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LES COMMERCIAUX S’ENTRAÎNENT À TENIR LA ROUTE

Enquête | publié le : 29.05.2012 | L. P.

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LES COMMERCIAUX S’ENTRAÎNENT À TENIR LA ROUTE

Crédit photo L. P.

La direction juridique voulait éviter le risque désastreux d’un procès pour abus de position dominante. Elle fait jouer près de 3 700 personnes à résister aux sirènes d’un dérapage commercial.

« Un concurrent indiscret, un client qui compare les prix : c’est le genre de personnage qu’il vaut mieux avoir rencontré en virtuel, avant de foncer sur le terrain. » Le lancement vidéo de Mission Antitrust, serious game juridique réalisé il y a quelques mois par Daesign pour le groupe Michelin, montre à quel point l’enjeu de l’abus de position dominante est la bête noire des multinationales. Le directeur juridique de Michelin France et Europe, Laurent Geelhand de Merxem, le reconnaît : « C’est le premier risque contre lequel nous cherchons à nous prémunir » pour éviter les conséquences d’une condamnation de Bruxelles et des autorités de la concurrence, sur l’image commerciale et le cours de bourse.

Diffuser une culture antitrust

Michelin en a déjà fait les frais à deux reprises, en 1981, aux Pays-Bas, puis en 2001, en France, dans un procès qui lui a coûté 20 millions d’euros. L’entreprise a encore été inquiétée, en 2008, par le distributeur Vulco lié à l’américain Goodyear, après qu’il s’est plaint de pressions exercées par “Bibendum” auprès de revendeurs habitués à travailler avec des fabricants concurrents. Pas question de passer pour multirécidiviste tant les sanctions sont dissuasives : jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial. Soit 2 milliards d’euros pour Michelin, même dans l’hypothèse où la faute incomberait à une seule entité trop zélée. « Chaque commercial peut créer un risque potentiel pour le groupe », résume Laurent Geelhand de Merxem.

Sa préoccupation était de diffuser une culture antitrust, « essentiellement comportementale », malgré l’aridité juridique qui rendait les formations antérieures rébarbatives. Les films d’entreprise et les démonstrations sur diaporamas avaient trouvé leur limite. Il estime tenir désormais un outil suffisamment ludique et interactif pour stimuler la curiosité des salariés.

Le jeu est opérationnel depuis la fin juillet 2011. Un pilote a d’abord été mis en ligne, en France, pour les 500 salariés des équipes marketing et vente. La version définitive commence tout juste à être déployée en cinq autres langues (dont le polonais), pour 3 200 salariés de ces mêmes métiers en Europe. Le mode opératoire ne nécessite pas d’intervention présentielle. Chaque salarié crée son avatar, avant de rencontrer une série d’interlocuteurs qui vont essayer de le pousser à la faute. Suivant ses réponses, il s’expose à un satisfecit ou à une sortie de route, que le jeu décode en fin de partie.

Les scénarios ont été coécrits par le prestataire, ainsi que par des juristes et des commerciaux qui ont appris à se regarder autrement qu’en chiens de faïence. Le premier tableau campe un salon professionnel, au cours duquel le commercial se fait aborder par un concurrent qui lui suggère une entente sur les prix. À la séquence suivante, l’avatar se rend chez un revendeur mécontent des pratiques de ses concurrents : il l’encourage à réviser ses prix de revente. Les autres séquences abordent trois cas d’école sur les relations avec la filiale de distribution Euromaster, sur l’élaboration d’un contrat de partenariat et sur la prévention des risques d’abus de position dominante. Chaque situation nécessite un temps de jeu de plus d’une demi-heure.

Des échanges réalistes

Pour rendre réalistes tous ces échanges virtuels, les consultants de Daesign se sont mis dans la peau des intéressés : « Nous avons accompagné les commerciaux dans leurs déplacements auprès des revendeurs », témoigne Damian Nolan, directeur associé de Daesign. Le directeur juridique retient, quant à lui, le résultat pédagogique du procédé : « Nous avons tenu à ce que les logiques du commercial et celle du juriste se rejoignent. Plutôt que de sanctionner les choix par “vrai” ou “faux” en droit, nous avons prévu trois réponses possibles : la réaction erronée, qui débouche sur game over, la réaction juste d’un point de vue juridique, mais qui ferme la relation commerciale, et enfin la réponse tout à la fois juste, en droit, et commercialement adaptée. » Exemple ? Face au distributeur en colère, le salarié aura tout à gagner à lui suggérer de réexaminer sa structure de prix dans le détail, plutôt que de se mettre lui-même en défaut.

L’intégration des technologies d’intelligence artificielle inspire la direction juridique de Michelin. Laurent Geelhand de Merxem dit réfléchir à des serious games sur d’autres sujets, comme former à l’éthique des affaires ou sécuriser la gestion des données personnelles sur des réseaux informatiques toujours plus mondialisés. Daesign pourrait être de nouveau associé à ces réflexions. D’ici là, la PME s’est vue proposer d’étoffer le nombre des séquences de jeu. Michelin l’encourage aussi à monter un produit sur étagère, susceptible d’être vite repris par d’autres entreprises françaises cotées au CAC 40.

Auteur

  • L. P.