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DRH et politique : attention au mélange

Actualités | publié le : 02.05.2012 | DOMITILLE ARRIVET

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DRH et politique : attention au mélange

Crédit photo DOMITILLE ARRIVET

Rien n’interdit à un salarié, y compris DRH, de parler politique au travail. C’est le principe même de la liberté d’expression. Mais il y a des limites à un engagement. D’autant plus visible en période électorale, celui-ci peut devenir le sujet qui fâche.

En période électorale plus que jamais, l’engagement politique d’un salarié, en particulier cadre important de l’entreprise, peut devenir un sujet explosif. Exemple extrême avec une affaire qui a éclaté le 2 février dernier. Ce jour-là, l’avocat marseillais Gilbert Collard, président du comité de soutien de Marine Le Pen, a rendu public l’engagement de certaines personnalités dans la campagne présidentielle du Front national. Sur la liste était mentionné notamment un certain Marc Desgorces-Roumilhac – administrateur et directeur des ressources humaines du groupe Marie-Claire. À la direction du groupe de presse, l’association du nom de l’entreprise à une liste étiquetée Front national n’a pas été appréciée. L’éditeur de magazines tels que Marie Claire, Cosmopolitan ou Marie France, n’avait jamais habitué ses lectrices à des opinions extrémistes ! Aussi, dès le lendemain, le groupe présidé par Évelyne Prouvost répondait par un communiqué de presse que l’engagement de son DRH relevait d’une « démarche purement personnelle, qui n’engage aucunement l’entreprise et qui ne correspond absolument pas aux valeurs du groupe ».

Mais la polémique était lancée. Sur le Net, certains se sont insurgés : « J’espère qu’il sera viré !!! », écrivait l’un alors que d’autres préféraient féliciter le courage d’un homme engagé qui n’a pas peur de ses opinions. « Rejoindre un comité de soutien, ce n’est pas neutre. Cela signifie – de même que signer une pétition – qu’on affiche au grand jour une conviction, et qu’on est prêt à l’assumer », réfléchit, de son côté, un autre internaute sur le site de Marie Claire.

Risque d’amalgame

Une chose est sûre : si ce DRH n’avait pas mentionné le nom de l’entreprise qui l’emploie, l’affaire n’aurait pas pris une telle tournure. Parce qu’un amalgame est vite fait : « Quand M. Desgorces-Roumilhac se place sur le comité de soutien au titre de “DRH du groupe Marie Claire”, il y a bien un but recherché : montrer qu’un homme de presse, employé par un journal-qui-a-tant-fait-pour-l’émancipation-de-la-femme, ne trouve rien à redire aux positions de Marine Le Pen, voire les soutient », soutient ainsi un internaute. Embarrassant.

Cet événement a eu des conséquences au-delà du groupe Marie Claire. Par exemple, Alexis Harmel, le DRH de l’entreprise Fujitsu Technology Solutions, qui avait concouru pour la mairie de Levallois-Perret contre Patrick Balkany en 2008 et qui candidate à nouveau aux élections législatives de juin (divers droite) a été prié par son entreprise de se taire. « À la suite de ce pataquès, j’ai eu interdiction en interne de parler de mon engagement, se limite à commenter M. Harmel. Heureusement, on ne m’a pas encore interdit de faire de la politique ! »

Des limites à respecter

C’est que, pour une entreprise, le sujet est délicat. Pas question d’interdire à des salariés de parler de tout, à la machine à café ou au bureau. Et ces temps-ci, commenter l’actualité en faisant l’impasse sur les questions politiques relève de la mission impossible ! D’ailleurs, l’article L.1132-1 du Code du travail sur les discriminations le précise : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié en raison […] de ses opinions politiques. » Mais certaines limites doivent être respectées. « La distinction se situe entre la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Ce qui se vit en son for intérieur ne regarde pas l’employeur. Si cela déborde dans le for extérieur, c’est différent », précise Jean-Emmanuel Ray, directeur du master 2 pro Développement des RH à Paris 1-Sorbonne. Avec cependant une nuance en fonction du niveau de responsabilité du salarié. « Un DRH qui a pour mission de recruter ne doit évidemment pas commettre de discrimination liée à son appartenance, politique ou autre », avertit le professeur.

« Les premiers cercles de dirigeants doivent s’obliger à une réserve dans l’expression de leurs opinions, relève de son côté Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH et directeur des ressources humaines de l’entreprise de chimie Rhodia en France. Quand je signe un document en tant que DRH France de Rhodia, j’engage l’entreprise. Si je signe un accord avec un syndicat, j’incarne mon entreprise. Le DRH du groupe Marie Claire aurait sans doute dû s’abstenir d’afficher un engagement quel qu’il soit ». Ce que l’intéressé n’a pas jugé bon de faire : « Depuis, il a été nommé à la tête du comité de soutien à Marine Le Pen dans le Var », proteste une déléguée du personnel du groupe de presse.

Sanctions possibles

Lorsque cet engagement peut avoir des effets néfastes sur l’activité de l’entreprise – par le temps que le salarié y consacre ou par les conséquences négatives qu’il génère (« Je me désabonne de Marie Claire », menaçait ainsi en février une fidèle du magazine), les sanctions sont possibles. « Si cela a de graves conséquences sur le travail, on peut invoquer le trouble objectif caractérisé. Dans ce cas il appartient à l’employeur de démontrer que les conséquences de l’engagement du salarié constituent une entrave à l’activité », précise Jean-Emmanuel Ray. Le groupe Marie Claire n’a pas considéré qu’il devait en arriver là, même si, de leur côté, les représentants du CE du groupe ont sommé le directeur général de retirer au DRH sa délégation de représentation, estimant que celui-ci fait prévaloir son engagement partisan sur son rôle de dirigeant.

Une telle polémique aurait-elle eu lieu si M. Desgorces avait milité pour le compte d’un autre candidat ? « Juridiquement non, si le parti est légal. Mais subjectivement, les extrêmes font peur. Or le monde de l’entreprise n’aime pas les facteurs de clivage, et notamment dans les entreprises mondialisées où l’on veut réunir des salariés de tous horizons et séduire un nombre de plus en plus élevé de consommateurs », analyse Jean-Emmanuel Ray.

JEAN-CHRISTOPHE SCIBERRAS, PRÉSIDENT DE L’ANDRH ET DRH FRANCE DE RHODIA
« Il est souhaitable que l’homme politique s’appuie sur des experts »

« La limite se situe lorsque le collaborateur a une fonction de représentation de l’entreprise », estime Jean-Christophe Sciberras. Pourtant, lui-même fut conseiller technique de Martine Aubry alors qu’elle était ministre du Travail et n’a pas ménagé son engagement politique tout au long de sa carrière en entreprise : militant local, puis élu au conseil municipal – de gauche – du 20e arrondissement de Paris en 1995 alors qu’il travaillait chez Renault, il considère avoir toujours tenté de séparer le personnel du professionnel. Pour lui, le rôle d’un élu municipal est davantage de gérer des questions du quotidien que de faire de la politique au sens large. « J’ai arrêté tout engagement politique il y a dix ans. Mais, si je voulais reprendre un mandat de conseiller municipal, je pense que cela ne poserait pas de problème vis-à-vis de mes fonctions », estime-t-il.

Et sa récente contribution à la commission dirigée par le sénateur UMP Gérard Larcher sur la refonte de la formation professionnelle n’a pas posé de cas de conscience à cet homme de gauche : « C’est une bonne chose que l’homme politique s’appuie sur des experts. Dans ce cadre, non seulement c’est possible, mais c’est souhaitable. Les fonctionnaires n’ont pas forcément une vision concrète du travail en entreprise », affirme le DRH. « Il fallait que mon directeur général soit d’accord », précise tout de même l’intéressé.

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  • DOMITILLE ARRIVET