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Intégration de la RSE dans la rémunération variable : un premier bilan livré par l’Orse

Actualités | publié le : 05.06.2012 | CAROLINE FORNIELES, AURORE DOHY

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Intégration de la RSE dans la rémunération variable : un premier bilan livré par l’Orse

Crédit photo CAROLINE FORNIELES, AURORE DOHY

Et si une partie de la rémunération variable des managers tenait compte de leurs efforts pour créer une entreprise plus sûre, moins discriminante, moins stressante ou plus écologique ? Quelques entreprises pionnières ont franchi le pas en créant pour leurs cadres dirigeants une rémunération variable sur des critères extra-financiers. L’Orse détaille les dispositifs de sept d’entre elles dans une étude qui sera présentée le 7 juin.

C’est la nouvelle pratique de ressources humaines dont parlent les spécialistes de la responsabilité sociale et environnementale (RSE). Son principe est simple : pour accélérer l’application des engagements de RSE de l’entreprise, les managers sont intéressés à leur développement par le biais de leur rémunération variable. À côté des objectifs individuels ou de performance financière, ils se voient attribuer des objectifs de RSE. Leur atteinte est mesurée par des indicateurs précis : taux d’accidents du travail, taux de formation, taux de pollution, etc. Initiée par Danone en 2008, cette pratique s’est développée ces deux dernières années (lire Entreprise & Carrière n° 1076/1077). Mais, ce dispositif récent con ? cerne un nombre limité d’entreprises et les retours d’expérience sont encore rares. « L’étude de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) sur cette pratique* vise à ouvrir le débat. On en parle beaucoup mais elle est encore peu répandue, commente François Fatoux, son secrétaire général. Si beaucoup d’entreprises du CAC 40 ont intéressé leurs mandataires sociaux ou intégré la RSE à des accords d’intéressement, peu d’entre elles ont créé des variables sur critères extra-financiers pour leurs cadres et managers. »

Motivation collective

Les sept sociétés présentées dans l’étude de l’Orse ont donné plus ou moins d’importance à ce mode de rémunération : les critères extra-financiers représentent ainsi 10 % du variable des 3 000 cadres de Rhodia, de 3 % à 20 % selon les niveaux de responsabilité chez Schneider, 30 % pour les 1 800 cadres dirigeants de La Poste et les 900 managers de France Télécom-Orange, 33 % pour les 1 400 managers de Danone et 50 % pour les 650 cadres du Crédit agricole.

Constante mise à jour par l’étude : ces sept expériences s’appuient sur une démarche RSE déjà mature. « Chez Rhodia, nous n’avons pas pris nos managers en traître. Nous leur avons proposé ce variable en 2011 quand ils s’étaient bien approprié le référentiel de RSE Rhodia Way, cinq ans après son lancement, commente Jacques Kheliff, directeur du développement durable. Résultat : l’opération a très bien fonctionné. La grande majorité a atteint ses objectifs et certains auront même plus que les 10 % de variable prévus. Cette rémunération a créé une motivation collective qui a permis d’avancer plus vite sur certains items. » Même constat chez Danone, où une baisse de 10 % des accidents du travail a pu être atteinte chaque année et où les émissions de CO2 ont déjà diminué de 22 %.

Des ajustements constants

« Mais il est encore un peu tôt pour évaluer l’efficacité de ces dispositifs. Encore expérimentaux, ils sont d’ailleurs ajustés en permanence », signale François Fatoux. Ce sera par exemple le cas à Rhodia : en 2011, les managers de chaque site pouvaient définir trois objectifs à atteindre en accord avec la direction du développement durable. En 2012, ils devront améliorer de 20 % tous les objectifs de RSE du référentiel Rhodia Way.

Des aménagements constants d’autant plus nécessaires que la démarche reste sensible. Anne-Marie Mourer, administratrice CFE-CGC à GDF Suez, engage à veiller au risque de perte de rémunération que pourraient représenter, pour les managers, des critères mal définis, mal objectivés ou difficilement mesurables. « La part variable n’est pas un bonus, rappelle-t-elle. Jusqu’à présent, l’introduction de critères RSE concernait exclusivement la rémunération des hauts dirigeants. Définis et appréciés par un comité de rémunération, les critères étaient plutôt qualitatifs. Une fonction RH sera-t-elle en mesure d’évaluer des critères similaires étendus aux managers intermédiaires ? Leur objectivation est indispensable. »

Objectifs mesurables et impartiaux

L’étude de l’Orse insiste d’ailleurs sur la nécessité de choisir des indicateurs fiables pour évaluer l’atteinte des objectifs. « Ils doivent être mesurables et impartiaux et corrélés à l’activité des salariés, rappelle Florence Richard, avocate fondatrice du cabinet Kersus. Il ne faut pas laisser de place au subjectif et éviter les concepts comportementaux du type “le respect”, “l’éthique” ou “le courage”, qui ont été jugés illicites. »

L’agence de notation Vigeo recommande d’éviter l’empilement d’objectifs et d’indicateurs pour éviter de transformer l’activité du manager en un enfer de reporting : deux ou trois objectifs par manager suffisent. Il faut aussi être vigilant sur la cohérence d’ensemble des indicateurs. « L’introduction de critères de RSE peut nécessiter la réforme des critères financiers habituels, afin qu’un même manager ne soit pas soumis à des objectifs antinomiques, voire conflictuels », souligne Anne-Marie Mourer. Enfin, il convient de veiller à ce que ceux-ci ne soient pas détournés. « Il y a eu par le passé des cas de sous-déclaration d’accidents du travail quand des managers étaient intéressés à leur diminution », rappelle François Fatoux.

« La sincérité est essentielle si on veut entraîner l’adhésion des managers et de leurs salariés, estime pour sa part Catherine Millet-Ursin, avocate du cabinet Fromont-Briens. Il faut des objectifs modestes et proches des préoccupations des salariés. Réduire le nombre d’heures supplémentaires non payées, voilà par exemple un objectif qui aurait du sens. »

Marie-Hélène Gourdin, secrétaire fédérale de la CFDT chimie-énergie, considère que la démarche aurait du sens si elle permettait au moins « une application correcte des accords signés dans les entreprises ». L’adhésion des salariés et surtout des syndicats reste cependant un point critique. « La démarche ne peut fonctionner sans une adhésion des parties prenantes. Elles n’ont pas été, à mon sens, encore suffisamment associées aux premiers dispositifs. Les entreprises devront s’améliorer sur ce point. Mais il sera aussi important que les confédérations syndicales se positionnent officiellement sur ce sujet », ajoute François Fatoux.

Un manque de transparence

Dès 2009, la CFDT Cadres avait formulé une série de propositions à cet égard, visant notamment à définir des critères mesurables, intégrant une perspective à long terme, et négociés : « Comment introduire des critères sociaux dans les rémunérations sans négociation, sans consulter les principaux intéressés, les salariés eux-mêmes ? Dans sa forme, la démarche doit être RSE !, martèle Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale. Le manque de transparence perceptible dans les pratiques jette une ombre sur la bonne foi des entreprises. »

L’information préalable des salariés sur les méthodes et techniques d’évaluation utilisées est pourtant obligatoire ainsi que l’information et la consultation du CE et du CHSCT*, puisque ces critères extra-financiers concernent aussi les conditions de travail, rappelle Florence Richard. « Et pour donner de l’ampleur à la démarche, ajoute-t-elle, pourquoi ne pas conclure un accord avec les syndicats comme on le fait sur les salaires ou l’intéressement ? »

Un avis que partage François Fatoux, qui invite cependant à faire attention aux effets de mode : « Attention à l’effet mille-feuilles qui consisterait à empiler ce nouvel outil RH aux autres sans rechercher de cohérence d’ensemble. Il faut l’articuler avec les autres outils existants pour motiver les salariés. »

* Étude sur l’intégration de critères RSE dans la part variable des dirigeants et managers.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES, AURORE DOHY