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« La conciliation des temps est un enjeu de santé »

Enjeux | publié le : 02.05.2012 | ÉRIC DELON

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« La conciliation des temps est un enjeu de santé »

Crédit photo ÉRIC DELON

Agir sur la conciliation des temps de vie privés et professionnels est un moyen de maintenir les collaborateurs en bonne santé. Les entreprises doivent avoir conscience que les salariés apportent avec eux leurs problèmes personnels au travail et inversement.

E & C : Les études sur les risques psychosociaux ont été légion ces dernières années. En quoi la vôtre, concernant la conciliation de la vie personnelle et professionnelle, renouvelle-t-elle l’approche ?

Caroline Coulombe : L’IAE Lyon 3 effectue chaque année un sondage auprès de sa population de partenaires institutionnels – Medef, ANDRH, CCI… L’objectif est de comprendre auprès d’eux certains enjeux et les problématiques rencontrées dans leur rôle de directeurs généraux, DRH ou managers. Cette année, l’étude a porté sur la thématique de la conciliation vie personnelle et vie professionnelle. Nous nous sommes appuyés sur une norme canadienne baptisée Entreprise en santé, qui précise qu’une entreprise en santé est celle qui agit auprès de ses collaborateurs – individus – et de son collectif – entreprise – sur quatre axes précis, dans un mouvement de coresponsabilité : les habitudes de vie – nutrition, activité physique, stress – ; l’environnement de travail – ergonomie, bruit, cantine… – ; le management ; la conciliation vie professionnelle et vie personnelle.

Les problématiques de stress et de suicide au travail proviennent d’un “mixte” de facteurs liés à ces quatre axes.

La conciliation de la vie personnelle et professionnelle nous est apparue comme un aspect fondamental du vécu des individus. Un collaborateur ne pose pas sa valise personnelle lorsqu’il arrive sur son lieu de travail et vice-versa. Ses nombreuses “casquettes” finissent par lui peser : faire plus avec moins, utiliser sans cesse de nouvelles technologies, gérer les nombreux changements organisationnels, “affronter” les enfants et des statuts maritaux de moins en moins clairs – marié, célibataire, séparé…

E & C : Dans votre étude, vous signalez un écart, que vous qualifiez de paradoxal, entre la perception de la charge de travail des salariés et le temps imparti pour réaliser ce même travail.

C. C. : 41 % des répondants déclarent avoir une charge de travail trop importante à gérer, 62 % d’entre eux confiant manquer de temps pour réaliser leurs tâches. Le paradoxe vient donc du fait que moins de la moitié des sondés trouvent leur charge de travail trop importante – à l’inverse de la situation canadienne par exemple –, alors même que 60 % reconnaissent manquer de temps. La perception de la charge de travail dépend de trois éléments : savoir faire, vouloir faire et pouvoir faire. Bien souvent, ces trois éléments sont directement liés à la perception du temps. Or des répondants nous ont confié maîtriser ces éléments de la charge de travail mais pas le temps. Ce dernier est, quant à lui, aussi fortement lié aux nombreuses “casquettes” que nous portons. Ce qui conduit à régler des problèmes personnels pendant nos heures de travail et inversement, des tâches professionnelles sur le temps personnel.

E & C : Vous pointez par ailleurs un sentiment majoritaire de non-contrôle de sa vie. Comment cela se traduit-il ?

C. C. : Ce sentiment fait partie du cercle vicieux de la fatigue, du stress, des émotions négatives transportées en entreprise – conflits, agressivité envers les tiers ou envers soi… La démotivation et les pathologies pouvant conduire aux maladies cardiovasculaires et autres maladies chroniques sont intimement liées. En organisation, le non-contrôle de sa vie se traduit de nombreuses façons. Par exemple, le phénomène du présentéisme : je suis sur mon lieu de travail, mais je suis “absent” mentalement, car je pense à mon divorce ou je suis inquiet pour ma mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, ou soucieux pour mon adolescent qui passe un concours… Selon les études nord-américaines les plus récentes sur le sujet, le présentéisme coûte deux à trois fois plus cher aux organisations que ce que coûte l’absentéisme, qui représente en moyenne 20 % de la masse salariale d’une entreprise.

E & C : L’insatisfaction vis-à-vis des moyens mis à disposition par les politiques RH s’exprime également dans l’étude, qui note par ailleurs des relations managériales facilitatrices. De quoi s’agit-il ?

C. C. : En entreprise, rares sont les règles encourageant la conciliation. Il est rare qu’une heure limite soit fixée pour les réunions afin de permettre aux parents, par exemple, de gérer les heures d’entrée et de sortie d’école de leurs enfants. En revanche, il existe un phénomène de relationnel auprès de son n + 1 – le manager de proximité – qui, lui, assouplit l’organisation et donne des “permissions” flexibles selon les réalités individuelles. Cette relation est positive, mais génère une anxiété supplémentaire lors des changements d’organisation.

E & C : Ces phénomènes de conciliation vie professionnelle–vie personnelle sont-ils gérés de façon différente à l’étranger ?

C. C. : En Amérique du Nord, des réflexions et des pistes de solution sont apparues depuis plusieurs années, notamment aux États-Unis, concernant la prévention, et ce essentiellement pour des raisons économiques – absence de sécurité sociale, responsabilité des entreprises en lien direct avec un retour sur investissement en termes de prévention de la santé. Au Canada, et particulièrement au Québec, qui possède un système de sécurité sociale similaire à celui de la France, des expérimentations existent depuis plus de quinze ans. Dans la Belle Province, certaines entreprises ont mis en place par exemple un service de garagiste qui vient sur place changer les pneus de votre véhicule entre deux saisons.

D’autres ont installé une crèche sur place pour favoriser les liens parentaux et la gestion délicate des horaires de réunion. Certaines PME offrent des paniers de fruits et de l’eau minérale à leurs salariés… Il est possible d’être créatif selon les budgets et les réalités organisationnelles et culturelles propres.

E & C : Les réactions des entreprises françaises sont-elles à la hauteur de l’enjeu ?

C. C. : Cela dépend. Les entreprises sont désormais interpellées légalement sur les risques psychosociaux. En conséquence, elles cherchent activement des réponses à plusieurs niveaux. Les pistes de réflexion doivent se situer au-delà des risques psychosociaux et du stress, sans toutefois éviter ce sujet ni l’ignorer… Il est crucial de rechercher une vision plus globale de la complexité organisationnelle.

SON PARCOURS

• Caroline Coulombe est maître de conférences associée à l’IAE Lyon. Elle y est responsable du diplôme universitaire “management de la qualité de vie au travail et santé” (codirigé avec Thierry Rochefort, professeur associé à l’IAE Lyon), qui s’est ouvert en février 2012 et est destiné aux professionnels RH, médecins du travail, délégués syndicaux, consultants….

• Ses recherches portent sur la prévention et la promotion de la santé en entreprise selon l’approche intégrative canadienne, qu’elle développe via son activité au sein de la société DeuxPointCinq.

SES LECTURES

• Business Model. Nouvelle génération, Yves Pigneur et Alexander Osterwalder, Pearson, 2011.

• Un Paléoanthropologue dans l’entreprise, Pascal Picq, Eyrolles, 2011.

• The Opposable Mind, Roger Martin, Harvard Business School Press, 2007.

Auteur

  • ÉRIC DELON