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Harcèlement moral : comment le circonscrire ?

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 29.05.2012 |

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Harcèlement moral : comment le circonscrire ?

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Selon l’article L. 1152-1 du Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Si cette définition est assez large, on voit néanmoins aisément les cas qu’elle vise et qui doivent être sanctionnés.

Cependant, la tendance des tribunaux est d’étendre considérablement le harcèlement moral à des situations qui ne nous semblent pas raisonnablement pouvoir recevoir cette qualification. Pour preuve, un récent arrêt de la cour d’appel de Paris (27 mars 2012, Société générale, n° 09-08467) qui a considéré que laisser une salariée plusieurs mois sans affectation à son retour de congé sabbatique constitue un harcèlement moral justifiant que la salariée ait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, produisant les effets d’un licenciement nul.

Comme en cas de congé maternité ou parental, le salarié doit, au retour de son congé sabbatique, retrouver son poste ou un poste similaire assorti d’une rémunération équivalente. En l’espèce, l’employeur, considérant la salariée comme insuffisamment performante, l’a remplacée durant son congé sabbatique d’un an. À son retour, il lui a cherché une autre affectation et lui a proposé pas moins de 32 postes pendant les neuf mois suivants, qu’elle a tous déclinés. C’est dans ces conditions qu’elle s’est estimée victime de harcèlement moral.

La cour d’appel impute la responsabilité de la rupture du contrat à l’employeur, considérant, au visa de l’article du Code du travail précité, que l’absence de fourniture de travail a eu pour effet de dégrader les conditions de travail et a porté atteinte à ses droits et à sa dignité, ternissant son image vis-à-vis de son ancienne équipe.

La solution n’est pas totalement nouvelle : cette même cour (12 janvier 2012 n° 11-00258), s’immisçant dans la gestion de l’entreprise, avait ordonné sous astreinte qu’il soit proposé à une salariée de retour de congé parental un poste similaire à celui qu’elle occupait avant son départ, assorti d’une rémunération équivalente !

De là à qualifier les faits de harcèlement moral, il y a un pas qu’il nous semble illégitime de franchir, dans un cas comme celui-ci où la Société générale faisait état de ce que la salariée n’avait porté aucun intérêt à la plupart des 32 postes offerts.

Lorsque le salarié ne peut être positionné à son ancien poste et en l’absence de poste similaire, l’employeur doit lui proposer un poste de travail différent, qu’alors le salarié est en droit de refuser. Une telle situation ne peut que mener à son licenciement, nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur étant bien en peine d’identifier un motif personnel à reprocher au salarié, compte tenu précisément de l’absence de ce dernier. La voie du licenciement pour motif économique est tout aussi fermée en l’absence de motif valable et suffisant.

Même si le harcèlement moral ne nécessite ni intention de nuire ni mauvaise foi et peut être caractérisé même en l’absence d’actions positives, la reconnaissance d’un harcèlement moral est à notre sens inadaptée et lourde de conséquences pour l’employeur. Inadaptée parce que la qualification de harcèlement moral entraîne la nullité du licenciement avec obligation éventuelle de réintégration. Lourde de conséquences pour l’employeur, puisqu’elle l’expose en outre à un risque pénal.

On ne peut que conseiller en tout état de cause aux employeurs de conserver disponible le poste du salarié durant son absence. Si, comme au cas d’espèce, le salarié ne donne pas satisfaction, il faut alors procéder à son licenciement pour motif personnel à son retour. Il ne faut en tout cas pas laisser perdurer une situation qui devient malsaine et peut conduire le salarié à tenter toutes les voies de droit.

Si l’absence prolongée d’affectation peut parfois dégrader les conditions de travail et compromettre l’avenir professionnel, il est difficilement admissible que l’employeur soit condamné pour harcèlement moral, alors même qu’il se trouve, comme en l’espèce, dans une situation inextricable, compte tenu des refus de postes répétés du salarié.

Viviane Stulz et Lucie Vincens, avocates au cabinet Actance, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.