logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

États-UnisENTENTE ILLICITE SUR LES EMBAUCHES DANS LA SILICON VALLEY

Pratiques | International | publié le : 22.05.2012 | CAROLINE TALBOT

Une poignée d’ingénieurs de la Silicon Valley poursuit en justice sept entreprises high-tech accusées de s’être entendues pour ne pas débaucher les troupes du concurrent. Une pratique difficile à démontrer.

Les directions d’Apple, de Google, d’Intel et de quelques autres sociétés de la Silicon Valley sont poursuivies en justice pour avoir passé un pacte en vertu duquel chacune s’interdisait de débaucher les hauts potentiels de ses concurrents. Cinq ingénieurs experts en logiciels portent plainte, arguant que cet accord secret avait artificiellement limité leur progression de salaire.

L’entente relève bien de la législation antitrust, a décidé la juge Lucy Koh, à San Jose, en Californie, le 18 avril dernier. Du coup, les plaintes des cinq ingénieurs contre Apple, Adobe, Intel, Lucasfilm et Intuit peuvent se poursuivre collectivement, sous forme de class action. Leur avocat Joseph Saveri espère un procès en juin 2013.

Existence de preuves

« Habituellement, il est très difficile, voire impossible, de prouver ce genre de collusion entre états-majors de grandes entreprises, constate le professeur Eric Goldman, directeur de l’Institut juridique high-tech de l’université Santa Clara. Mais, cette fois, des preuves existent. » Et de citer les courriers électroniques échangés entre patrons d’entreprises de la Silicon Valley, ainsi que la biographie de Steve Jobs, publiée juste après la mort du Pdg d’Apple, en octobre 2011.

Violation de la loi antitrust

Les plaignants sont en effet aidés par l’investigation des experts du ministère de la Justice, réalisée en 2009 alors que l’administration enquêtait déjà sur d’éventuelles violations de la loi antitrust. Le ministère a eu beau s’entendre à l’amiable un an plus tard avec les entreprises impliquées (Apple, Google, Intel, Adobe Systems, Intuit, Pixar et Lucasfilm) et arrêter toute poursuite judiciaire, des échanges de courriers électroniques entre les patrons de ces joyaux du high-tech ont été révélés, dont certains remontent à 2005.

On y découvre comment Steve Jobs a demandé à son confrère Eric Schmidt, Pdg de Google à l’époque, mais aussi membre du conseil d’administration d’Apple, de lui rendre un fier service en faisant cesser le débauchage agressif des personnels d’Apple contre de belles hausses de salaire.

Le même type de gentlemen agreement interdisant les débauchages mutuels sera discuté avec Arthur Levinson, le patron de Genentech, qui siège au conseil d’administration d’Apple et de Google. Petit à petit, d’autres groupes high-tech suivront l’exemple. Sept acteurs majeurs de la Silicon Valley ont passé des accords bilatéraux, selon les plaignants.

Cette pratique aurait défavorisé les hauts potentiels ou les détenteurs de compétences clés, généralement prompts à faire jouer la concurrence entre les ténors d’un secteur. Après s’être entendue avec le ministère de la Justice, la direction de Google avait décrété une hausse de 10 % des salaires pour tous ses salariés. De là à en déduire que ces 10 % représentent le préjudice financier subi, il n’y a qu’un pas. Dans ce cas, les ingénieurs débutants peuvent espérer 5 000 à 10 000 dollars par année de présence dans la même société. Considérant tous les personnels intéressés par les résultats de l’action collective, le montant global pourrait être lourd. Mais, pour l’heure, les accusés vont sans doute essayer d’annuler la poursuite judiciaire. Ils peuvent aussi négocier à l’amiable avec les plaignants en échange d’une contrepartie financière.

Les juristes californiens suivent cette saga avec intérêt, car ils ont rarement l’occasion d’étudier en détail ce type d’accord anticompétitif. Pour trouver d’autres exemples de clauses de non-débauchage, il faut aller… en Inde, dans les entreprises d’habillement, là ou le turnover est si fort que, parfois, les patrons s’entendent pour assouplir la concurrence.

Auteur

  • CAROLINE TALBOT