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L’APPROCHE COLLECTIVE EST POSSIBLE

Enquête | publié le : 03.04.2012 | EMMANUEL FRANCK

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L’APPROCHE COLLECTIVE EST POSSIBLE

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

La liberté d’expression religieuse en entreprise ne peut être restreinte qu’au cas par cas. Toutefois, moyennant certaines précautions, certaines entreprises ont réussi à formaliser une politique du savoir-vivre ensemble.

Un problème peu répandu quoiqu’en progression, juridiquement classique, socialement simple, mais parfois explosif : voici l’équation que pose la pratique religieuse en entreprise. Sur ce sujet peu documenté, un sondage de l’Ifop d’avril 2008 auprès de 400 RRH et dirigeants relevait que 44 % des répondants avaient accordé des jours de congé et 26 % adapté les horaires pour des raisons religieuses. Par ailleurs, 7 % d’entre eux avaient déjà été confrontés à une demande de port de signe religieux et 10 % à un refus d’accomplir certaines tâches. Un quart disaient que les revendications étaient en hausse. « Les demandes sont en progression, mais ce n’est pas l’apocalypse », estime Alain Seksig, en charge de la mission laïcité au Haut conseil à l’intégration, qui estime néanmoins qu’il ne faut pas attendre d’en arriver là.

Pour traiter ces différentes situations, le Code du travail ne connaît que le cas par cas : la liberté religieuse ne peut être restreinte que de manière justifiée et proportionnée ; la Halde a listé 6 cas conformes à ces critères (lire l’encadré p. 22). La situation des services publics est différente, car ils sont soumis à l’obligation de neutralité religieuse. Celle des entreprises avec une vocation de service public, comme les crèches, est encore en balance.

Des problèmes ponctuels

Aux dires des spécialistes, ce cadre juridique suffit à la grande majorité des entreprises pour parvenir à un modus vivendi. L’arrangement se fait de gré à gré avec le salarié pratiquant, et cela se passe très bien ou, du moins, ne cause pas de remous. Cependant, l’approche au cas par cas atteint ses limites lorsque la direction est complètement fermée à toute adaptation ou, au contraire, trop laxiste, ou quand les demandes sont trop nombreuses ou trop compliquées à satisfaire. Dans ces cas, la pratique de la religion pose ponctuellement des problèmes épineux, comme l’illustrent quelques entreprises*.

« Dans une usine, la salle de repos est d’autorité fermée pour la prière des salariés musulmans, ce qui irrite les autres employés qui n’y ont plus accès. Une situation qui peut devenir explosive si la direction abandonne tout pouvoir disciplinaire, même si elle se doit d’agir avec doigté », explique Sylvain Niel, avocat associé au cabinet Fidal, qui en outre voit là une inégalité de traitement. Contacté, le DRH de cette entreprise n’a pas donné suite.

Il n’y a pas que le principe d’égalité qui risque de pâtir de la pratique religieuse ; la production également, comme lorsque, à Carrefour, « 400 personnes demandent à s’absenter le même jour », relate Alain Seksig. L’enseigne de grande distribution n’a pas souhaité s’exprimer.

Parfois, le vivre-ensemble en entreprise est menacé, ainsi qu’en témoigne un inspecteur du travail. Dans un atelier, un salarié diffuse des versets du Coran sur une chaîne hi-fi ; dans un magasin halal qui demande un permis de construire, il n’y aura pas de vestiaire pour les femmes car le propriétaire ne compte pas en embaucher ; dans une entreprise, un salarié berbère qui, par provocation, a cuisiné un coq au vin, est soumis à la vindicte de ses collègues musulmans. L’inspecteur du travail regrette que ce sujet n’en soit pas un pour son administration.

Des revendications identitaires

Ces demandes ne sont pas nouvelles, mais elles sont plus explosives qu’auparavant. « Il y en avait déjà dans les années soixante, mais elles étaient perçues comme festives, relate Virginie Leroux, consultante dans le cabinet de conseil en affaires publiques Edelman, coauteure d’un rapport non public intitulé “Entreprise et religion en 2011”. Ce qui est nouveau, c’est que les revendications religieuses sont également identitaires ; les entreprises qui se réclament de la diversité n’avaient pas anticipé cet aspect. »

Ce sont plus particulièrement les demandes émanant de musulmans que les entreprises ont du mal à gérer. « Les managers ont peur d’être taxés de racistes ou d’islamophobes, explique Virginie Leroux. En outre, l’islam est une religion plus visible que les autres de par ses rites collectifs (prières, jeûne, etc.). Les demandes problématiques émanent en général d’une minorité prosélyte et sont le support d’une revendication identitaire. Mais la majorité des cas se gère bien, avec des aménagements au cas par cas. »

Les demandes de pratiquants juifs peuvent également poser des problèmes, « mais elles sont moins visibles et s’expriment rarement collectivement. Aussi, les managers les gèrent individuellement. En outre, les juifs ayant une pratique très rigoureuse se débrouillent souvent pour travailler dans des entreprises adaptées », poursuit Virginie Leroux. Elle a établi une hiérarchie dans les difficultés posées au collectif de travail : « Le ramadan et les repas se gèrent bien ; le voile est plus compliqué ; la salle de prière encore plus. Le plus grave est la dégradation des relations entre les hommes et les femmes. »

Favoriser le lien social

En vue de favoriser le lien social et de prévenir les risques de discrimination, le Haut conseil de l’intégration souhaite modifier le Code du travail afin que les entreprises puissent traiter du fait religieux dans leur règlement intérieur, notamment au nom de la “paix sociale interne” (lire l’interview d’Alain Seksig p. 27).

En attendant, une approche collective est possible sous certaines conditions. Toutes les entreprises ne pouvant se targuer d’avoir accumulé 50 ans d’usages avec la religion, comme PSA (lire l’encadré p. 23), certaines ont ressenti le besoin de formaliser leur politique en la matière. Le règlement intérieur ne peut pas restreindre globalement la liberté d’expression, comme l’a appris Auchan à ses dépens (lire ci-contre). En revanche, les entreprises peuvent diffuser un guide sans valeur normative, comme l’ont fait La Poste – un service public soumis à l’obligation de neutralité – et EDF – une entreprise privée qui ne l’est pas (lire pp. 25 et 26).

Recentrer le débat sur l’entreprise

Quoique fondés sur des situations juridiques différentes, les deux guides ont ceci de commun qu’il recentrent le débat sur l’entreprise. Un fil d’Ariane bien utile aux managers pour éviter qu’ils ne se perdent dans des considérations théologiques sans rapport avec le travail, ainsi que l’explique Aline Crépin, directrice RSE du groupe Randstad (lire p. 26). À noter que l’association IMS Entreprendre a publié un guide intitulé “Gérer la diversité religieuse en entreprise”.

Cas apparemment unique en France, la société spécialisée dans l’événementiel Reed Expositions a inscrit la laïcité dans son code de déontologie (lire p. 24). Le DRH de l’époque a saisi l’opportunité de la traduction du document imposé par la maison mère britannique pour y ajouter sa touche personnelle.

* Aucune entreprise confrontée à des problèmes n’ayant souhaité s’exprimer, tous les témoignages sont indirects et parfois anonymes. Retrouvez l’avis du HCI de septembre 2011 sur <www.wk-rh.fr>, rubrique Entreprise & Carrières, puis docuthèque.

L’ESSENTIEL

1 Un nombre croissant d’entreprises se disent confrontées à une augmentation des demandes de pratiques religieuses sur le lieu de travail émanant de leurs salariés.

2 Le traitement au cas par cas qu’impose le Code du travail et que pratiquent les entreprises, suffit en général à régler les problèmes.

3 Toutefois, quand le phénomène prend de l’ampleur et s’agissant de quelques pratiques particulières, une approche collective peut s’avérer nécessaire.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK