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ChineLE BLOG, NOUVEL OUTIL DE LA CULTURE OUVRIÈRE

Pratiques | International | publié le : 03.07.2012 | ÉMILIE TORGEMEN

Faute de syndicats représentatifs pour les travailleurs migrants employés dans les usines chinoises, les microblogs de Weibo, le Twitter local, fondent les prémices d’une identité ouvrière.

Sun Heng, un ancien ouvrier qui met en musique la vie des travailleurs chinois, a trouvé des milliers de fans grâce à Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. Il préfère se qualifier de nouveau travailleur plutôt que de paysan-ouvrier, le nom un peu méprisant donné aux ouvriers venus des campagnes pour faire tourner les usines des villes. Avec son groupe, ce jeune homme de 36 ans a organisé depuis dix ans plus de 500 spectacles gratuits à travers la Chine des chantiers et des usines. Il a souvent subi la censure des gouvernements locaux, inquiets de cette initiative hors cadre. Pourtant, les textes de Sun Heng sont loin d’être contestataires : ils développent l’image d’un travailleur indépendant et confiant en son destin. Avec ce créneau, il a con­quis plus de 159 000 followers sur Weibo.

Des “migrants” isolés

« Sun Heng n’a pas l’audience d’une pop star, relativise sur Weibo le Pr Wang Jiansong, universitaire spécialiste des questions du travail. Les chanteurs les plus populaires comptent dix fois plus de followers. Mais l’initiative mérite d’être notée : les travailleurs migrants restent largement isolés, souvent peu conscients de leurs droits et de leur spécificité. » Leur intégration dans les grandes villes pose problème : une récente étude de l’université du peuple de Pékin montre que 30 % de ces migrants se considèrent comme des étrangers dans leur lieu de résidence.

Difficile de mesurer l’influence réelle de Sun Heng sur la création d’une culture des “nouveaux travailleurs”. Les médias chinois estiment en général qu’à peine 1 % des travailleurs migrants ont directement accès à Weibo. Mais Jennifer Cheung, de l’ONG China Labour de défense du droit des travailleurs, constate que « ceux qui utilisent régulièrement Weibo sont généralement mieux au courant de leurs droits, plus actifs socialement et plus aptes à progresser grâce, notamment, à l’exemple de quelques travailleurs migrants devenus des leaders d’opinion sur cette plate-forme ».

Autre histoire, autre utilisation des microblogs. À Dongguan, le 7 mai, les ouvriers d’une usine qui fabrique des chaussures en plastique “crocs” ont appris que leur bonus de performance mensuel passait de 1 000 à 500 yuans (62 euros), une baisse représentant un cinquième de leur salaire ; 1 000 travailleurs, soit un tiers des effectifs, se sont mis en grève le lendemain. Dans un premier temps, le sort de cette usine n’a pas attiré l’attention du gouvernement ni des médias. Mais l’un des jeunes travailleurs a posté sur son compte Weibo des photos de l’usine vide, bientôt reproduites par une ONG puis repostées cinquante fois en une heure. Immédiatement, les défenseurs des droits des travailleurs et les journalistes de la ­province sont arrivés à la porte de l’usine, ainsi que le bureau ­local du travail, chargé de gérer les conflits sociaux. Le lendemain matin, après la médiation du gouvernement, la direction de l’usine augmentait le bonus de 300 yuans et l’activité reprenait.

Internet outil de ralliement

Dans un pays où le syndicat officiel unique sert de courroie de transmission de l’information vers le Parti communiste plutôt que d’instrument de représentation des travailleurs, Internet devient un outil de ralliement. Pour l’heure, les microblogs sont une plate-forme d’information relativement libre, où salariés, universitaires, défenseurs des droits des travailleurs, avocats, journalistes et même le syndicat officiel échangent.

Mais jusqu’à quand ? La censure s’inquiète de cet espace de liberté. Le 29 mai, le service de microblog Weibo a introduit de nouvelles restrictions, en particulier contre « la diffusion de fausses nouvelles », alors que le site sert de moyen d’information dans un pays où les médias traditionnels sont étroitement surveillés.

Auteur

  • ÉMILIE TORGEMEN