logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« La négociation sur la reconnaissance des qualifications s’individualise »

Enjeux | publié le : 12.06.2012 | VIOLETTE QUEUNIET

Image

« La négociation sur la reconnaissance des qualifications s’individualise »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Avec le développement de la formation continue, diplômes d’État et certifications professionnelles sont désormais au même niveau. Mais cette consécration des certifications ne s’est pas accompagnée de leur reconnaissance en termes de promotion et de rémunération. La négociation collective sur le sujet a cédé la place à des négociations individuelles entre salarié et employeur.

E & C : À côté du diplôme, délivré sous le contrôle de l’État, on assiste depuis quarante ans à une montée des certifications professionnelles acquises en formation continue. Cela signifie-t-il une banalisation du diplôme ?

Pascal Caillaud : Si l’on se place dans une perspective historique, on peut avoir cette impression. On est passé d’un monopole de l’octroi des diplômes par l’État à une pluralité en termes de statut des certifications. Il y a aujourd’hui près de 7 000 certifications au Registre national des certifications professionnelles : diplômes, titres délivrés par les organismes privés et certificats de qualification professionnelle (CQP) des partenaires sociaux. Mais cette transition ne signifie pas un recul du diplôme. Je pense, au contraire, que le modèle du diplôme a été étendu à toutes les certifications. Seule la nature du certificateur les distingue. Pour le reste, toutes les conditions qui venaient du droit des diplômes ont été imposées à l’ensemble des certifications : impartialité du jury, dimension nationale, accès par la VAE qui, à l’origine (avec la validation des acquis professionnels), ne concernait que les diplômes de l’État. Ce constat ne plaît pas toujours aux partenaires sociaux…

E & C : Pourquoi ?

P. C. : Comme l’ont montré les travaux du Céreq, certaines branches, en créant des CQP, s’étaient positionnées dans un marché concurrentiel face aux diplômes. Elles souhaitaient créer leur propre certification, car elles reprochaient aux diplômes d’être trop généraux, pas assez spécialisés, etc. Donc, dire que le modèle du diplôme est devenu le mètre étalon de la certification vient relativiser ce positionnement initial. En même temps, cette normalisation est compréhensible, car elle a été pensée en termes de garanties de droits pour les candidats. Sa légitimité vient de là.

E & C : Vous constatez également que les certifications professionnelles ne donnent pas plus de droits que les diplômes.

P. C. : En effet. On constate que, dans les conventions collectives, les modalités de reconnaissance des CQP par rapport aux diplômes ne sont pas forcément meilleures. On aurait pu penser, puisque ce sont les partenaires sociaux qui les délivrent, qu’ils pu accorderaient plus de garanties, mais ce n’est pas le cas.

Il faut dire qu’en droit français, le principe de rémunérer selon l’emploi, non selon le diplôme ou la certification, est ancien (années 1930). Certaines conventions collectives donnaient néanmoins une prime au diplôme. Aujourd’hui, la plupart disposent d’une grille de classification dite “à critères classants”. Les salariés sont rémunérés en fonction de l’emploi qu’ils occupent et leur diplôme n’est pas valorisé, sauf cas particuliers. Par ailleurs, depuis 2008, avec la recodification du Code du travail, l’obligation de faire figurer dans les classifications les diplômes et titres professionnels a été supprimée.

E & C : Pour quelle raison et quelles en sont les conséquences ?

P. C. : Les chercheurs se posent la question ! Le nouvel article L. 2261-22 se contente d’imposer, pour qu’une convention collective soit étendue, la présence des « éléments essentiels servant à la détermination des classifications professionnelles et des niveaux de classification ». La suite de la phrase : « notamment les diplômes et titres professionnels » a été supprimée. Est-ce une volonté des pouvoirs publics, auquel cas ce serait illégal, puisque la recodification devait être à droit constant ? Ou est-ce une mésinterprétation de ce que signifie « notamment » ? En droit, ce terme signifie une obligation !

Les conséquences seraient que certaines branches, qui citaient les certifications, diplômes et titres professionnels dans leur classification, les en retirent. Mais cela suppose que les syndicats de salariés soient d’accord. Ensuite, tout est une question de rapport de force de négociation dans chaque branche. Cela dit, je ne pense pas qu’il y ait à craindre une hémorragie ! Reste que, lorsqu’il est présent dans une classification, un diplôme ou un titre professionnel a une dimension collective.

Ce retrait de l’obligation conventionnelle ne fait que continuer ce mouvement d’individualisation des questions de classifications et de formation : on va de plus en plus vers un rapport contractuel et individuel.

E & C : Comment s’illustre cette individualisation ?

P. C. : Elle transparaît par exemple dans l’article L . 6321-8 du Code du travail : employeur et salarié définissent ensemble avant le départ en formation – quand celle-ci se déroule entièrement ou en partie hors du temps de travail – « les conditions dans lesquelles le salarié accède en priorité et dans un délai d’un an à l’issue de la formation aux fonctions disponibles correspondant aux connaissances acquises et sur l’attribution de la classification correspondant à l’emploi occupé ». On est là dans un cadre contractuel. Le problème est que l’attribution des fonctions et leur classification sont de la responsabilité de l’employeur et de lui seul. On voit mal un salarié allant au contentieux parce qu’il considère qu’il existait des emplois disponibles et qu’il n’y a pas accédé. Cela se conçoit rarement en cours de contrat, mais plutôt après un licenciement.

E & C : Les partenaires sociaux ont une obligation de négociation triennale en matière de formation professionnelle. N’est-ce pas une occasion de valoriser titres, certificats et diplômes professionnels ?

P. C. : Cette obligation porte notamment sur la reconnaissance des qualifications acquises du fait d’actions de formation ou de la VAE. Mais c’est une obligation de moyens – se mettre autour de la table pour négocier –, en aucun cas une obligation de résultat, c’est-à-dire de conclure un accord. Par ailleurs, l’analyse des accords collectifs en la matière montre que les branches se sont plutôt orientées vers le versement de gratifications financières ponctuelles (primes…) que vers des évolutions pérennes d’emploi ou de rémunération. Aujourd’hui, la reconnaissance conventionnelle collective de la formation et de la qualification n’est plus la priorité. Le paradigme est la négociation individuelle dans le contrat de travail.

PARCOURS

• Pascal Caillaud, docteur en droit social, est chargé de recherche au CNRS, au laboratoire Droit et changement social. Il enseigne le droit du travail à l’université de Nantes et à l’École des Mines de Nantes et il dirige l’équipe Céreq des Pays de la Loire.

• Il est l’auteur de nombreux articles sur la formation continue, dont “Sécurisation des parcours et liberté professionnelle” (in Formation-Emploi n° 113, janvier-mars 2011, avec Bénédicte Zimmerman) et “La formation continue a-t-elle remis en cause le diplôme ?” (in Droit Social n° 3, mars 2012).

• Il est coauteur de Former pour réformer. Retour sur la formation permanente (La Découverte, 2007).

SES LECTURES

• Traité des lois, Cicéron, Les Belles Lettres, 2012 (4e édition).

• Empires, Jane Burbank et Frédérick Cooper, Payot, 2011.

• Nouvelle Histoire de l’homme, Pascal Picq, Éditions Perrin, 2007.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET