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Enquête

LA RELIGION, LE RÈGLEMENT ET LA LOI

Enquête | publié le : 03.04.2012 | ROZENN LE SAINT

« La question de la religion dans l’entreprise est socialement explosive et juridiquement banale », affirme Patrice Adam, maître de conférences en droit privé à l’université de Nancy 2. En droit, la clé du débat en France se trouve dans un unique article du Code du travail, l’article L. 122-35. C’est sur lui que repose la jurisprudence permettant de déterminer si un salarié a le droit de venir travailler en bermuda, mais aussi si une employée peut se présenter voilée à son poste.

Les libertés individuelles et collectives, comme celles liées à la religion, peuvent être restreintes, mais seulement si cela est justifié et proportionnel au but recherché. Toute la jurisprudence repose sur ces deux critères depuis l’intégration du texte dans le Code du travail en 1992, « qui concilie pouvoir patronal et liberté des salariés », selon Patrice Adam.

Neutralité

Mais l’affaire Baby Loup, concernant le licenciement de la directrice adjointe de la crèche de Chanteloup-les-Vignes car elle refusait d’enlever son voile, a pu semer le trouble dans les esprits. Le 27 octobre 2011, la cour d’appel de Versailles a fini par confirmer ce renvoi en se référant au Code du travail et aux deux fameux critères. Auparavant, le conseil des prud’hommes avait justifié sa décision d’aller dans le sens du licenciement en se fondant de manière inédite (en ce qui concerne les entreprises) sur la notion de service public. Il avait estimé que l’association de droit privé, mais qui exerce une mission de service public, devait être soumise à l’obligation de neutralité.

Même si ce n’est pas ce principe qui a justifié la décision finale à Baby Loup, c’est bien sur cette notion de service public qu’a rebondi Françoise Laborde (Parti radical de gauche), soutenue par le PS, via une proposition de loi adoptée en première lecture au Sénat le 17 janvier dernier. Pour autant, la droite ayant renoncé à légiférer sur le sujet, elle ne devrait pas franchir les portes de l’Assemblée nationale. Cette proposition vise à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance (hors établissements confessionnels). L’article 3 précise qu’« à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants ». « La seule nouveauté est de dire que, comme le public concerné est composé d’enfants, il faut le laisser à l’abri de toute obédience religieuse. Mais cela résoud peu de situations, car, dans la plupart des entreprises, ce qui pose problème, c’est le regard des collègues ou des clients », estime Patrice Adam.

Vocation pédagogique

Pour que les choses soient écrites noir sur blanc, des entreprises comme Auchan ont décidé d’inclure dans leur règlement intérieur une clause concernant, directement ou non, l’expression de la liberté religieuse. « Dans les règlements intérieurs, il y a toujours une vocation pédagogique et juridique. Sur le premier point, cela peut être utile car cela permet de trancher la question et d’orienter les décisions de chacun, juge Patrice Adam. Mais juridiquement, règlement intérieur ou pas, cela ne change rien. Ses clauses sont soumises de la même manière à l’article L. 122-35 du Code du travail, plus élevé dans la hiérarchie. » Autrement dit, devant un tribunal, les contraintes de justification et de proportionnalité prévalent sur le règlement intérieur.

LES SIX CONDITIONS DE LA HALDE

La Halde a retenu six critères* pour justifier les arbitrages futurs entre la liberté d’expression des salariés et sa restriction justifiée et proportionnée.

1 Le respect des consignes de sécurité.

2 Le respect des règles d’hygiène.

3 La capacité du salarié à exercer sa mission (pouvoir parler aux personnes des deux sexes dans le cadre du travail, etc.).

4 La bonne organisation de l’équipe (par exemple, un salarié qui manque systématiquement une partie des réunions pour faire ses prières quotidiennes).

5 L’atteinte aux intérêts commerciaux de l’entreprise (le port du voile peut être mal perçu par la clientèle directe).

6 Le prosélytisme quel qu’il soit : un salarié militant activement contre le port du foulard peut aussi bien être sanctionné qu’un salarié distribuant des bibles sur son lieu de travail.

* Dans ses délibérations n° 2008-32 du 3 mars 2002 et n° 2009-117 du 6 avril 2009.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT