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Mauvaise foi et preuve en droit du travail

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 24.04.2012 |

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Mauvaise foi et preuve en droit du travail

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Pivot du droit des contrats, l’obligation de bonne foi dans l’exécution des “conventions légalement formées” s’est invitée dans le Code du travail, où l’article L. 1222-1 dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Déclinée en jurisprudence, l’obligation ainsi faite aux deux parties au contrat connaît toutefois quelques vicissitudes tant la Cour de cassation, exigeant que soit faite la démonstration tantôt de la « mauvaise foi » du salarié, tantôt de son « intention frauduleuse », semble imposer à l’employeur qu’il se transforme en véritable psychologue.

L’arrêt rendu le 7 mars 2012 en est une illustration. Une salariée engagée sous contrats successifs à durée déterminée à temps partiel en réclamait la requalification en contrat à durée indéterminée. Pour ce faire, elle se fondait sur l’absence d’écrit, faute duquel le contrat à durée déterminée est « réputé conclu pour une durée indéterminée » (Code du travail art. L. 1242-12). À ces demandes, l’employeur avait répondu qu’un contrat avait été remis à la salariée à chacune de ses interventions et que celle-ci avait refusé de les rendre signés, en dépit de plusieurs relances. C’est sur ces bases que la cour d’appel avait débouté la salariée de ses prétentions. À tort selon la haute cour, dès lors que les magistrats de la cour d’appel n’avaient pas caractérisé « la mauvaise foi ou l’intention frauduleuse de la salariée ».

La solution n’est certes pas nouvelle ; en effet, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de mettre en exergue l’importance de la mauvaise foi en refusant, dans des circonstances similaires, la requalification à un salarié qui avait délibérément refusé de signer la prolongation de son contrat à durée déterminée (Cass. soc. 18 avril 2000) ou ses contrats de mission (Cass. soc. 15 nov. 2007). Pour autant, ce qui marque dans l’arrêt du 7 mars 2012 est la quasi-nonchalance de la chambre sociale, laquelle, face aux constatations de la cour d’appel qui motive son arrêt en évoquant les lettres de relance de l’employeur, n’en déduit pas, ce qu’elle aurait parfaitement pu faire sans que la cour d’appel ne l’ait écrit, la mauvaise foi ou l’intention frauduleuse.

Mais l’employeur, dépité de se trouver face à des magistrats dont les qualités rédactionnelles laissent à désirer, peut se rassurer en imaginant qu’une autre interprétation, plus inquiétante, consiste à déduire de l’arrêt du 7 mars que l’attitude de la salariée n’est pas constitutive de mauvaise foi ou d’une intention frauduleuse, ce que l’examen de décisions rendues en matière de dénonciation de faits de harcèlement moral laisse redouter…

Appelée à répondre à des situations de détresse face à des comportements inadmissibles, l’introduction dans le corpus législatif du harcèlement moral se transforme trop souvent, bien aidée par la désormais célèbre obligation de sécurité de résultat de l’employeur en matière de santé et de sécurité, en instrument de chantage. Voici un salarié menacé par une sanction disciplinaire, une mutation ou par toute autre mesure à laquelle il n’adhère pas. Il dénonce des faits de harcèlement moral, obligeant ainsi l’employeur à diligenter une enquête afin d’établir les faits.

Que les faits de harcèlement ne soient pas établis au terme de cette enquête qui, accessoirement, a mis à mal le climat social dans l’entreprise et, parfois, traumatisé celui qui a été mensongèrement accusé, et voilà l’employeur, sûr de son bon droit, qui procède au licenciement pour dénonciation de faux faits de harcèlement moral et trouble au bon fonctionnement de l’entreprise (par exemple). Par erreur, selon la Cour, pour laquelle l’employeur doit démontrer « la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce » afin d’établir sa mauvaise foi (Cass. soc. 7 février 2012). En d’autres termes, la circonstance que les faits de harcèlement, dont il est établi qu’ils ne sont pas constitués, dénoncés mensongèrement au moment précis où l’employeur entend faire usage de son pouvoir de direction, ne suffit pas à établir la mauvaise foi de l’intéressé, dont le licenciement est rien moins que nul.

Si la preuve est libre en matière sociale, l’on s’interroge sur la nature de celle qu’il faut rapporter afin de démontrer la mauvaise foi par « la connaissance de la fausseté » de faits dénoncés ou par l’abstention délibérée de retourner un document signé… mais il paraît qu’à l’impossible, nul n’est tenu.

Laurent Guardelli, associé du cabinet Field Fisher Waterhouse LLP, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.