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Sacrés jours fériés !

Actualités | publié le : 10.07.2012 | EMMANUEL FRANCK

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Sacrés jours fériés !

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

L’idée de l’ANDRH de transformer trois jours fériés d’origine chrétienne en congés a suscité la semaine dernière un débat bien au-delà de la communauté RH… avant de retomber. Cette revendication très politique, élaborée par l’appareil de l’association, ne répondait à aucune demande.

Si l’objectif était de faire débat, il a été atteint. S’il s’agissait de faire évoluer le Code du travail, c’est moins sûr. La proposition avancée par l’ANDRH de « neutraliser » trois jours fériés chrétiens a suscité de nombreuses réactions. Au cours de ses assises, qui se sont tenues le 29 juin, l’Association nationale des DRH a en effet préconisé de transformer trois jours fériés d’origine chrétienne (la Pentecôte, l’Ascension et le 15 août) en congés.

Cette annonce a été reprise par de nombreux médias, bien au-delà de la presse spécialisée, et a suscité de nombreuses réactions, toutes mitigées. Avec deux conséquences principales : la démonstration que les jours fériés et la religion sont des thèmes qui ne se traitent pas à la légère, et l’éclipse quasi totale des autres propositions de l’association, comme la fusion des IRP et la consultation des salariés pour débloquer une négociation qui, elles, concernent la compétitivité des entreprises.

Sentiment d’équité et de respect

Pour justifier la neutralisation de ces trois jours fériés, l’ANDRH fait d’abord valoir un argument sociétal : cela accroîtrait le « sentiment d’équité et de respect de la conscience individuelle des salariés au sein de l’entreprise, tout en restant neutre ». « Il s’agit de prendre en compte l’évolution de la société, expliquait Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH et DRH de Rhodia, à l’issue des assises de l’association. Nous vivons encore sous le modèle des années soixante. » Pascal Bernard, vice-président de l’ANDRH et DRH de l’agence régionale de santé d’Île-de-France, allait même plus loin en estimant que cette réforme contribuerait à lutter contre les intégrismes. « Dans une période de crise, il est encore plus important d’être rigoureux dans les comportements éthiques », faisait-il valoir.

Mais la proposition de l’ANDRH poursuit également – et peut-être surtout – un objectif de compétitivité. Alors que deux des trois jours fériés en question tombaient cette année dans un mois de mai particulièrement vacancier, Jean-Christophe Sciberras fait valoir qu’en les « neutralisant », « les entreprises ouvriront trois jours de plus dans l’année ».

Las ! Comme cela était prévisible compte tenu de la sensibilité des questions religieuses, le débat sociétal a complètement occulté le débat sur la compétitivité, pourtant d’actualité.

La CFTC, regrettant que l’ANDRH n’ait pas préalablement consulté les syndicats, estime que les jours fériés en question « sont des jours de la République, inscrits dans le Code du travail de la République. Ils sont des marqueurs de temps privilégiés du lien social, familial et associatif, indispensables pour l’équilibre de notre société ». Lionel Honoré, professeur des universités à Sciences Po Rennes et directeur du tout nouvel Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre, lire ci-contre) est sur la même ligne : « Cette réforme permettrait aux salariés non chrétiens de vivre leur religion, ce qui est positif ; d’un autre côté, ces jours fériés sont communs à tous depuis toujours, ce sont des moments où l’on fait société. » Et d’ajouter que, « le risque est d’aller vers une société à la carte qui débouche sur du communautarisme ». Alain Seksig, en charge de la mission laïcité au Haut conseil à l’intégration, souligne également que ces jours sont « un acquis social sécularisé depuis longtemps ». Selon lui, « la bonne solution, déjà pratiquée par de nombreuses entreprises, est d’examiner avec bienveillance les demandes de congés et de rappeler, par exemple dans le règlement intérieur, que ces autorisations sont accordées en fonction de l’intérêt du service » (lire à ce sujet Entreprise & Carrières n° 1090).

Une proposition déjà faite en 2008

Autre explication à l’accueil mitigé de la proposition de l’ANDRH : elle ne répond pas à une demande, ni des adhérents de l’association, ni des salariés, ni des autorités religieuses. En 2008, l’ANDRH l’avait déjà faite, mais elle n’avait alors pas suscité d’échos. Cette année, la commission égalité de l’ANDRH, présidée par Pascal Bernard, l’a ressortie au moment des assises mais sans l’avoir préalablement présentée aux adhérents lors du “tour de France” qui précède les assises. « Ce qui s’est passé va les faire réfléchir », note un bon connaisseur de l’ANDRH.

Du côté des salariés, Lionel Honoré note que la demande concernant les jours fériés « n’est pas fréquente sur le terrain ». D’un côté, il constate que les revendications de faits religieux sont de plus en plus nombreuses dans les entreprises, de l’autre, il relève que celles-ci ne concernent que marginalement la religion : « Elles servent à faire passer un message sur le respect de la personne, à attirer l’attention sur un mal-être au travail. La religion est une manière de se faire entendre à coup sûr. » Aline Crépin, directrice RSE du groupe Randstad, impliqué depuis des années sur ces questions et qui finance l’Ofre, va dans le même sens : « Chez nous, il n’y a pas de demande particulière » concernant les jours fériés pour fêtes religieuses.

Quant aux autorités religieuses, dont l’ANDRH se targuait pourtant d’avoir obtenu la bénédiction, elles ont réagi avec scepticisme. La conférence des évêques de France estime ainsi que « ce n’est pas une bonne réponse à la diversité ». Elle n’a toutefois pas exclu de mettre le sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion de la Conférence des responsables de cultes (CRCF). Le Conseil français du culte musulman (CFCM) souhaite pour sa part « une meilleure utilisation » du dispositif en vigueur dans la fonction publique, qui permet aux agents de s’absenter pendant les fêtes religieuses, sauf si cela risque de désorganiser le service. La priorité serait plutôt de disposer d’un calendrier lunaire scientifique car, pour l’heure, les fêtes musulmanes sont fixées à l’apparition de la nouvelle lune, ce qui empêche les pratiquants de faire à l’avance des demandes précises d’absence.

Résultat : la proposition de l’ANDRH, après avoir défrayé la chronique pendant quelques jours, n’est apparemment entrée dans aucun agenda, à l’exception peut-être de celui de la CRCF. « Les réactions démontrent que le sujet n’est pas mûr, relève Aline Crépin. Mais les travaux de l’Ofre permettront de le faire évoluer. » En tout cas, il n’est pas à l’agenda du gouvernement. « Si j’avais un conseil, abordez ce sujet sensible avec délicatesse », a mis en garde le ministre du Travail, Michel Sapin, en vrai professionnel de la politique.

LE FAIT RELIGIEUX EN ENTREPRISE A SON OBSERVATOIRE

L’observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre) a été lancé la semaine dernière. Il s’agit d’une chaire hébergée par Sciences Po Rennes, avec à sa tête Lionel Honoré, professeur des universités. L’observatoire produira des études qualitatives et quantitatives, organisera des colloques (le premier au mois d’octobre à Paris) et publiera un rapport annuel autour de trois questions : quelles sont les incidences du fait religieux sur le management ? Comment la religion inspire-t-elle le management ? Que dit la religion du travail ?

« L’observatoire a été créé parce que nous avons constaté qu’il est de plus en plus fait référence à la spiritualité, qui est en outre un outil de motivation, explique Lionel Honoré. Par ailleurs, les entreprises se posent de plus en plus de questions sur la diversité. En outre, elles sont davantage confrontées à des revendications de faits religieux de plus en plus nombreuses. Enfin, les discours des religions sur le travail sont maintenant plus élaborés, ainsi qu’en témoigne l’encyclique du pape Caritas in veritate », publiée en 2009.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK