leur personnel. Cette démarche permet d’élever la valeur santé des salariés au même niveau de préoccupation que la question financière dans l’entreprise.

* Accessible sur <www.inspq.qc.ca>

PARCOURS

• Michel Vézina, médecin et chercheur, est professeur titulaire au département de médecine sociale et préventive de l’université de Laval au Québec et conseiller en santé au travail à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Il a fait partie du collège d’expertise de l’Insee sur le suivi des risques psychosociaux.

• À l’origine de la norme “Entreprise en santé”, il a dirigé une enquête sur les conditions de travail, d’emploi et de santé et sécurité au travail (Eqcotesst).

• Il est l’auteur entre autres de “Santé mentale au travail : répondre à des besoins humains fondamentaux”, in Travail et santé (sous la direction de Y. Clot et D. Lhuilier, Érès, 2010.

LECTURES

• Suicide et travail : que faire ? Christophe Dejours et Florence Bègue, PUF, 2009.

• Les 7 Pièces manquantes du management, Jean-Pierre Brun, éd. Transcontinental, 2008.

• “La santé au travail : enjeux pour la santé publique”, in Santé Publique, Société française de santé publique, suppl. n° 3, mai-juin 2008.

Auteur

  • SOLANGE DE FRÉMINVILLE