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Le combat judiciaire se poursuit aux États-Unis

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 17.04.2012 | S. M.

Les ex-ouvrières de Samsonite, licenciées en 2007 après que leur usine a été cédée à des repreneurs peu scrupuleux, s’apprêtent à lancer une class action contre le fonds d’investissement américain propriétaire du bagagiste.

Elles n’ont peur de rien. 178 anciennes ouvrières de l’usine Samsonite d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) se sont constituées en association, et une vingtaine s’apprêtent à partir pour Boston. Elles ont entamé une class action contre Bain Capital, le fonds d’investissement propriétaire à l’époque du bagagiste américain. Le procès devrait se tenir avant l’été, selon leur avocat, Me Fiodor Rilov. Elles accusent Bain Capital d’avoir évité la charge d’un PSE en cédant l’activité héninoise à un repreneur qui a liquidé l’usine dix-huit mois plus tard.

Opération dangereuse

« Le fonds d’investissement revendait à ce moment-là Samsonite en bourse. Le plan social aurait fait baisser le cours de l’action », décrypte Brigitte Petit, déléguée CGT, à l’époque membre du CE. Me Rilov confirme : « Samsonite aurait alors dû constituer une provision qui aurait terni sa comptabilité consolidée. Ce qui explique qu’il se soit lancé dans cette opération sophistiquée et dangereuse. » L’avocat affirme qu’en cas de fermeture en Europe d’une usine, les sociétés américaines ont l’habitude de provisionner entre 70 et 150 millions de dollars. À Samsonite France, on se refuse à tout commentaire.

Avant de se lancer dans une bataille procédurale aux États-Unis, les anciennes salariées ont déjà remporté deux succès devant la justice française. En 2008, le TGI de Béthune a annulé la vente de l’usine, la jugeant entachée de fraude. La multinationale a fait appel. L’année suivante, les prud’hommes ont condamné Samsonite à verser les primes de licenciement à ses anciens salariés – de 10 000 à 70 000 euros –, car les transferts des contrats de travail du bagagiste américain au repreneur, Energy Plast, n’étaient pas légaux. Ils n’avaient eu droit lors de la liquidation judiciaire qu’à l’indemnité minimale versée par l’AGS. Là, Samsonite s’est exécuté. Par ailleurs, en juin 2009, les dirigeants d’Energy Plast, Jean-Michel Goulletquer et Jean-Jacques Aurel, ont été condamnés à deux et un ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Paris pour banqueroute par détournement d’actif ; 2,5 millions d’euros ont disparu des comptes. Ils ont fait appel.

Activité de sous-traitance

Le point de départ de cette épopée juridique se situe en septembre 2005. Samsonite veut se séparer de son usine d’Hénin-Beaumont. « Ils voulaient arrêter l’activité européenne et tout délocaliser en Chine, en Inde, en Thaïlande », témoigne Brigitte Petit. Me Rilov détaille la suite : le groupe crée une société, Energy Plast, filiale à 100 %, et lui donne en apport l’unité de production du Pas-de-Calais. Il cède ensuite la totalité des actions de cette nouvelle entité aux repreneurs, pour l’euro symbolique. Il leur accorde de surcroît une aide à la reprise de 9 millions d’euros et accepte de leur confier une activité de sous-traitance. Les ouvrières continuent à produire des valises pour Samsonite, mais en “no-name”, sans que la marque soit indiquée sur le produit. Objectif affiché : soutenir Energy Plast en attendant le démarrage de la nouvelle activité. Car la société créée se positionne sur un secteur d’avenir alléchant : la production de panneaux photovoltaïques.

Les 205 salariés restent donc relativement confiants. Mais en juin 2006, le comité d’entreprise déclenche son droit d’alerte. L’usine n’a toujours pas sorti un panneau solaire. « Il aurait fallu refaire les locaux, avec des salles fermées pour fabriquer les panneaux, former le personnel », se souvient Brigitte Petit. Rien ne se mettait en place et les fournisseurs commençaient à ne plus être payés, poursuit-elle.

En décembre, l’inquiétude croît. Surtout que le même scénario se déroule chez Delsey, où les mêmes patrons avaient repris l’usine picarde de Montdidier. « Notre directeur est venu nous voir : il nous payait notre salaire et notre prime de Noël, mais pour janvier, il ne pouvait rien promettre. » Au retour de la trêve des confiseurs, les salariés – cadres et ouvrières – décident d’occuper leur usine. Energy Plast est placé en liquidation judiciaire dans la foulée, en février 2007.

La cellule de reclassement, qui a officié les deux années suivantes, est confiée au cabinet Anthéa, mais, explique Marcel Hennebelle, ancien cadre et membre de la commission de reclassement, le contexte psychologique était difficile : « Après le clash qu’ils avaient vécu, les gens ne se sentaient pas responsables de leur chômage. » Renée Ponthieu, ancienne déléguée du personnel, témoigne : « Nous promettre monts et merveilles et, du jour au lendemain, nous lâcher dans les mains d’entrepreneurs voyous… Notre colère est toujours là. »

En mars 2009, à la fin de l’accompagnement, sur les 185 anciens salariés inscrits à l’antenne, 66 avaient retrouvé un CDI, et deux avaient créé leur entreprise ; 26 étaient en CDD de plus de six mois, et 13 enchaînaient des missions en intérim. Dix personnes suivaient une formation, 24 pouvaient prétendre à la retraite ; 36 sont restées sans solution. Au final, seul 38 % de l’effectif initial était considéré comme occupant une situation d’emploi pérenne. Une enquête de satisfaction montrait alors que 54 % trouvaient que l’antenne n’avait pas du tout ou un peu répondu à leurs attentes.

Du coup, pas question de dé­sarmer : « Notre démarche est importante, pour montrer que le simple ouvrier peut aller au tribunal face à de gros actionnaires qui ont abusé des salariés », assène Renée Ponthieu.

Auteur

  • S. M.