logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

La prestation de conseil RH sous la pression des achats

Pratiques | publié le : 12.06.2012 | FRÉDÉRIC BRILLET

Image

La prestation de conseil RH sous la pression des achats

Crédit photo FRÉDÉRIC BRILLET

Avec l’extension du territoire des acheteurs, les cabinets de conseil en management doivent apprendre à passer sous les fourches caudines de ces redoutables interlocuteurs, dans un contexte de stagnation économique. Au grand dam des consultants, mais aussi des DRH.

Le DRH souhaite un conseil de qualité, l’acheteur veut faire des économies, le consultant espère vendre son expertise au meilleur prix : sur le papier, la relation triangulaire entre ces trois intervenants est potentiellement un jeu à somme nulle, où les gains des uns sont les pertes des autres, tant les attentes des parties prenantes sont divergentes. À la fin du siècle dernier, les cabinets de conseil avaient la main et imposaient leurs conditions en direct à des DRH qui n’étaient pas des spécialistes de la négociation. Douze ans plus tard, à la faveur de la crise, de la balkanisation et de la banalisation des métiers du conseil, le rapport s’est complètement inversé au profit des acheteurs en entreprise, qui pèsent de plus en plus sur les prix et dans le choix du cabinet. Si les sociétés de conseil ont perçu une reprise en 2010 et même en 2011, la pression sur les prix n’a cessé de s’intensifier. Ironie de l’histoire, ce sont des consultants qui ont aidé les donneurs d’ordre à mettre en place des services achats adeptes du cost-killing.

Une montée en puissance irréversible

Qu’on le veuille ou non, la montée en puissance des professionnels dans l’achat de prestations intellectuelles est irréversible. Déjà, la quasi-totalité des grands comptes sollicitent les cabinets à travers leurs acheteurs. Même sur un périmètre plus large de clients, leur présence se fait fortement sentir. À Eurogroup Consulting, « plus de la moitié, voire les deux tiers des missions ressources humaines que nous effectuons pour le secteur public ou privé passent par des services achats », constate Marie-Laure Fayet, associée du cabinet.

Pour travailler en bonne intelligence avec ces professionnels, le Syntec avait entamé un travail de concertation avec les acheteurs pour qu’ils prennent en compte de manière plus objective les compétences et l’expérience des consultants, rappelle Jean-Luc Placet, Pdg du cabinet IDRH et président de Syntec. Juste avant le déclenchement de la crise de 2008, les relations entre acheteurs et consultants étaient d’ailleurs en voie d’amélioration (lire l’encadré). La dégradation de la conjoncture a signé un retour en arrière. Quand les missions portent sur des problématiques standardisées ou banalisées comme l’externalisation des RH, les cabinets se voient couramment infliger des baisses de tarif de 10 % à 15 %. Pour serrer la vis à leurs fournisseurs, les grands comptes procèdent en deux étapes, détaille Geoffrey Carpentier, directeur général de HR Valley : les cabinets doivent consentir un premier tour de baisse pour être référencés, puis accorder encore une ristourne au moment de la passation de chaque contrat. Non seulement le référencement contribue à éroder les marges des “heureux” élus, mais encore « cette procédure contribue à évincer les petits cabinets tant elle est coûteuse et chronophage : cela peut représenter trois mois de travail à temps plein pour un consultant, sans assurance de l’emporter. Les petits ne peuvent pas se le permettre », estime Bertrand Maguet, coanimateur du groupe dialogue avec les acheteurs au Syntec Conseil en management.

Marché public

Consolation, le référencement affecte moins les interlocuteurs des ministères ou des entreprises dépendantes de l’État. Ces organisations se focalisent sur l’attribution des missions aux cabinets “mieux disants” qui ne sont pas forcément les “moins-disants”. Les acheteurs du public gagnant en maturité, ils pondèrent l’importance qu’ils donneront au prix dans leur décision et l’indiquent aux soumissionnaires dès le départ. « Je viens de gagner un marché public où l’acheteur nous a attribué la meilleure note sur le plan technique et la quatrième pour le prix. Même en temps de crise, ce critère n’est pas toujours décisif », confirme Pascal Gustin, Pdg d’Algoé.

Enchères inversées

Autre pratique encore plus contestée, les enchères inversées lancées par des donneurs d’ordre anonymes sur des plates-formes informatiques, que les cabinets dénoncent au motif qu’on ne saurait acheter du conseil comme des fournitures de bureau. « Pour le moment, cela représente moins de 10 % de ce qu’on nous propose de soumissionner. Mais on refuse de donner suite, c’est une machine à perdre de l’argent », explique Geoffrey Carpentier, directeur général du cabinet HR Valley.

Malgré ces dérapages, les compétences des acheteurs ne sont pas forcément en cause : « Ceux qui se spécialisent sur l’achat de prestations intellectuelles sont de plus en plus d’anciens consultants qui connaissent nos métiers », reconnaît Stéphane Adnet, directeur du développement de Merlane, cabinet de conseil en management et auteur du livre Acheter et vendre du conseil ; les meilleures pratiques (Éditions d’organisation). Le problème se situe ailleurs : évalués sur les économies qu’ils génèrent, les acheteurs mettent la pression sur tous les fournisseurs. « Quand leur employeur leur demande de couper, il n’y a pas de sentiment », résume Jean-Luc Placet. Face à cette pression, « les chartes de déontologie sont peu opérantes. À quand la réelle prise en compte de la RSE dans l’évaluation des prestataires, qui pourrait justifier des écarts de prix ? », interroge Marie-Laure Fayet.

La tension sur les prix se répercute enfin sur les relations entre DRH et consultants. « Les concessions tarifaires faites en amont obligent les consultants à s’en tenir strictement à ce qui était défini contractuellement. La relation DRH-consultant perd en souplesse », analyse Geoffrey Carpentier. Plus généralement, l’intervention trop pesante de l’acheteur dans le processus peut être mal vécue. « Laisser l’acheteur choisir à partir de critères techniques exprimés par le DRH est dangereux, car la réussite d’une mission dépend pour beaucoup de critères humains difficiles à coucher sur le papier. À savoir l’entente personnelle et le lien de confiance entre le DRH et le consultant », assène un directeur des ressources humaines passé par plusieurs secteurs (chimie, plasturgie, transports maritimes).

En outre, la volonté des multinationales de regrouper leurs achats, y compris de prestations intellectuelles au niveau européen pour obtenir de meilleures conditions, se heurte à un autre écueil : l’ignorance des cultures locales. « J’ai vécu la situation pénible où un cabinet conseil avait été choisi par les acheteurs du siège social pour déployer dans les filiales des outils d’évaluation et de formation sous prétexte d’harmonisation. Mais ces outils, qui convenaient à une poignée de cadres aspirant à une carrière internationale, étaient inadaptés à la plupart des salariés français », poursuit ce DRH.

L’ESSENTIEL

1 Dans un contexte de crise, les acheteurs de conseil RH exercent une pression sur les cabinets prestataires, qui tentent de répliquer à coups de chartes de déontologie.

2 Ces derniers vivent de plus en plus mal les référencements et les baisses de tarifs exigés par les acheteurs.

3 Les DRH non plus ne trouvent pas leur compte dans cette politique de rigueur.

23 % des consultants satisfaits de leur relation avec les acheteurs

En 2008, tout allait bien dans le meilleur des mondes, ou presque : 61 % des consultants et acheteurs estimaient que leur relation évoluait positivement, selon le “baromètre des achats de conseil” Syntec-CDAF. La dernière vague réalisée fin 2011* montre clairement une césure : 60 % des acheteurs mais seulement 23 % des consultants considèrent que cette relation va en s’améliorant.

En parallèle, le référencement progresse jusqu’à concerner 60 % des prestations de conseil, contre 50 % lors de la vague précédente.

75 % des acheteurs considèrent que cette procédure contribue à améliorer la relation avec les cabinets de conseil contre seulement 25 % des consultants. Par ailleurs, plus de 60 % des consultants et 37 % des acheteurs pensent que la part accordée au prix dans l’attribution des missions de conseil en management progresse depuis deux ans. Cette focalisation se ferait au détriment de la qualité, de l’innovation et de la valeur ajoutée, selon les consultants.

Les deux camps se rejoignent cependant sur l’importance du contact humain dans la relation : 95 % des consultants et 85 % des acheteurs considèrent en effet qu’une soutenance orale s’avère nécessaire pour sélectionner un cabinet.

* élaboré par Syntec Conseil en management en partenariat avec la CDAF (Compagnie des dirigeants et acheteurs de France, principale association d’acheteurs en France), le baromètre, qui en est à sa troisième édition, a permis de sonder 43 acheteurs et 60 consultants.

Auteur

  • FRÉDÉRIC BRILLET