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Enquête

« Le temps partiel s’est développé de façon discriminatoire »

Enquête | publié le : 15.05.2012 | ÉLODIE SARFATI

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« Le temps partiel s’est développé de façon discriminatoire »

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

E & C : Comment a évolué le travail à temps partiel en France ?

M.M. : Le travail à temps partiel est apparu récemment ; il s’est développé dans les années 1980 et 1990, sous l’impulsion de politiques publiques incitatives, comme remède supposé à la crise de l’emploi. De 1,5 million de travailleurs à temps partiel en 1980, on est passés à plus de 4,5 millions aujourd’hui. Deux tiers des emplois créés entre 1975 et 2008 étaient à temps partiel : leur croissance a nettement mordu sur celle des emplois à temps plein.

Pour autant, la fin des aides publiques, au début des années 2000, n’a pas entraîné de baisse mais un tassement de ces emplois, qui se sont imposés entre-temps comme politique de gestion de la main-d’œuvre dans des secteurs qui concentrent des emplois féminins peu qualifiés. Le temps partiel s’est donc majoritairement développé sous une forme précaire et discriminatoire : 80 % des personnes qui travaillent à temps réduit sont des femmes.

E & C : Comment s’est créé ce lien entre-temps partiel et travail des femmes ?

M.M. : Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne ou les pays scandinaves, il a été une composante de l’afflux des femmes sur le marché du travail. Pas en France où, avant 1980, les femmes travaillaient à temps plein. Mais, depuis trente ans, le temps partiel ne s’est jamais masculinisé, ni en France ni ailleurs. Ce phénomène était en germe dès le vote des lois de 1980 et 1981, qui encadrent le temps partiel : dans les débats parlementaires, on parlait déjà d’une mesure adaptée aux femmes et favorable à la politique familiale. Aujourd’hui encore, il y a toujours une petite voix qui dit que « c’est très bien pour les femmes », avec en arrière-plan l’idée qu’elles pourraient bien travailler pour un salaire d’appoint. Cela reste moins choquant que pour les hommes. Et c’est peut-être ce qui explique qu’il n’ait pas fait l’objet de plus de régulation.

E & C : Le travail à temps partiel est-il toujours synonyme de précarité ?

M.M. : Pas forcément. Il peut dans certains cas procéder d’une décision, prise dans une situation de stabilité de l’emploi. Le problème, c’est que dans les secteurs où il s’est beaucoup développé, il est facteur de précarité. Car les salariées cumulent alors bas salaires et flexibilité des horaires. Bien souvent, elles ne savent pas, d’une semaine à l’autre, combien de temps elles vont travailler, et ne peuvent anticiper leurs revenus qui dépendent des heures complémentaires qu’on leur propose. Il n’y a pas de situation plus précaire. Pour elles, la “conciliation” de la vie familiale et de la vie professionnelle est une fable. Notons d’ailleurs que les femmes qui travaillent à temps partiel sont moins nombreuses dans la tranche des 25-49 ans, qui correspond à l’âge d’élever des enfants.

E & C : À quelles conditions le temps partiel peut-il être réellement un facteur d’équilibre des temps ?

M.M. : Pour être une forme d’emploi de qualité, le temps partiel doit être maîtrisé par les salariés. Tant qu’il est imposé, il reste une forme dégradée et inacceptable d’emploi. C’est pourquoi il devrait y avoir un droit à la réversibilité. Pourquoi ne serait-il pas encadré, au même titre que les CDD ou l’intérim ? C’est un sujet essentiel à traiter pour l’avenir de l’emploi féminin en France. Car le temps partiel ne renvoie pas essentiellement à la question du temps de travail, mais bien à celle du statut des salariés concernés.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI