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« Il n’existe pas une, mais des mobilités professionnelles »

Enjeux | publié le : 19.06.2012 | PAULINE RABILLOUX

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« Il n’existe pas une, mais des mobilités professionnelles »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Qu’on en vante les mérites ou qu’on la déplore, la mobilité professionnelle semble une condition indispensable de l’emploi moderne. Cette figure emblématique du discours RH est loin de recouvrir une réalité homogène. À chaque type de mobilité doivent être apportées des réponses différenciées.

E & C : Selon la doxa RH, nous sommes tous condamnés à être des travailleurs mobiles. Qu’en est-il de la mobilité dans les faits ?

Richard Duhautois : La mobilité recouvre plusieurs réalités : intergénérationnelle, interne, géographique, externe… La recomposition des bassins d’emploi et la mobilité intergénérationnelle – le fameux ascenseur social dont on dit qu’il est aujourd’hui en panne –, ont déjà été longuement étudiées. C’est pourquoi, dans notre ouvrage*, nous avons voulu cibler notre recherche sur la mobilité professionnelle. Ce terme recouvre les deux autres types de mobilités, interne et externe. La première concerne essentiellement les grandes entreprises et celles appartenant à un groupe, puisque ce sont les seules où existe un marché interne. Cette mobilité se limite souvent au personnel d’encadrement, voire à l’encadrement supérieur pour la mobilité internationale. La seconde, la mobilité externe, semble avoir progressé au cours des dernières décennies en raison de l’apparition et du maintien d’un chômage de masse. En effet, le passage par le chômage est désormais une figure presque obligée du parcours professionnel, notamment pour les jeunes non qualifiés, du fait à la fois du turnover lié à des situations de travail insatisfaisantes et de la multiplication des contrats courts – CDD, intérim.

Mais l’évolution de la structure des entreprises liée à la tertiarisation a également eu un effet sur la mobilité. Ces entreprises, souvent plus petites que les sociétés industrielles traditionnelles, sont davantage sujettes à des défaillances entraînant des licenciements. Dans les faits, il n’existe donc pas une, mais des mobilités, différentes selon l’âge, le sexe, le secteur d’activité, la taille de l’entreprise. Par ailleurs, cette mobilité valorisée dans le discours managérial ne concerne pas, loin s’en faut, l’ensemble des travailleurs. La grande majorité des salariés continuent à travailler en CDI et à s’accrocher à leur poste, dès lors qu’ils en ont un qui correspond à peu près à leurs aspirations. En revanche, les entrées sur le marché du travail se font effectivement aujourd’hui le plus souvent en CDD, et ce sont ces emplois qui sont les premiers menacés quand l’entreprise s’adapte aux changements économiques. L’image d’une mobilité généralisée est donc grandement surfaite, celle d’une mobilité souhaitable, car en phase avec les valeurs de la modernité, dépend du point de vue où l’on se place.

E & C : Justement, quels sont aujourd’hui les enjeux de la mobilité pour les différents acteurs économiques ?

R. D. : Pour les salariés, l’enjeu est bien sûr de sécuriser leurs parcours professionnels en trouvant un emploi – de préférence un emploi stable qui permet de faire des projets – et de valoriser leurs compétences et leur expérience en évoluant dans leur carrière. Si les jeunes sont les plus concernés par la mobilité externe, ils sont également, quand ils parviennent à s’insérer durablement sur le marché de l’emploi, les premiers concernés par les carrières ascendantes à l’intérieur de l’entreprise, quand celle-ci est suffisamment grande pour leur offrir cette opportunité, ou à l’extérieur quand la seule manière de progresser est de faire valoir ailleurs ses compétences. Pour eux pourtant, comme pour leurs aînés, le risque existe, surtout s’ils sont peu formés, d’être condamnés à l’immobilité… dans la case chômage. Seuls les salariés les plus diplômés tirent presque à coup sûr leur épingle du jeu, qu’ils soient ou non en CDI. Pour ceux ayant une compétence pointue, les missions à durée déterminée peuvent même ne pas du tout être associée au chômage. Ils passent simplement d’un contrat à un autre en exerçant le même métier dans des entreprises différentes. C’est d’ailleurs ce type de compétence du travailleur “sublime” qui semble servir de modèle pour valoriser la mobilité. Cette catégorie de salarié a augmenté ces dernières années et cela va sans doute continuer. Concernant la mobilité interne dans les grandes entreprises et les groupes, elle touche surtout les cadres de sexe masculin, pour qui changer de poste est la meilleure manière de progresser dans la hiérarchie. Pour des raisons familiales et peut-être psychologiques, les femmes, surtout quand elles ont des enfants, hésitent à zapper d’un poste à l’autre et s’en voient d’ailleurs moins proposer.

E & C : Quels sont les avantages de la mobilité ?

R. D. : Pour les entreprises, l’enjeu est bien sûr de s’adapter à un contexte économique très évolutif tout en essayant d’optimiser l’adéquation des profils et des postes. La mobilité interne, surtout si elle est ascendante, fonctionne comme aiguillon de la performance. La mobilité externe, davantage d’ailleurs du fait des départs à la retraite, des fins de CDD et de contrats d’intérim que des licenciements, lui permet de s’adapter à la conjoncture. Pour les pouvoirs publics, depuis les années 1980, l’enjeu est de « fluidifier le marché du travail » en espérant que la mobilité externe permette enfin de mordre sur le chômage. D’ailleurs, il est vrai qu’un chômage frictionnel d’inadéquation de l’offre et de la demande d’emploi explique une part du chômage. Le déficit de main-d’œuvre, pourtant, concerne surtout les emplois les moins attractifs du point de vue des conditions de travail et de rémunération.

E & C : Comment appréhender concrètement cette multiplicité de réalités et de points de vue ?

R. D. : La sécurisation des parcours professionnels reste à l’ordre du jour, mais en dehors du débat politique qui oppose les tenants de la flexibilité et ceux qui craignent une détérioration des avantages sociaux. Si l’on a peu progressé sur cette question, c’est peut-être justement parce qu’il s’agit d’une situation complexe. Le concept de mobilité recouvre tant de réalités différentes qu’il est peut-être impossible d’y apporter une réponse unique. Le schéma de la grande entreprise industrielle semble trop souvent tenir lieu de référence pour les politiques publiques, alors que celle-ci ne représente finalement qu’une petite part des emplois (13 %). Selon les types de mobilité concernés, des réponses différenciées semblent pertinentes : formation et sécurisation des parcours professionnels pour les moins formés, mesures en faveur des femmes pour cette catégorie moins mobile du fait de déterminants culturels et sociaux, mesures en faveur de l’emploi des seniors pour qu’ils puissent effectivement retrouver du travail en cas de fermeture de l’entreprise, aides à la mobilité pour faire face aux recompositions sectorielles de l’économie, etc. Toute la question étant d’accompagner les différentes formes de transition nécessaires pour le salarié, l’entreprise, mais aussi la collectivité, plutôt que d’en faire une figure imposée de l’emploi. Cela en effet donne l’impression que tout le monde doit bouger tout le temps, ce qui n’est pas vrai. Une meilleure articulation entre les déterminants propres aux salariés et ceux propres aux entreprises reste d’ailleurs un défi pour vraiment comprendre les mobilités professionnelles.

* La Mobilité professionnelle, La Découverte.

PARCOURS

• Richard Duhautois est chercheur au Centre d’études de l’emploi (UR Marchés du travail, entreprises et trajectoires) et professeur associé à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée.

• Il est également membre de la fédération de recherche Travail, emploi et politiques publiques. Ses recherches portent sur les effets de l’évolution du système productif, de la modification de la structure des entreprises et de l’utilisation de certains dispositifs (chômage partiel, Accre, etc.) sur l’emploi.

• Il est coauteur, avec Héloïse Petit et Delphine Remillon, de La Mobilité professionnelle (La Découverte, mai 2012).

LECTURES

• Mobilité et stabilité sur le marché du travail : une dualisation en trompe-l’œil, T. Amossé et M.-A. Ben Halima, Connaissance de l’emploi, n° 75, 2010.

• Rapport sur les trajectoires et les mobilités professionnelles, Conseil d’orientation pour l’emploi, 2009.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX