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Quels droits pour les salariés détachés en Europe ?

Pratiques | publié le : 27.03.2012 | HUBERT HEULOT

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Quels droits pour les salariés détachés en Europe ?

Crédit photo HUBERT HEULOT

Une directive européenne antidumping social protège les travailleurs détachés temporairement d’un pays de l’Union à l’autre. Mais elle est mal appliquée, notamment par les entreprises sous-traitantes, qui réservent souvent à ces salariés des conditions low-cost. Sur ses chantiers, à Saint-Nazaire, STX tente de contrôler les pratiques de ses sous-traitants.

Les migrations temporaires pour raisons professionnelles sont en essor dans l’Union. Pour la Commission européenne, elles concernent un million de personnes par an. « Ce n’est pas un phénomène de masse, mais il est important dans certains secteurs », précise-t-elle (lire l’encadré). En 2010, la France a enregistré sur son sol l’arrivée de 111 000 travailleurs détachés, trois fois plus qu’en 2006. « Mais l’on estime qu’un tiers seulement d’entre eux sont réellement déclarés », relève Andrée Thomas, chargée des questions européennes à Force ouvrière.

Depuis 1996, une directive européenne sur le détachement des salariés impose une protection sociale minimale. Ils doivent être soumis à des périodes maximales de travail, minimales de repos et de congés payés, à des conditions de rémunération (salaire minimal), d’égalité de traitement, de santé, de sécurité, d’hygiène, à des règles de protection des femmes et des enfants. Ce “noyau dur” de règles sociales doit être fixé par chaque pays et refléter sa législation nationale. Dans sa circulaire de transposition, datant du 5 octobre 2008, la France reprend son smic, les libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, le droit de grève, ainsi que le respect des conventions collectives dès lors qu’elles sont étendues.

Mais l’application de cette double législation connaît des ratés. En particulier quand des sous-traitants interviennent en cascade. En juin dernier, sur le chantier de l’EPR de Flamanville dans la Manche (3 300 salariés d’une trentaine de nationalités), les mauvais traitements sociaux faits à 80 travailleurs polonais sont apparus quand le groupe Bouygues a dû interrompre le contrat avec le groupe irlandais d’intérim (Atlanco) qui les employait. Ils n’avaient pas de carte européenne d’assurance maladie. Leurs accidents du travail n’étaient pas déclarés. Si des cotisations étaient bien prélevées sur leurs salaires, Atlanco ne les reversait pas aux organismes sociaux.

Régime minimal

Autre dérive, le régime social du travailleur détaché étant minimal par rapport aux droits du salarié “national”, des entreprises européennes cherchent à s’en prévaloir abusivement. En février, dans la banlieue de Toulouse, la filiale française du groupe portugais Procme s’est retrouvée en conflit avec des salariés portugais. Elle voulait les licencier aux conditions de salariés détachés du groupe alors qu’elle les avait embauchés elle-même. La tentative a échoué.

Les donneurs d’ordres peuvent-ils éviter ces dérapages ? À Saint-Nazaire, depuis 2006, les Chantiers de l’Atlantique, propriété du Coréen STX, effectuent des audits sociaux de leurs sous-traitants. « C’est une des très rares entreprises à le pratiquer », signale Michel Bentounsi, directeur de la Direccte. Entre 2002 et 2005, les chantiers ont, il est vrai, été échaudés. À plusieurs reprises, ils ont dû payer les salaires et les billets d’avion de retour d’ouvriers étrangers abandonnés par leur employeur à Saint-Nazaire en fin de mission. « Depuis 2006, grâce à ces audits, nous n’avons plus ce genre d’impayés », note avec satisfaction Christophe Mabit, le DRH.

Contrôle des prestataires

Une juriste de STX y consacre la moitié de son temps. Elle contrôle les sous-traitants travaillant pour la première fois sur le site en excluant ceux de moins de 15 salariés, trop petits. Les ouvriers sont interviewés à bord des bateaux sur leurs conditions d’embauche et de travail. Les documents (contrats de travail, bulletins de salaire) sont demandés au siège de leur société. « Nous nous assurons que les sous-traitants disposent des connaissances de base de la législation française sur le smic, sur les heures de travail et de repos, sur les congés. Sinon, nous leur demandons de se rapprocher de cabinets d’experts-comptables. Nous les revoyons un mois plus tard. Ainsi, ils se corrigent. Et nous incitons nos sous-traitants de rang1 à contrôler eux-mêmes les entreprises avec qui ils travaillent », insiste Christophe Mabit. Pour le DRH, « même si le respect de la législation sociale figure dans le contrat commercial, nous devons nous méfier. Notre objectif est d’éviter le reproche de ne pas avoir fait de prévention. C’est une question d’image et aussi économique : une entreprise non fiable socialement ne l’est pas plus industriellement. »

Horaires à rallonge

Christophe Mabit estime que les questions de rémunération et de congés sont globalement réglées (STX recommande deux semaines de retour au pays toutes les dix semaines). « On trouve encore des anomalies sur le non-respect des durées maximales de travail », reconnaît-il cependant. Ce qui n’étonne pas Michel Bentounsi, directeur de la Direccte. Ses inspecteurs du travail interviennent sur le chantier presque toutes les semaines. Comme ­ailleurs, ils vérifient l’applica­-tion du noyau dur réglementaire prévu pour les salariés détachés. ­Malheureusement, les horaires à rallonge sont difficiles à contrôler tout comme le respect du smic horaire, des barèmes conventionnels et de la non-rupture de concurrence avec les salariés français. « Notre efficacité tient surtout à notre présence sur les lieux. Dans le détail, c’est autre chose », résume Michel Bentounsi, qui souligne aussi la difficulté d’obtenir les contrats de travail et attestations de protection sociale du siège des sociétés étrangères. Ainsi que le manque de suivi des procès verbaux dressés par les tribunaux étrangers.

Aux Chantiers de l’Atlantique, les syndicats restent sceptiques sur l’efficacité des audits sociaux. « Des salariés étrangers restent payés en dessous du smic », affirme Marc Ménager de la CFDT. Pour André Fadda, en charge à la CGTde la sous-traitance des Chantiers de l’Atlantique, ces audits n’ont rien changé. En 2009, des ouvriers bulgares ont signé des contrats de travail à 2,88 euros de l’heure pour 55 heures de travail par semaine. Les syndicats crient au dumping social, alors que les sous-traitants de Pologne, de Roumanie, de Lituanie et de Bulgarie sont plus nombreux que jamais sur le site et qu’en parallèle, des sous-traitants locaux ferment. Christophe Mabit explique cette tension par la baisse des prix dans la construction de paquebots : 5 % par an en moyenne, 15 % l’an dernier pour Carnival, le leader mondial de la croisière.

À l’échelle européenne, les syndicats dénoncent la directive sur le détachement des salariés, devenue une “passoire”. Consciente de ces limites, la Commission européenne planche sur un nouveau texte pour clarifier les règles d’application de la directive. Elle veut notamment instituer des sanctions plus lourdes, renforcer les contrôles administratifs et la coopération des États. Elle doit aussi préciser sa position sur des droits fondamentaux, comme celui de la grève, pour défendre les droits sociaux.

En attendant, après la dérive de Flamanville, la France impose, depuis le 1er janvier, aux donneurs d’ordres de sous-traitants étrangers de vérifier tous les six mois qu’ils sont bien à jour des obligations de cotisations sociales pour leurs salariés.

L’ESSENTIEL

1 Les migrations temporaires augmentent au sein de l’Union européenne, particulièrement dans le BTP, l’industrie et l’intérim.

2 Les rares initiatives pour limiter les risques de dumping social ont une efficacité limitée.

3 À l’échelle européenne, un nouveau texte devrait renforcer les contrôles et alourdir les sanctions.

Le travailleur détaché en Europe

Est travailleur détaché tout salarié employé dans un autre pays de l’Union que son pays d’origine, selon 3 modalités : transféré temporairement dans un autre pays au sein d’un même groupe ; envoyé chez un client étranger pour livrer un bien, un service ; travailleur intérimaire. Il doit être déclaré dans le pays d’accueil.

La plupart des travailleurs détachés viennent de Pologne, d’Allemagne et de France et vont en Allemagne, en France et en Belgique. Pour les syndicats, les derniers élargissements de l’Union, en 2003 et 2007, ont fait croître les flux de Pologne, de Lituanie, de Roumanie et de Bulgarie. Joseph Thouvenel, patron de la CFTC à Paris, ajoute depuis peu, à cause de la crise, l’Angleterre et l’Irlande.

Le détachement concerne les secteurs du BTP, de l’industrie et de l’intérim, mais d’autres entreprises de service y ont recours, comme celles « travaillant pour les banques, notamment dans la comptabilité », selon Joseph Thouvenel.

Auteur

  • HUBERT HEULOT