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« Il faut éviter l’uniformisation des processus de recrutement »

Enjeux | publié le : 17.04.2012 | PAULINE RABILLOUX

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« Il faut éviter l’uniformisation des processus de recrutement »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Formaliser davantage les épreuves de recrutement permettant de mettre en concurrence ou en équivalence tous les candidats à l’aune de critères uniformes pourrait, paradoxalement, nuire à la fois à la performance des entreprises et à l’équité.

E & C : Tout recrutement s’inscrit dans une tension entre l’efficacité pour l’entreprise et l’équité pour les candidats. Pouvez-vous en préciser les enjeux ?

Guillemette de Larquier : Au nom du principe d’égalité, la loi interdit toute forme de discrimination devant l’emploi. Tout processus de recrutement étant par définition un processus sélectif, cette inégalité de traitement des candidats doit être justifiée par celui équitable des candidatures. Pour s’assurer les meilleures compétences, l’entreprise doit s’en tenir à des critères légaux, si ce n’est légitimes, et doit en même temps s’assurer que ces critères lui serviront bien à retenir la ou les personnes dont elle a besoin.

Le recrutement est un passage critique pour l’entreprise, au sens où il est à la fois délicat à opérer et d’un résultat toujours entaché d’incertitude. Cela explique sans doute que le meilleur recrutement pour elle est celui qui se fait pour ainsi dire sans effort : peu de candidats, voire un seul, que l’on connaît déjà plus ou moins avant qu’il n’intègre l’entreprise. Les employeurs le plébiscitent. Il est économique en temps, en argent et en soucis, puisqu’un candidat issu du réseau professionnel ou de relations a déjà, d’une certaine manière, fait ses preuves. Cependant, ces recrutements très fermés peuvent pénaliser les candidats qui, du fait de leur origine ou de leur jeunesse, ne disposent justement d’aucun réseau de relations. Paradoxalement, l’expérience prouve que les formes de recrutement qui court-circuitent le CV sont les plus favorables aux candidats peu qualifiés ou à ceux qui pourraient être exclus de l’emploi du fait de leur parcours atypique. Comme nous l’avons montré avec Emmanuelle Marchal*, ces recrutements ou processus de sélection “allégés” ou “simplifiés” correspondent à un tiers des cas en France.

E & C : Et dans les autres cas ?

G. de L. : Tout recrutement est un pari sur l’avenir. Quand le bon candidat n’est pas issu du réseau, la tendance des entreprises est, là encore, d’essayer de limiter le risque au maximum en multipliant les critères pour ne pas se tromper. Plus le recrutement est ouvert, c’est-à-dire plus le nombre de candidats est important, plus la sélection augmente en proportion du nombre de personnes sollicitant l’emploi. Mais tout dépend du type d’entreprise et d’emploi à pourvoir. Pour les ouvriers, à défaut d’une recommandation, un essai est souvent la meilleure manière de s’assurer qu’on a à faire à quelqu’un de compétent. Concernant les employés peu qualifiés, la liste est à géométrie variable, car leur compétence est plus difficile à cerner objectivement : CV, lettre de motivation, photo constituent la panoplie de base, mais elle peut s’accompagner d’un nombre indéterminé d’autres méthodes plus ou moins rationnelles, voire plus ou moins légales quand, par exemple, s’ajoutent des critères de sexe, d’âge ou d’autres conditions restrictives non justifiables et bien sûr non explicites. Pour les candidats qualifiés, le CV est généralement le premier critère de sélection et, selon la taille de l’établissement, la suite se limite à deux entretiens ou parfois donne lieu à une procédure beaucoup plus longue. En fait, recruter et sélectionner n’est pas un problème dans les entreprises suffisamment grandes pour avoir un service ressources humaines qui s’investit dans ces tâches. Cela concerne à peu près un tiers des recrutements. Et dans 10 % des cas – les emplois qualifiés dans les grandes entreprises –, après un tri drastique des CV, s’accumulent tests et entretiens avec des responsables RH et un ou plusieurs managers opérationnels. Un véritable parcours du combattant, qui risque bien sûr de sélectionner la personne… la plus performante pour réussir les tests et les entretiens, si ce n’est le meilleur candidat pour le poste !

E & C : N’est-il pas possible de rationaliser la démarche pour minimiser le risque tout en augmentant l’équité de l’évaluation ?

G. de L. : Autant par souci de rationalisation que d’organisation de politiques de recrutement harmonisées, notamment pour les embauches de cadres dans les grandes entreprises, une certaine formalisation prévaut aujourd’hui. Des profils de postes sont définis, les canaux de publication des annonces choisis en fonction des profils, les CV triés selon des critères prédéfinis. Les candidats retenus se voient tous proposer les mêmes entretiens conduits de manière similaire. Dans certains groupes signataires de la charte de la Diversité, les opérationnels sont briefés sur les questions qu’ils peuvent ou non poser. Ce type de recrutement, qui donnerait ses chances à chacun, a pourtant plusieurs inconvénients. La première étape de tri du CV tend à favoriser les candidats les plus jeunes, formés dans les écoles les mieux cotées par l’entreprise et dont les parcours sont les plus lisibles pour la DRH. Mais le véritable problème est que ces procédures formatées tendent à un recrutement de clones. Ces embauches sont peut-être irréprochables en ce qui concerne l’égalité mais peu efficaces pour favoriser la diversité.

E & C : Quelles sont les solutions pour concilier efficacité et équité ?

G. de L. : Lorsqu’on recrute, on ne peut jamais être sûr de ne pas se tromper. Une chose est pourtant certaine : si toutes les méthodes de recrutement ne sont pas bonnes et s’il convient d’écarter les plus fantaisistes sans réelle efficacité, il est important d’éviter l’uniformisation des processus de recrutement. À la fois d’un point de vue social, pour prévenir l’exclusion de l’emploi des personnes qui ne peuvent se targuer d’un parcours scolaire et professionnel exemplaires, mais aussi du point de vue des entreprises qui se fixent des objectifs en termes de diversité.

Des méthodes alternatives à la sélection fondée sur le CV existent, notamment celle du recrutement par simulation proposée par Pôle emploi pour les postes peu qualifiés. Le problème est que les grandes entreprises, qui les acceptent assez volontiers pour accroître leur vivier de candidatures, retournent ensuite souvent à leurs bonnes vieilles méthodes de sélection. En fait, il y a une certaine frilosité de la part des directions RH à changer leurs outils et leurs manières de recruter. Et aucune raison de le faire aussi longtemps qu’elles font face à des flux abondants de candidatures qu’elles peuvent “sur-trier” et “sur-sélectionner” pour se rassurer quant au résultat de l’embauche, toujours aléatoire.

* Sociologue, chercheure au Centre de sociologie des organisations, spécialiste des pratiques de recrutement.

PARCOURS

• Guillemette de Larquier est maître de conférences en économie à l’université de Paris-Ouest Nanterre-La Défense et détachée au CEE depuis octobre 2009.

• Elle est l’auteure, entre autres, avec Emmanuelle Marchal, d’un article intitulé “La légitimité des épreuves de sélection : apports d’une enquête statistique auprès des entreprises” (in Épreuves d’évaluation et chômage, Octarès, 2012). Elle a participé au rapport “Pratiques de recrutement et sélectivité sur le marché du travail” (Centre d’études de l’emploi, mars 2012).

LECTURES

• Le Recrutement, Emmanuelle Marchal et Géraldine Rieucau, La Découverte, 2010.

• Justesse et justice dans les recrutements, François Eymard-Duvernay, revue Formation et Emploi, n° 101, 2008.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX