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Enquête

COMMENT TRANSMETTRE UN TOUR DE MAIN ?

Enquête | publié le : 05.06.2012 | SABINE GERMAIN

Pour fabriquer des poutrelles, les opérateurs de ce spécialiste du béton précontraint ont un véritable “tour de main” : une technicité acquise au fil des années mais jamais formalisée. Il a pourtant fallu la transmettre aux jeunes.

« Dès lors qu’un savoir-faire se construit sur l’expérience, la question de sa transmission se pose », estime Robert Diez, fondateur du cabinet de conseil Itaque*, qui a aidé le fabricant de béton précontraint KP1 à mettre en place sa démarche de tutorat.

« En 2008, l’usine de Pujaut – 200 salariés dans le Gard – s’est équipée de nouvelles machines à commande automatique », se souvient Philippe Gensana, directeur général adjoint de KP1. Les jeunes opérateurs, à l’aise avec l’informatique, se sont approprié très vite ces outils. Mais ils ne parvenaient pas à atteindre les niveaux de qualité et de productivité des seniors, certes déstabilisés par leurs nouveaux outils, mais dont l’expérience continuait à faire la différence.

« Dans la fabrication du béton, la notion de tour de main est essentielle », commente Robert Diez. Il s’agit de petits “trucs” intégrés au fil des années, avec l’expérience : injecter la bonne quantité d’eau en fonction de la température, la verser au bon moment…

Des compétences stratégiques

« Les opérateurs agissent davantage par instinct qu’en appliquant des procédures, poursuit Robert Diez. Ils ont des compétences non formalisées, souvent non reconnues, mais réellement stratégiques pour l’entreprise. » Et très difficiles à verbaliser pour des opérateurs qui ne maîtrisent pas tous bien la langue française. Les techniques pédagogiques classiques s’avèrent donc inopérantes.

Pour éviter de mettre les opérateurs en difficultés, Robert Diez a identifié six volontaires : deux “anciens” et quatre nouveaux prêts à travailler pendant trois mois sur le même banc de production. « L’expérimentation s’est faite en situation de production normale, mais en incitant les opérateurs à partager et à échanger sur leurs façons de faire. »

Résultat : les échanges ont été à double sens, les jeunes partageant également leurs connaissances (notamment dans la commande des machines) avec les anciens. « Cette notion de partage est très valorisante pour les seniors, qui ont le sentiment de laisser une trace de leur passage dans l’entreprise, poursuit Philippe Gensana. Ils exercent des métiers difficiles, dans lesquels la transmission a un sens. »

Pratiques de partage et échange

Bénéfice collatéral : quand l’expérimentation s’est étendue aux 25 salariés de l’atelier, les habitudes de partage et d’échange se sont ancrées dans le quotidien. Si bien que la qualité s’est améliorée et le taux de rebuts a baissé de 30 % à 50 %. « Attention, prévient toutefois Philippe Gensana, cette forme de compagnonnage ne fonctionne que si des habitudes de dialogue et d’échange ont déjà été prises, lors du déploiement d’une démarche qualité par exemple. »

Certains opérateurs ont souhaité que leur travail de transmission soit rémunéré. Philippe Gensana a refusé : « Cela ne correspondait pas à la philosophie de ce projet. » En revanche, deux seniors ont pu tirer parti de l’opération en étant promus chefs d’équipe : une vraie récompense de fin de carrière.

* Auteur, avec Laurence Sarton, de Transférer les compétences. Comment éviter les pertes de compétences stratégiques, mars 2012, Eyrolles.

KP1

• Activité : solutions de construction à base de béton préfabriqué et précontraint.

• Effectif : 1 400 salariés.

• Chiffre d’affaires en 2011 : 306 millions d’euros.

Auteur

  • SABINE GERMAIN