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Une reconversion à tâtons

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 12.06.2012 | LAURENT POILLOT

Lorsqu’un patron de PME reprend en 2011 l’établissement phare du leader européen de l’électroménager, les salariés sont perplexes. Le dirigeant continue de promettre qu’il va sauvegarder l’emploi, mais cette promesse tarde à se concrétiser.

Son catalogue de produits et services ressemble à un inventaire à la Prévert. Depuis la reprise du site lyonnais de FagorBrandt par un entrepreneur isérois, Pierre Millet, le 1er avril 2011, au géant espagnol Fagor, l’usine d’électroménager – rebaptisée Société d’innovation et de technologie de Lyon (SITL) – n’est plus seulement spécialiste des lave-linge à ouverture par le dessus, dont les volumes restant commandés par Fagor iront decrescendo jusqu’en 2014. Elle propose également des filtres d’épuration d’eau, des sous-ensembles photovoltaïques et des véhicules utilitaires électriques. Pierre Millet résume : « Nous réorientons l’entreprise dans le secteur des clean tech. »

Transition facilitée

C’est sur cette base que le projet de reprise avait été accepté par Fagor en juillet 2010. Le groupe, qui avait projeté de fermer l’usine au 31 décembre, était disposé à des concessions pour faciliter la transition, sans toutefois aller jusqu’à réindustrialiser le site. « Je me suis tout de suite porté candidat à sa reprise, raconte Pierre Millet. J’ai pu négocier 9 millions d’euros de budget de formation et contractualiser des commandes de machines à laver jusqu’en 2014 », retient le Pdg, qui a réuni 2,2 millions d’euros à titre personnel pour relancer le site. De son côté, Fagor décide d’entrer à 10 % dans le capital de la nouvelle entreprise. En février 2011, le CCE de FagorBrandt valide le projet, celui-ci ne s’accompagnant d’aucun plan social. Seules la CFTC et la CGT s’opposent, circonspectes vis-à-vis du repreneur, patron d’un atelier de chaudronnerie de 15 personnes, dont les motivations industrielles leur apparaissaient aussi incertaines que le tour de table financier destiné à préserver l’emploi des 507 salariés.

Mutation des métiers

La première année est employée à mener de front deux objectifs : poursuivre l’activité de sous-traitance des lave-linge, dont la production se délocalise inéluctablement en Pologne, et préparer les équipes à la mutation de leurs métiers. « Ceux-ci ne changent pas radicalement, précise Pierre Millet. La peinture, l’emboutissage, le clipsage et le collage sont des spécialités que l’on retrouve aussi bien dans la production de véhicules utilitaires électriques que dans des filtres à tambour de retraitement de l’eau. Nous continuons à faire appel aux mêmes métiers. »

Le hic, c’est que les productions alternatives démarrent doucement : de l’ordre d’une quinzaine de filtres depuis mars, tandis que les véhicules utilitaires connaîtront leurs premières séries en juillet. SITL n’a pas eu recours au chômage partiel. Le dirigeant dit avoir exploité ce faux rythme en consommant « un petit tiers » du plan de formation, destiné à couvrir l’ensemble de l’effectif. Au programme, des actions courtes d’adaptation des compétences dans les secteurs de la tôlerie, chaudronnerie, bureau d’études et montage automobile. Les plus longues durent quatre semaines, par exemple pour reconvertir des ouvriers aux techniques de soudage.

Absence d’aides publiques

Insuffisant, juge la CGT, qui plaide pour des formations diplômantes et reste obnubilée par le retard de trois à six semaines pris dans les productions alternatives. Selon la direction, SITL a engagé 24,7 millions d’euros d’investissement pour installer de nouvelles machines. Mais Pierre Millet a concédé récemment aux Échos qu’il n’avait pas pu lever les 4 millions d’euros d’aides publiques qu’il espérait, au titre des dispositifs de revitalisation industrielle. « Ni l’État ni la région n’ont investi le moindre euro dans ce projet de reconversion, selon moi unique en Europe par le nombre d’emplois sauvés et par la diversification que nous entamons », soupire aujourd’hui le dirigeant.

Florence Lavialle, déléguée CGT, parle d’un climat pesant : « L’entreprise supprime des emplois sans plan de licenciements. Sur les 507 salariés inscrits à l’effectif en décembre 2010, il ne reste que 438 personnes, alors que SITL a procédé à une dizaine d’embauches. Il y a des pressions sur les salariés pour qu’ils partent, ce qui est contraire aux engagements initiaux. »

« Le plus spectaculaire a été le démontage d’une ligne complète dédiée aux machines à laver, dont la production a chuté de 50 000 pièces, témoigne Philippe Goguillot, délégué Sud. En contrepartie, nous avons eu des chantiers d’amélioration des conditions de travail aux postes et de sécurisation en plusieurs endroits du site. » Son opinion est mitigée : « Wait and see. Il est trop tôt pour affirmer que l’entreprise a pris son envol ou, qu’à l’inverse, notre reconversion est hasardeuse. Le dirigeant nous a présenté SITL comme le projet de sa vie. Il tient à ce que l’entreprise se développe, mais de façon progressive et en restant sur des moyennes séries, non délocalisables. C’est ce qui donne aux gens l’envie d’y croire. »

DATES CLÉS

Décembre 2010 : le groupe espagnol Fagor décide de fermer FagorBrandt Lyon

Avril 2011 : l’industriel Pierre Millet acquiert ce site, avec l’engagement de poursuivre, decrescendo, une production de lave-linge jusqu’en 2014.

Mars 2012 : lancement progressif des productions de substitution. L’usine, équipée de nouvelles machines de pliage, découpe laser et de soudure, lance ses premières séries de filtres d’épuration. La direction veut lancer ses premières séries de véhicules électriques, sous marque Brandt motors, d’ici juillet.

Auteur

  • LAURENT POILLOT