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Enquête

« Les entreprises ne veulent pas donner une bombe atomique communicationnelle »

Enquête | publié le : 26.06.2012 | EMMANUEL FRANCK

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« Les entreprises ne veulent pas donner une bombe atomique communicationnelle »

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

E & C : Quel bilan quantitatif tirez-vous des accords d’entreprise traitant de communication syndicale via les TIC ?

J-E.R. : Très faible, car les entreprises veulent rarement donner aux syndicats cette bombe atomique communicationnelle à l’occasion d’un conflit collectif dur. La négociation commence donc souvent – et finit parfois – par le dernier article qui n’est guère négociable : il prévoit qu’en cas d’actes illicites (par exemple une injure) mais aussi d’abus, l’accord autorise l’employeur à tout bloquer, voire à suspendre l’accès. La préoccupation de l’entreprise est ici de trouver des sanctions rapides et efficaces, car sans recours au juge.

Parfois, les syndicalistes eux-mêmes ne sont guère demandeurs : outre l’âge du capitaine, les TIC exigent une grande réactivité et sont donc très chronophages pour les délégués. Mais les choses évoluent depuis 2004. D’une part, le Web 2 supplante le Web 1, et les salariés habitués à partager sur les réseaux externes ne voient pas très bien pourquoi l’employeur les protège aussi fermement des communications syndicales. D’autre part, et surtout, des syndicats s’étant vu refuser l’accès à l’intranet ont créé un site externe, au grand dam de directions voyant des informations parfois sensibles mises sur la place publique mondiale. La mode des réseaux sociaux internes participe de cette volonté de ré-internaliser les débats, voire les dérapages qui, aujourd’hui, s’étalent sur Facebook et autres sites communautaires.

E & C : Et sur le plan qualitatif ?

J-E.R. : Les choses ont là aussi évolué depuis 2004. Les premiers accords étaient très restrictifs (durée déterminée, pas d’interactivité), ils s’intéressaient surtout aux panneaux virtuels et peu à la messagerie : c’est désormais l’inverse. Aujourd’hui, la question, très délicate pour une entreprise se voulant ouverte et communicante, est celle de la présence de communautés syndicales sur les réseaux sociaux internes, qui permet parfois de contourner l’absence d’accord sur l’accès aux TIC.

Mais les arrêts récents (CS 23 mai 2012, Renault) ouvrant l’accès des TIC aux syndicats non représentatifs ou non signataires, en nos temps de PSE, ne sont pas de nature à renforcer l’enthousiasme des directions à signer ce type d’accords.

E & C : Quel droit s’applique à l’expression syndicale sur l’intranet de l’entreprise ?

J-E.R. : D’abord le droit commun, avec l’interdiction des injures, diffamations et autres atteintes à la vie privée ou à la confidentialité. Mais la spécificité des accords sur le droit syndical est de pouvoir fixer des limites conventionnelles (contenu, volume, périodicité), ce qui n’est pas le cas pour la diffusion papier : interdire par exemple les sujets sans aucun rapport avec l’entreprise. Dans l’arrêt du 22 janvier 2008, où un syndicaliste avait été sanctionné car il avait envoyé un message de défense de José Bové : « La cour d’appel, qui a constaté qu’il n’y avait aucun lien entre la situation sociale de l’entreprise et le contenu du courriel litigieux, a ainsi caractérisé une faute disciplinaire. »

* Auteur de “CGT, CFDT, CNT, CE et TIC. Rapports collectifs de travail et nouvelles technologies de l’information et de la communication”, in Droit social, n° 4, avril 2012.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK